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Ces 10 personnes qui ont marqué le cinéma en 2018

Ces 10 personnes qui ont marqué le cinéma en 2018

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Par Mehdi Omaïs

Publié le

Avec la fin de l’année vient souvent l’heure du bilan. Surtout au cinéma.

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Non pas qu’on tienne scrupuleusement des comptes mais disons que certains noms sont parvenus à se hisser tout en haut d’un panier bien garni. Les places étaient pourtant comptées, notamment sur les terres du cinéma français, qui a connu un millésime exceptionnel, tant pour ses comédies (Le Grand Bain, En liberté !, Au Poste !, Le Monde est à toi…) que pour ses drames (Jusqu’à la garde, Pupille, La Douleur…).

2018 a mis les spectateurs sous tous les cieux, des solaires Mektoub, My Love : Canto Uno d’Abdellatif Kechiche et Call Me By Your Name de Luca Guadagnino aux orageux Sauvage de Camille Vidal-Naquet et Climax de Gaspar Noé. On aurait pu citer d’autres comédiens, chefs opérateurs, monteurs, compositeurs… qui, par leur talent, ont contribué à rendre notre année de cinéma 2018 si palpitante. Il a fallu faire des choix. Voici, en toute subjectivité, les dix personnalités qui ont attiré notre attention.

Alfonso Cuarón

On l’avait laissé en 2013 tout en haut des montagnes hollywoodiennes avec son mémorable Gravity qui succédait à deux films en langue anglaise (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban et Les Fils de l’homme). 17 ans après Et… ta mère aussi !, le cinéaste Alfonso Cuarón s’est (r)econnecté à son cinéma originel avec le grandiose Roma, Lion d’or à Venise et sorti en France directement sur la plateforme Netflix. Un film intimiste propice à une nouvelle naissance, dans un noir et blanc digne des clichés du photographe Sebastião Salgado.

En nous faisant vivre un an dans la vie d’une famille de la classe moyenne de Mexico, au début des années 1970, le maestro se livre personnellement en même temps qu’il raconte l’histoire de son pays. Sa façon de construire un récit aussi ample, à partir d’une trame simple et d’une économie de dialogues, laisse sans voix. Dans un geste d’épure, il relate l’amour, l’espoir, la peur, la famille avec une limpidité formelle qui tutoie des sommets. Difficile de bouder le plaisir d’une telle ambition de cinéma.

Le casting de Mektoub, My love

Hafsia Herzi, Sabrina Ouazani, Sara Forestier, Adèle Exarchopoulos… au fil d’une filmographie exceptionnelle, Abdellatif Kechiche a révélé des actrices qui sont désormais parfaitement installées dans le paysage cinématographique français. Pour son chef-d’œuvre Mektoub, My love : Canto Uno, ode à la jeunesse, il a une fois de plus déniché de formidables nouveaux talents, ne dérogeant pas à sa réputation de lanceur de carrières. Les jeunes acteurs débutants qu’il y dirige avec le brio qu’on lui connaît se révèlent tous d’une luminosité et d’un talent confondants.

Il y a bien sûr Shaïn Boumédine, dont la beauté solaire et la candeur chevillée à l’âme marquent durablement le spectateur. Sous les traits d’Amine, un apprenti scénariste parisien qui retourne un été à Sète pour retrouver sa famille et ses amis d’enfance, le comédien se montre d’une justesse absolue. Mais que dire également des magnifiques comédiennes qui l’entourent, toutes sublimées par la lumière éclatante de Marco Graziaplena ! Elles s’appellent Ophélie Bau, Lou Luttiau et Alexia Chardard. Des noms à retenir fissa car, sans nul doute, on les retrouvera très bientôt sur grand écran.

Gaspar Noé

Chacun de ses films constitue un événement pour les cinéphiles. Doté d’un style de filmage reconnaissable entre mille, le trublion Gaspar Noé est une bénédiction pour son art. D’aucuns lui reprocheront la faiblesse de ses scénarios, qui ne sont souvent qu’un prétexte aux errances dynamiques de sa caméra. Peut-être auront-ils raison sur ce point. Mais les trouvailles visuelles et la mise en scène de l’Italo-Argentin sont telles qu’on lui pardonne tout volontiers. Après l’intense Love et son auscultation chimique et organique de l’amour, il signe avec Climax l’un des grands films de 2018.

Son portrait kaléidoscopique d’une troupe de danseurs victimes d’une sangria empoisonnée est boosté par une BO au cordeau et par la direction de la photographie impériale de Benoît Debie. Ici, c’est le langage du corps qui intéresse et passionne tout particulièrement le cinéaste : ses contorsions, ses dérives, sa vitalité, ses frémissements… Climax dégage dès lors une énergie foudroyante qui balaie tout sur son passage, les lieux comme les gens, les relations comme les spectateurs. Une frénésie de la destruction et de l’extase. Un peu comme ce temps qui détruit tout, une des marottes de Noé.

Léa Drucker

© KG_Productions

Alors oui, il y a Mélanie Thierry (La Douleur), Élodie Bouchez (Pupille) ou Cécile de France (Mademoiselle de Joncquières). Mais s’il fallait en garder une, c’est clairement elle. La reine des actrices françaises de l’année 2018. Le point culminant. Léa Drucker ! Sa prestation dans le saisissant et génial Jusqu’à la garde, le drame conjugal ultra-remarqué de Xavier Legrand – lauréat du Prix Louis-Delluc du premier film – est proprement démentiel. Elle y incarne Miriam Besson, une mère fraîchement divorcée qui, pour protéger son fils d’un père violent (Denis Ménochet), décide d’en demander la garde exclusive.

Aidée par la sobriété clinique de Xavier Legrand, une des révélations cinéma majeures des douze derniers mois, elle signe là une performance dépouillée, sans fioriture, où toutes les émotions qui s’incarnent sur son beau visage sont brutes et vraies. On tire aussi notre chapeau à Denis Ménochet, incroyable de tension sous les traits d’un mari agressif et au tout jeune Thomas Gioria, sidérant dans sa faculté à comprendre et à restituer chacun des sentiments qui habite son personnage. D’ailleurs, on n’oubliera pas de sitôt la conclusion oppressante et scotchante de cette réalisation. Et ce top shot de la baignoire.

Lee Chang-dong

© Diaphana Distribution

C’est l’une des déceptions les plus indigestes du dernier Festival de Cannes. Comment le jury, présidé par la comédienne australienne Cate Blanchett, a-t-il pu priver le sublime Burning d’un (gros) prix lors de la cérémonie du palmarès ? Le cinéaste sud-coréen Lee Chang-dong, à qui l’on doit notamment Poetry, plonge, pour l’occasion, le spectateur dans un labyrinthe mental, entre thriller et romance, et l’embarque vers un voyage sensoriel dont chaque bifurcation revêt des atours à la fois enchanteurs et mystérieux. Qu’il est bon de s’y perdre !

L’histoire ? Lors d’une livraison, un jeune coursier tombe par hasard sur son ancienne voisine, qui le séduit, elle-même de retour d’un voyage sous les bras d’un jeune homme aussi nanti qu’étrange. Avec brio et élégance, Lee Chang-dong investit de plein fouet ce triangle amoureux en l’emballant dans une atmosphère purement hitchcockienne. La force de Burning, c’est qu’il mute en permanence, comme un rêve, qu’il infuse et dure dans les esprits. Telle est la spécificité des grandes œuvres : vivre très longtemps après la fin de la projection.

Timothée Chalamet

© Sony Pictures

Chaque acteur connaît dans sa carrière une année charnière, celle où son destin bascule définitivement. Et pour le meilleur. Pour Timothée Chalamet, c’est 2018. À l’affiche de Hostiles, l’excellent western de Scott Cooper et de Lady Bird de Greta Gerwig, c’est surtout sous les traits inoubliables d’Elio qu’il a marqué les esprits dans le magnifique Call Me By Your Name de Luca Guadagnino. Adapté du roman homonyme d’André Aciman, cet opus lui a offert le rôle d’un jeune homme qui tombe amoureux d’un doctorant (Armie Hammer), plus âgé, venu passé un été érudit en Italie.

Tous les voyants d’une grande carrière sont au vert. L’intelligence du jeu, du ton, de l’interprétation, du regard… Chalamet porte sur sa palette toutes les couleurs de son art d’acteur. (Re)voir la dernière séquence de Call Me By Your Name, dite de la cheminée, permet de mieux le comprendre. Hollywood l’a bien saisi. Il n’y a qu’à jeter un œil à sa besace de projets : The King chez David Michôd, Dune chez Denis Villeneuve, The French Dispatch chez Wes Anderson et Les Quatre filles du Docteur March chez Greta Gerwig (encore). Sans compter la sortie prochaine de Beautiful Boy de Felix Van Groeningen et celle, décalée pour le moment, de Jour de pluie à New York de Woody Allen.

Jeanne Herry

© StudioCanal

À 40 ans, tout sourit à Jeanne Herry, fille de Miou-Miou à la ville. Après sa très concluante comédie Elle l’adore, dans laquelle elle transformait Sandrine Kiberlain en fan farfelue et mythomane d’un chanteur de variété (Laurent Lafitte), la réalisatrice et scénariste a signé l’un des plus beaux films français de 2018 avec Pupille. Extrêmement bien écrit et documenté – on sent qu’un véritable travail de fond a rondement été mené –, et animé par une foi dans le récit de tous les instants, ce long-métrage décrit le combat d’une mère, campée par l’excellente Élodie Bouchez, qui, pendant dix ans, va tenter d’adopter un enfant.

L’intérêt de Pupille réside dans sa façon d’être instructif sans sombrer dans l’excès de didactisme. On y apprend en effet énormément de choses sur le processus d’adoption, en ne perdant jamais de vue le nerf du scénario. Car Jeanne Herry a pris soin de brosser avec talent tous les autres personnages qui gravitent autour de l’héroïne et de restituer, par le menu, chacune des étapes qui accompagne son éprouvante trajectoire. Mention spéciale à Gilles Lellouche qui, non content d’avoir signé l’enthousiasmant Le Grand Bain (carton en salles), trouve là un rôle parfait dans la peau d’un bouleversant père d’accueil.

Juliana Rojas et Marco Dutra

© Jour2fête

Prix du Jury et de la Critique lors du dernier Festival de Gérardmer, multi-récompensé aux quatre coins du monde (Locarno, Catalogne, Busan…), Les Bonnes Manières a mis en orbite un formidable duo de réalisateurs brésiliens, formé en école de cinéma : Juliana Rojas et Marco Dutra. Biberonnée aux films de genre et aux contes, cette paire a livré un film hybride, qui manipule les genres avec une grâce inouïe et un aplomb épatant. On y suit plus précisément le rapprochement de deux femmes : une infirmière noire vivant dans une banlieue populaire de la tentaculaire ville de São Paulo et la femme enceinte, blanche et nantie qui a loué ses services en vue de l’accouchement. Tout bascule au moment où un bébé pas comme les autres naît.

Le long-métrage met en lumière les fractures raciales et liées aux classes, très présentes et prégnantes dans la société brésilienne, sur fond de tension à la fois sexuelle et horrifique. Il s’ouvre comme un conte et, à mesure que son récit se déploie, il multiplie les mutations et les ellipses. Ce parti pris permet au public de ne jamais anticiper, de ne jamais savoir quelle direction sera prise. Dès lors, on prend les deux mains des cinéastes et on se balade volontiers dans le foisonnement de leur univers, émerveillés mais aussi sidérés, notamment par une séquence finale d’une rare puissance. Bravo !

Félix Maritaud

© Benjamin Marius Petit / Konbini

En 2017, on a beaucoup parlé, à juste titre, de Nahuel Pérez Biscayart et d’Arnaud Valois pour leurs performances respectives dans le déchirant 120 battements par minute de Robin Campillo. Mais il en est un qui était également au casting dudit drame et dont l’interprétation a été quelque peu éclipsée, d’un point de vue médiatique. Il s’agit du talentueux Félix Maritaud, devenu l’un des princes de 2018 dans Sauvage de Camille Vidal-Naquet, grâce notamment à son incarnation viscérale d’un jeune prostitué, esseulé. Lequel, comme une ombre errante, balade et exhibe son corps épuisé au gré des rues, multipliant les partenaires masculins à un rythme soutenu.

Sa désorientation et sa sidération, le spectateur les ressentira jusqu’à sa chair. Car oui, on a rarement vu un acteur être à ce point dans le don (et l’oubli) de soi. De tous les plans, il porte dans son regard, ultra-expressif, l’entière douleur du monde. Son chemin de croix, d’avilissements et de vexations, il l’incarne avec instinct et puissance. Présenté à la Semaine de la critique lors du dernier Festival de Cannes, le film a justement été salué par le Prix Fondation Louis Roederer de la Révélation (à Félix Maritaud). Un beau début de parcours pour cet ancien barman repéré par un impresario et qui avait arrêté ses études aux Beaux-Arts, faute de moyens.

Frances McDormand

© Twentieth Century Fox

21 ans après Fargo, Frances McDormand a fait main basse, une seconde fois dans sa carrière, sur l’Oscar de la meilleure actrice pour son rôle mémorable dans 3 Billboards, Les Panneaux de la vengeance de Martin McDonagh. Il faut dire qu’elle porte de bout en bout cet excellent drame purement coenien dans lequel elle incarne une mère qui, lassée de voir la police piétiner pour découvrir qui a tué sa fille, décide d’afficher des messages d’invectives sur trois grands panneaux. Puissante et dépouillée, sa performance doit beaucoup à son intelligence de jeu, à son refus de l’excès. Tout est juste, à sa place. Impec.

Elle a aussi retenu notre attention lors de la cérémonie des Oscars en prônant pour le fameux Inclusion Rider, ardemment défendu par Michael B. Jordan. Une prise de position en faveur de la diversité au cinéma, puisqu’elle fait référence à une clause contractuelle permettant aux acteurs d’avoir un pouvoir sur la représentation des minorités dans le film qu’ils rallient, sur une répartition beaucoup plus juste des rôles et sur une meilleure représentativité de la société contemporaine. Engagée, passionnée, naturelle, Frances McDormand brille autant parce que son refus du star-system est férocement inspirant.