Frida Kahlo, des drag queens, une maison close… les 6 livres pop de la rentrée littéraire

Frida Kahlo, des drag queens, une maison close… les 6 livres pop de la rentrée littéraire

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Par Camille Abbey

Publié le

Petite sélection des romans à lire absolument. De quoi s'y retrouver dans les 534 romans de cette nouvelle rentrée littéraire.

1.# J’ai des idées pour détruire ton ego : une révélation

(© Éditions Nil/Photo : Astrid di Crollalanza)

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Le livre

À l’origine de ce roman : un podcast, Primo, produit par Nouvelles Écoutes, qui suivait trois autrices, de la sélection de leur manuscrit à la publication du livre, en passant par le travail avec leurs éditeur·trice·s. Et voici le premier ouvrage publié de cette aventure inédite. Une vraie réussite.

L’histoire

Léonie, 27 ans, enchaîne les petits boulots sans conviction et les histoires de cul avec appétit. Mais elle pense toujours à Angela, son premier amour rencontré au lycée, “tout en haut de la chaîne alimentaire”, toutes deux reines de la provoc et du soufre. Alors que Léonie garde la petite Eulalie, elle doit, un soir, la prendre sous le bras et fuir. Le temps et les multiples aventures n’ont rien changé à la passion qui consume Léonie et elle veut rejoindre Angela dans le Sud, pensant que celle-ci l’attend toujours.

Certains personnages de cette histoire rocambolesque ne pensent leur vie que par rapport à un passé encore trop présent, palpable à chaque seconde, tandis que d’autres l’ont oublié.

Pourquoi on aime

Dans cette histoire, les héroïnes, car oui, tous les personnages importants sont des femmes, pour la plupart lesbiennes, brûlent d’un désir charnel et de vengeance. Il est aussi beaucoup question d’amour et de sa puissance parfois dévastatrice. Quand une histoire d’amour devient un concept lointain mais encore très prégnant, comme une chanson qu’on “voudrait chanter sans en connaître les paroles”.

À travers des portraits générationnels, l’autrice, dans ce livre au titre magnifique, dissèque le désir, identifie les mécanismes de l’attirance. Elle raconte la passion des premières histoires, la douleur des séparations, les motivations de la vengeance. L’aspect brut et sans concession d’une Virginie Despentes. Plus que prometteur.

Extrait

“Molly a un faible pour les nanas qui n’ont pas de morale, qui ne font pas semblant de trouver que la vie est un moment sympa. Avec Léonie, tout était allé très vite. Bonne, mais pas assez pour être difficile, foutue comme un fil de fer et prête à négocier. Baiser une fille à piercing lui avait donné un sentiment de puissance nouveau, une libido de feu. Les lendemains de soirée de Léonie lui plaisaient particulièrement : cette agonie excitante, l’envie animale de se faire prendre.”

J’ai des idées pour détruire ton ego, Albane Linÿer, 22 août 2019, Nil éditions.

2.# Jolis jolis monstres : plongée dans la nuit new-yorkaise

(© Belfond/Photo : Melania Avanzato)

L’histoire

Monstres, créatures, divas, drag queens… Les héroïnes de ce livre ont différents noms. James, aka Lady Prudence, sera notre premier guide. Après une enfance misérable, il est recueilli par une tante puis par cinq drags new-yorkaises et a finalement pour mère Angie, de la maison Xtravanganza. Chaque drag de l’époque a une mère drag respectée dans le milieu et appartient à une maison. Les plus novices apprennent en leur compagnie, année après année. Lady Prudence aime imiter les grands mannequins de l’époque, Linda, Claudia, Naomi…

Victor, deuxième protagoniste de ce récit flamboyant, grandit plusieurs décennies plus tard au milieu de la guerre des gangs, en écoutant Kanye West, dans un quartier pauvre de LA. Ayant une femme et une fille qu’il aime, il ne peut pourtant détourner sa tête d’une drag lorsqu’il en voit une pour la première fois et commence à se rêver sur la scène.

Deux hommes qui avaient été emmurés dans la violence durant leur jeunesse vont s’évader de ces prisons, conquérir une liberté physique et mentale. La transformation : ce que certains considèrent comme des dérives vont devenir pour eux des bouées de sauvetage.

Les drags doivent savoir tout faire : manier l’ironie et faire rire mais aussi savoir charmer et ensorceler, elles font du “hula-hoop dans les yeux des clients”. Comme le dit l’un des personnages : “Rien n’est cliché quand tout est vrai.”

Pourquoi on aime

Lady Prudence, légende des clubs et des bals, nous fait pénétrer dans la nuit new-yorkaise, avec ses maisons, ses clans, la culture ballroom et le voguing. Folle époque où l’on croise dans les clubs Jean-Michel Basquiat, Keith Haring ou encore RuPaul. Au tout début, avant leur avènement récent pour le grand public, les drags n’avaient parfois rien, vivaient dans la misère pour certains, mais dansaient, défilaient, paradaient, voguaient, riaient… et faisaient un fuck à l’Amérique blanche conservatrice.

Extrait

“Certains disent qu’on est des monstres, des fous à électrocuter.
Nous sommes des centaures, des licornes, des chimères à tête de femme.
Les plus jolis monstres du monde.”

Jolis jolis monstres, Julien Dufresne-Lamy, 22 août, Belfond.

3.# 77, parce qu’ici, c’est pas Paris

(© Actes Sud/Photo : Safia Bahmed-Schwartz)

L’histoire

Grandir en périphérie de Paris, pas dans le bitume, mais au milieu de paysages aux mille teintes de marron, tel est le sujet de ce premier roman. Beaucoup n’ont connu le 9-3 que par des punchlines de rap et des films, ici le 7-7 prend toute sa réalité dans ce texte aux allures de récit initiatique, de conquête de la liberté d’être soi.

L’abribus, planté au milieu des champs, a un rôle central. Le narrateur y attend toute une journée en fumant des joints et en se remémorant un passé pas si lointain, peuplé notamment par les jeux avec ses amis d’enfance, Enzo et la fille Novembre. Le jeu de la vache, qui consiste à faire un pari sur la couleur de la prochaine voiture à passer. Et ils attendent, parfois longtemps, comme des vaches qui regardent les trains passer, ou comme Godot. Vestige d’une époque où on pouvait rester là sans rien faire, s’ennuyer à plusieurs.

À l’instar d’Eddy de Pretto, qui a mis la souffrance de ne pas adhérer aux normes attendues en rap, Marin Fouqué raconte les difficultés éprouvées quand on n’a pas tous les attributs de la masculinité tant glorifiée, quand on n’est pas un “vrai bonhomme”. Il s’est longtemps fait appeler “mignonne”, a une “gueule fine” et se décrit comme lâche. Lors du passage de l’enfance à l’adolescence, avec son lot de paroles cruelles, de moqueries et d’humiliations, les amis d’antan peuvent devenir des traîtres et les modèles admirés des déceptions.

Pourquoi on aime

L’auteur nous plonge dans le silence du 77, ses fêtes de villages, ses auto-tamponneuses et ses lotos. La vie de village est vue par le prisme des jeunes qui y zonent, capuches enfoncées sur la tête, comme des muselières, pour cacher leurs gueules.

77 dépeint la misère des campagnes, comme un Houellebecq mais avec de la tendresse et des pointes d’humour, les coups pris dans la gueule et la violence des injonctions à la manière d’Édouard Louis. Mais l’écriture de ce premier roman est singulière, orale et rageuse, et Marin Fouqué, 28 ans, fait entendre une nouvelle voix, puissante, qu’on est heureux·ses de découvrir.

Extrait

“Certains auraient même dit que j’avais pleuré. Comme une victime. Mais moi, j’ai jamais été une victime. Même à cette époque où Enzo n’était pas encore le Traître, à cette époque où la fille Novembre était toujours la fille Novembre, juste avant de vraiment connaître le grand Kevin et le plaisir du shit gras qui te parfume la pulpe des doigts, et surtout bien avant que je fasse partie de l’abri comme l’abri fait partie de moi, bien avant tout ça, j’étais pas une victime.”

77, Marin Fouqué, 22 août 2019, Actes Sud.

4.# Rien n’est noir : une biographie vibrante sur Frida Kahlo

(© Éditions Nil/Photo : Astrid di Crollalanza)

L’histoire

Alors que Frida Kahlo commence ses études à Mexico, elle subit un accident grave de bus, qui la laissera handicapée à vie. Détruite physiquement par une barre de fer qui a transpercé son corps, Frida ne retourne pas en cours en sortant de son corset mais elle se met à peindre et tombe amoureuse de Diego Riviera, célèbre peintre communiste, gloire de son pays.

Lui, homme d’une laideur affirmée, dont l’aura semble pourtant aphrodisiaque, créateur de génie, géant polymorphe, homme séducteur. Elle, peintre instinctive, empêchée par un corps qui la fait souffrir, souffrant des infidélités de Diego, artiste sensible et passionnée, femme libre et provocatrice.

Pourquoi on aime

C’est une relation intellectuelle, qui raconte l’ébullition contagieuse de la créativité entre deux artistes, mais aussi charnelle. On (re)découvre l’histoire de cette vie coupée en deux par un terrible accident, entre une jeunesse insolente et une vie amoureuse et créative riche mais tumultueuse. Ce récit d’une épopée artistique permet aussi de replacer les toiles dans leur contexte de création : par exemple, après avoir perdu son bébé, elle peint un fœtus alors qu’elle est à l’hôpital de Détroit, ce qui deviendra un de ses tableaux les plus connus.

Diego prend toute la place dans le cœur et dans la vie de Frida mais il accapare aussi toute l’attention du public de l’époque. Ce livre tend à montrer le génie de cette femme – icône pop actuelle mais trop souvent mal connue – à la mettre en lumière et à lui rendre ses couleurs, elle qui a été une bonne partie de sa vie dans l’ombre de ce géant. Tour à tour présentée comme sorcière et magicienne, elle a éclairé de son tempérament de feu tous ceux qui l’ont fréquentée.

On aime le choix des couleurs comme fil rouge pour raconter cette vie vibrante de création. L’acharnement, la force vitale et une soif de peindre perdurent tout au long de sa vie. Sa flamme ne s’étiole pas. Beaucoup de style et de couleurs illuminent cette biographie romancée : les prairies vertes de son enfance, l’ocre des paysages, les couleurs tranchées et puissantes de ces peintures, les tons chauds de l’amour car, effectivement, Rien n’est noir dans la vie de Frida.

Extrait

“Frida peint son autoportrait dans une robe en velours de la couleur du vin d’Europe, avec un décolleté profond, un décolleté à s’y noyer. Son cou est interminable, on devine les tétons durcis sous l’étoffe. Derrière la mer bleu ardoise, presque noire, respire et les flots choquent. Elle est fatale.”

Rien n’est noir, Claire Berest, 22 août 2109, Stock.

5.# La Maison : quand la maison close devient une maison

(© Flammarion/Photo : Pascal Ito)

Le livre

Emma Becker, à qui l’on doit Mr, livre érotique remarqué d’une jeune prodige de l’écriture, revient ici avec un texte original, qui risque de faire à nouveau scandale.

L’histoire

Il y a quelques années, l’autrice décide de vivre dans une maison close à Berlin, où la prostitution est légale, et d’en faire le récit dans un livre. Cette aventure en immersion lui plaît tant qu’elle y restera finalement deux ans. Ce texte, qui mêle la description de son travail au bordel, des portraits de femmes et de clients ainsi que des réflexions sur elle et sur ce “métier” hors norme, en est le résultat.

L’autrice raconte sa première passe dans une maison close berlinoise : le Manège. Elle y connaît alors une réalité sordide, avant de découvrir la Maison, maison close exceptionnelle où règne beaucoup de solidarité entre les femmes. On se glisse, par le biais de l’autrice, se faisant appeler Justine en référence à Sade, derrière une porte, d’où l’on apercevrait par un trou de serrure, l’agitation de ce lieu. On observe, un peu voyeur·euse·s, les comportements impudiques des femmes qui y travaillent, ayant baissé leur garde face à une personne qu’elles considèrent des leurs.

Emma Becker décrit une certaine réalité, un type de prostitution dans un bordel bourgeois où les femmes sont souvent là pour arrondir leurs fins de mois. Elle s’interroge sur le fait de faire semblant, ce qui devient presque une seconde nature. Elle explique aussi les règles méconnues qui régissent les bordels.

Les putes, ces héroïnes de son “imaginaire érotique”, sont dans ce livre pour la plupart des femmes libres comme dans le Nana de Zola. Ce livre est une plaidoirie pour la réouverture des bordels en France.

Pourquoi on aime

Emma Becker dresse des portraits plus vrais que nature de prostituées et de clients, mais c’est surtout un livre sur les femmes. On sent l’amour de l’autrice pour ces prostituées qu’elle côtoie au quotidien et desquelles elle devient proche. Elle apporte beaucoup de nuances dans sa vision des choses et propose une perspective inédite sur le sujet, abordé de l’intérieur, via une expérience unique. Ce n’est bien entendu qu’une petite partie de la réalité de la prostitution – vu par un petit bout de la lorgnette –, mais elle avait été très peu décrite par le passé.

Citation

“J’ai toujours cru que j’écrivais sur les hommes. Avant de m’apercevoir que je n’écris que sur les femmes. Sur le fait d’en être une. Écrire sur les putes, qui sont payées pour être des femmes, qui sont vraiment des femmes, qui ne sont que ça ; écrire sur la nudité absolue de cette condition, c’est comme examiner mon sexe sous un microscope.”

La Maison, Emma Becker, 22 août 2019, Flammarion.

6.# Je l’aime : un cri d’amour pour une mère

(© Julliard/Photo : Maxime Reychman)

L’histoire

Loulou Robert, romancière de 26 ans, raconte l’histoire d’amour de ses parents et plus encore de sa mère, qui passera sa vie à aimer son père, un homme nommé ici M. (qui n’est autre que le journaliste Denis Robert).

À partir du moment où elle rencontre M., elle se met à l’aimer et se consacre corps et âme à lui. M. part sur ce qu’on comprend être l’affaire Gregory. Elle se lance dans le théâtre, joue en utilisant sa folie et sa douleur, se découvre douée pour autre chose que d’aimer puis arrête et se dissout dans cet amour trop fort.

C’est aussi une histoire de manque de confiance en soi, de guérison par l’amour, de la soumission et la discrétion des débuts à l’investissement d’une vie pleine. C’est surtout le portrait d’une femme, avec sa souffrance à se sentir inadaptée, pas à la hauteur.

Pourquoi on aime

Le style, vif et frénétique. Les phrases courtes claquent et expriment la brutalité de cet amour intense, de ceux qui font qu’on s’oublie et qu’on se perd. Par son écriture hachée, fiévreuse, on est embarqué·e·s dans le tourbillon de sa folie destructrice.

Ce texte est très intime, presque impudique, ce qui constitue aussi sa force. C’est violent, c’est dur, c’est beau : comme cet amour décrit sous toutes ses facettes. L’écriture sèche véhicule néanmoins beaucoup de chaleur et d’émotions.

Une fille qui avait envie de rétablir la vérité ou plutôt sa vérité, sur sa mère. Un autre cri d’amour. Puissant.

Extrait

“Et moi ? On en parle de mon sacrifice ? Il pleut de plus en plus fort. Non, moi si je me plains de ma vie, plutôt de mon absence de vie, je fais des caprices. Comme un gosse qui gémit parce qu’on ne lui achète pas de jouet. Je veux ma liberté de faire du bruit, d’être vulgaire, de fumer où je veux, quand je veux, de partir en vacances, de recevoir des attentions, des regards, d’être respectée, d’être moi. Juste être moi. Car là, ce que j’observe dans cette putain de porte-fenêtre, ce n’est pas moi. C’est un fantôme.
Un fantôme qui a appris à faire de bons gâteaux, qui a désappris à exister.”

Je l’aime, Loulou Robert, 22 août, Julliard.