Pourquoi vous devriez lire My Body, l’essai féministe d’Emily Ratajkowski

Publié le par Manon Marcillat,

Emrata s’y livre sans concession.

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Quand on a reçu, à la rédaction, un exemplaire de My Body d’Emily Ratajkowski, il a d’abord manqué d’être relégué sur les étagères réservées aux (trop) nombreux mémoires de célébrités que l’on reçoit chaque semaine. Mais parce que je suivais de près sa carrière, je connaissais le processus de déconstruction engagé par la top model depuis deux ans environ et, curieuse de connaître l’aboutissement de sa réflexion, j’ai sauvé in extremis son ouvrage de l’exil.

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En septembre 2020, Emily Ratajkowski publiait dans le New York Magazine un texte, intitulé “Buying Myself Back: When does a model own her own image?“, devenu l’article le plus lu de l’année du prestigieux magazine. Bien sûr, le nom d’Emily Ratajkowski, dit Emrata, la top model au près de 30 millions de followers, fait vendre. Mais la réflexion qu’elle menait dans les colonnes du magazine concernant les droits des mannequins sur leur propre image était selon moi inédite et valait d’être menée.

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Dans ce premier essai incisif, elle revenait sur les multiples fois où le contrôle de son image lui a échappé, symptomatique, pour elle, du manque de protection du droit à l’image des mannequins et plus généralement de la façon dont “Internet a fréquemment servi d’endroit où [certains] exploitent et distribuent des images de corps de femmes sans le consentement de ces dernières, pour leur profit à eux”.

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Ce système, qu’elle dénonce plus en longueur dans My Body, a notamment permis à un artiste de renom, Richard Prince, de s’approprier un de ses posts Instagram pour en faire une toile vendue 80 000 dollars, sans lui verser le moindre dollar de droits d’auteur. Ou à un photographe, qu’elle accuse également de l’avoir violée, de publier sans son consentement une série de polaroïds pris lors de cette même séance photo abusive. Ou encore à un ancien petit ami de diffuser sur le web des clichés intimes pris durant leur relation.

Cet essai était la première pierre d’une vaste opération de réappropriation de son corps par celle qui a toujours considéré qu’exposer ce même corps était une prise de pouvoir, encouragée très tôt par une mère obsédée par l’apparence physique de sa fille. Depuis, Emrata est elle-même devenu mère, un événement qui semble avoir profondément bouleversé son rapport à son corps. Aujourd’hui, elle publie donc My Body, une difficile et ambitieuse analyse de la marchandisation du corps par celle qui en a fait un lucratif gagne-pain et construit toute sa notoriété sur sa plastique de rêve.

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Révélée en 2013, dénudée, au monde entier, dans le clip “Blurred Lines” de Robin Thicke, les médias n’ont eu de cesse de l’interroger sur le sexisme véhiculé – ou non – par le clip. Elle expliquait, encore et encore, s’être simplement sentie à l’aise sur scène, dans son corps et dans sa nudité. Mais Emrata ne revendique pas cette hypersexualisation assumée comme du féminisme, mais plutôt comme ce qui lui a offert une notoriété qu’elle n’aurait pas eue autrement. Et son avis sur la question n’a pas changé. À un détail près : désormais largement connue et reconnue, elle a osé révéler l’agression sexuelle dont elle a été victime de la part du chanteur sur le tournage de ce même clip.

“Quand j’avais vingt ans […] accepter la réalité de la dynamique en jeu, cela aurait signifié que je reconnais à quel point mon pouvoir était limité – à quel point le pouvoir de n’importe quelle femme l’est quand elle survit dans le monde, même quand elle réussit, comme un objet à regarder.”

Le pouvoir, c’est ce qu’Emily Ratajkowski a toujours voulu. “Il m’avait toujours paru évident que la femme la plus désirable, la plus attirante, c’est toujours elle la plus puissante quel que soit l’endroit où elle se trouvait“. Et ce qui fait l’efficacité de cet essai, c’est que son auteure accepte de se dévoiler sous un jour peu flatteur, celui de l’aspirante mannequin à l’ambition féroce qui s’est volontiers pliée au désir masculin, consciente de ses atouts et sans se poser de questions.

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Sa logique – et celle de toute l’industrie – était alors la suivante : avoir le pouvoir implique d’être mince, “plus les chiffres sur ma balance descendaient, plus ceux inscrits sur les chèques montaient” et poser nue permet de gagner plus d’argent, “être nue ne me met jamais mal à l’aise, je suis toujours prête à me déshabiller“. Mais si dans ces lignes, elle ne s’épargne pas, c’est pour dénoncer avec plus de force encore, une industrie qui lui a permis d’exister uniquement car elle a plu aux hommes.

Depuis une décennie, Emily Ratajkowski navigue dans les eaux troubles du mannequinat et plus largement du show-business, qui charrient leur lot de déchets et d’histoires sordides : de très jeunes femmes envoyées seules en shooting sans filet de sécurité, des photographes violeurs, des fans aux mains baladeuses, des soirées “remplies d’hommes qui deux ans plus tôt léchaient les bottes de Harvey Weinstein et encourageaient leurs jeunes clientes à prendre rendez-vous avec lui dans des chambres d’hôtel”, du mépris et beaucoup de fétichisation.

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Avec My Body, à mi-chemin entre le pamphlet politique et le repentir, Emrata prend sa part de responsabilité dans sa contribution à ce système patriarcal et assume, sans détour, la satisfaction qu’elle a longtemps éprouvé à être validée par le regard masculin ou son besoin d’être mieux que les autres femmes. Mais désormais, elle est décidée à dire ce qui n’est pas beau mais ce qui ne lui fait plus peur.

“Je suis prête à révéler toutes mes erreurs et mes contradictions pour toutes les femmes qui ne peuvent pas en faire autant, pour toutes les femmes qu’on a traitées de muses, sans même connaître leur nom, dont le silence a toujours été interprété comme un consentement. Pour en arriver là, c’est sur leurs épaules que je suis montée.”

My Body est publié en France aux éditions Seuil et disponible en librairie depuis le 14 janvier.