Depuis quelques semaines, la question est sur toutes les lèvres : comment rouvrir les restaurants, tout en respectant toutes les règles et la distanciation sociale ? Si les exemples de réouvertures en Asie permettent de se projeter dans une réalité qui pourrait bien débarquer chez nous prochainement, un designer français, Patrick Jouin, a planché sur des modèles de “barrières physiques” pour les restaurants. Une commande d’Alain Ducasse, avec qui il travaille depuis près de vingt ans. Les croquis ont, par la suite, été transmis au chef du gouvernement et pourraient être inclus dans le “guide des bonnes pratiques” face au Covid-19.
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© Patrick Jouin pour Alain Ducasse
Dans une interview au Monde, il explique son travail. “L’idée est qu’il faut avoir plus qu’une simple distance entre les tables pour installer la confiance : il faut recréer une architecture intérieure avec des barrières physiques les plus élégantes et légères possibles, pour éviter le tue-l’amour ou de perdre l’âme des lieux. Nous sommes dans le design de bon sens, presque un non-design, afin que tout le monde puisse se l’approprier.”
“Nous avons donc nettement délimité des espaces pour les convives par des paravents ‘faits maison’, mobiles et translucides. Ils respecteront des dimensions imposées par les autorités sanitaires. Les matériaux, eux, se doivent d’être très bon marché et faciles à mettre en œuvre par le personnel. Les paravents peuvent être simplement réalisés avec des châssis de peintre sur lesquels est tendu ou accroché du film transparent ‘cristal’, celui des fleuristes. On peut imaginer que le cadre soit fait aussi à partir de branchages, plus poétiques. Chaque établissement montrerait ainsi sa créativité.”
Pas du goût de tous
Dans ses croquis, il a également travaillé sur la question cruciale du service et de la distance à respecter entre le serveur et les convives. “Pour deux personnes, j’ai prévu qu’une table d’appoint serve de mise à distance avec le serveur. Il va déposer les assiettes et chaque convive se servira lui-même. Au cas où une fourchette tomberait, ce qui ne manquera pas d’arriver, on y a mis des couverts de secours, dit-il. Il n’y a plus de menus réutilisables et quand deux convives le souhaitent, on peut disposer entre eux un écran transparent. J’ai dessiné un centre de table constitué d’un cerclage vide pour y accrocher une feuille de film cristal. On peut imaginer de le piquer dans un pot de terre, ou d’utiliser un autre plastique très fin, dont on fait les classeurs transparents.”
© Patrick Jouin pour Alain Ducasse
Ces barrières physiques et cloisons ne sont, toutefois, pas du goût de tous. Dans un post publié sur Facebook, le chef Gauthier Moncel du restaurant Les Grandes Bouches n’a pas mâché ses mots sur ces “concepts” et plus largement, sur l’empressement d’Alain Ducasse à rouvrir au plus vite. “Une belle pince à linge, une visseuse (avec ou sans fil), deux ou trois tiges de bambous, un beau tasseau de bois et on rouvre le 15 juin ! Le sourire aux lèvres sous nos masques ! Oh, eh, les Grands Chefs ! Vous ne nous prenez pas pour des billes ?”
“Et non, Monsieur Ducasse, je n’utiliserai pas votre tuto pour rouvrir mon petit restaurant de 30 couverts dans 32 m2 le plus tôt possible. Pourquoi ? Parce qu’avec votre joli écran entre les tables, je fais moins de 16 couverts par service et je perds encore plus d’argent qu’en étant fermé. Je n’organiserai pas une réunion de retour d’expérience sur les mesures anti-Covid de 30 minutes tous les matins. Pourquoi ? Parce qu’on est 5 à faire tourner l’affaire et que le matin, il faut taper les poissons, lancer les cuissons, laver les chiottes et mettre en place la salle et qu’on est déjà borderline sur le temps de travail de l’équipe.”