On a rencontré Ruben, un barista italien qui a émigré en Australie il y a trois ans. Pour lui, le café de la plus grande île du monde n’est même pas comparable avec celui d’Italie, où il a pourtant la réputation d’être une institution.
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En vadrouille à Sydney, Club Sandwich a rencontré Ruben, un barista trentenaire originaire de Turin (Italie du Nord). Son verdict est sans appel : son cher pays d’origine devrait prendre de la graine de l’art du café à l’australienne. On a discuté de la culture du café avec ce repenti qui assume complètement son point de vue, sans vouloir en faire une généralité pour autant. En tant qu’Italien, Ruben en connait un rayon sur le café, cette boisson que l’on attribue automatiquement à son pays. Sans se douter que son expérience australienne changerait à jamais son approche :
“J’ai grandi avec ma mère qui faisait du café cinq à six fois par jour – souvent des expressos et parfois des macchiatos. En Italie, j’étais un grand buveur de café – genre six tasses par jour, même après dîner ou avant d’aller dormir – mais je ne m’interrogeais pas trop sur le café. C’est en arrivant en Australie il y a trois ans et en bossant en tant que barista que j’ai commencé à réaliser certains trucs. Puis lorsque je suis retourné en Italie il y a six mois et que j’ai pu vraiment établir une comparaison.”
Une comparaison qui se situe, selon lui, tant du point de vue de la recette que de l’attitude. Explications.
L’art du café à l’australienne : une religion
“En Italie on est fiers de nos produits, de ce que l’on cuisine et on a l’habitude de mettre beaucoup de passion dans ce que l’on fait”, commence Ruben. Une gastronomie dont il est fier et dont il ne mettra jamais en doute la supériorité (surtout les pizzas, confie-t-il). Néanmoins, lorsque l’on se penche sur le cas du café, son discours change radicalement : “Je ne retrouve pas tous ces efforts dans notre façon de faire du café. C’est complètement différent de la gastronomie ! C’est comme si on s’en fichait un peu, en fait”, déplore-t-il.
Et en effet, difficile de rivaliser avec l’exigence des Australiens vis-à-vis de leur café. Ici, le café n’est pas une tradition, c’est carrément une religion ! Impossible de lister l’infinité de combinaisons de cafés possibles. Si bien que chacun exprime un peu sa personnalité en fonction des ingrédients qu’il y met : long black, short black, flat white, latte, cappuccino, macciato, lait d’amande, de soja, de coco, chaud (entre 65 et 70 degrés) ou froid, avec ou sans sucre, avec ou sans mousse, avec ou sans poudre chocolatée, sur place ou à emporter, simple ou double shot… Bref, à chacun son café, et le barista n’a pas intérêt à se planter.
“Si tu demandes un truc pareil en Italie, on va te regarder bizarrement, s’amuse Ruben. Et de toute façon, ça n’arrivera pas.” Un manque de professionnalisme selon lui : “Ici, les baristas travaillent avec des recettes ! Ils connaissent chaque détail, de l’extraction au nombre de shots en passant par la température. En Italie on a trois-quatre sortes de cafés, et quand j’y suis retourné en vacances l’été dernier, je les ai majoritairement trouvé insipides, avec trop d’eau dedans. C’est pour ça qu’on en boit autant. Ici, si je bois un café après 16 heures, je ne peux pas dormir.”
Être barista en Australie est un travail à part entière : “Ici, si tu fais du café, tu es barista et tu ne fais que ça : t’es débordé, tu peux passer 5 minutes à faire une commande. En Italie, tu fais plusieurs trucs en même temps, le café c’est pas un truc qui va t’occuper. En plus ici, il y a le latte art. En Italie on s’en fout de dessiner un cœur avec de la mousse de lait, alors qu’ici ça va de soi.”
Un style plus relax
Mais le café est aussi une question de style. En Italie (comme en France d’ailleurs), on n’appréhende pas vraiment le café comme un moment à part entière. On boit son café sur le pouce, debout au bar :
“On ne s’assoit même pas pour boire notre café ! On le descend cul sec, alors pourquoi prendre la peine de t’asseoir vu que tu vas devoir te relever deux secondes après ? Ici, les gens prennent le temps de déguster, ils se détendent autour d’un café, ils discutent… Il y a tout une atmosphère. Chez nous, j’ai l’impression que l’on s’en fiche un peu.”
Un automatisme du café à la va-vite qui surprend Ruben à son arrivée : “Un jour, à mes débuts de barista en Australie, je me suis pris une remarque d’une cliente parce que j’avais débarrassé son café alors qu’elle n’avait pas terminé sa tasse. Parce que pour moi, si tu ne buvais pas ton café dans la seconde, c’est que tu n’en voulais plus, rigole-t-il avec le recul. D’ailleurs, avant d’arriver ici, je n’aimais pas le café trop chaud : comme tu veux le boire tout de suite, soit tu te brûle la langue, soit tu dois attendre et du coup c’est chiant.” En Australie, le moment café, c’est sacré, de préférence en prenant son temps. Ici, ça s’appelle la culture “laid back” (c’est-à-dire “relax”).
Comment expliquer ces disparités entre le traditionnel pays du café et son concurrent australien ? “La différence, c’est que l’Australie est un pays multiculturel où tout le monde vient d’ailleurs et ramène avec lui ses propres spécificités et ses propres compétences. Donc si tu rassembles plusieurs points de vue différents, tu crées forcément quelque chose de meilleur. Et c’est une remarque d’ordre général qui ne s’applique pas qu’au café d’ailleurs”, affirme Ruben. Mais pas encore à la pizza visiblement !