Rania est née en France de deux parents palestiniens, son père est un réfugié de la Nakba originaire de Jaffa, sa mère de Jérusalem. Captivée depuis toujours par sa culture, elle ouvre un blog en 2015, Les Ptits Plats Palestiniens de Rania, pour partager et faire découvrir la cuisine de son pays d’origine.
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L’engouement est tel qu’elle décide d’y consacrer sa vie et d’aller plus loin en ouvrant le premier Centre culturel et gastronomique palestinien de France. Rencontre avec cette passionnée qui porte son projet comme sa “raison de vivre”.
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Club Sandwich | Comment tout a commencé ?
Rania | J’ai toujours été fascinée par ce qui touche à mes origines, j’ai passé une partie de ma vie en Jordanie où on trouve une importante communauté palestinienne, ce qui m’a encore plus rapprochée de cette culture. En rentrant France en 2013, j’ai voulu reproduire une recette que je faisais là-bas mais pas moyen de la trouver sur Internet en français.
Étonnée, j’ai commencé à publier des recettes sur ma page Facebook et ça a très vite pris. Ma démarche a vraiment intéressé les gens, beaucoup m’ont dit : “C’est génial on ne connaissait pas du tout ce côté-là de la Palestine”. J’ai ensuite lancé mon blog en juillet 2015 et ça ne s’est pas arrêté depuis. J’y partage des recettes, des articles sur le quotidien des Palestiniens autour de la cuisine ou mes anecdotes personnelles. Je donne aussi des cours de cuisine et je fais des buffets pour des associations.
Kefta aux pommes de terre à la sauce tahina (© Les Ptits Plats Palestiniens de Rania)
Comment t’es venu l’idée de monter un centre culturel et gastronomique palestinien ?
Cela fait un an que j’y réfléchis et plus de deux ans que je travaille sur ce projet. J’ai quitté mon emploi pour m’y consacrer pleinement. J’étais la seule à le faire et si j’avais arrêté, qui l’aurait fait ? En France, on ne trouve que deux restaurants palestiniens mais de ce que j’ai pu en voir c’est plutôt un mélange de cuisines palestinienne, libanaise et syrienne.
“La promotion de ma culture, pour moi, c’est ce qu’il y a de plus important”
Mon objectif c’est de créer le premier Centre culturel et gastronomique palestinien de France dans lequel il y aurait de la vraie gastronomie palestinienne, je voudrais pouvoir toucher toutes les communautés, toutes les classes sociales pour faire découvrir ma culture à ceux qui ne la connaissent pas encore.
Il y aura quoi dans le centre ?
On y trouvera un restaurant bien sûr, dans lequel je cuisinerais mais aussi une épicerie fine, une boutique artisanale, une salle de spectacle gérée par un pôle culturel associatif et une bibliothèque partagée. J’aimerais créer un lieu de vie convivial, à l’image de ma cuisine.
Comment comptes-tu t’y prendre ?
J’ai été suivi par un incubateur de porteur de projet qui s’appelle Singa pendant six mois durant lesquels j’ai eu l’occasion entre autres de rencontrer des entrepreneurs et des étudiants de l’ESSEC. J’ai lancé ensuite une campagne de financement participatif qui est toujours en cours sur la plateforme Cotisup et je suis actuellement sur un potentiel local dans le 93 qui pourrait accueillir le centre.
“La cuisine palestinienne, c’est le bonheur de tous les végétariens”
Que pourra-t-on y manger ?
On y trouvera des plats traditionnels palestiniens élaborés avec des produits bio ou locaux de la région parisienne dans une optique éthique et solidaire. J’aimerais aussi tendre au maximum vers le zéro déchet et exclure les sodas, je ne proposerais que des boissons fraîches et saines que je ferais moi-même. J’aimerais aussi proposer des petits-déjeuners palestiniens salés avec des mana’ich (des petits pains) au zataar, un mélange d’épices verts, ou au fromage et différents dips dont le houmous.
Le foul, une purée de fèves au citron, ail, tahina et huile d’olive. (© Les Ptits Plats Palestiniens de Rania)
Que peux-tu nous dire sur la gastronomie palestinienne ?
Elle est étonnante, extrêmement riche, colorée, variée et très saine. On a également une gamme végétarienne incroyable et c’est une cuisine hyper complète avec des féculents, des protéines et beaucoup de légumes. Je peux rajouter qu’elle est conviviale et généreuse, quand j’étais petite, on se réunissait tous en cercle pour les repas et c’est cette ambiance que j’aimerais retrouver dans mon centre.
Des épices incontournables ?
On a bien sûr le zaatar, un mélange d’épices (thym, origan, sésame et sumac le plus souvent) qu’on a tous les jours à notre table ; le sumac qui donne à nos plats un côté citronné mais aussi la cardamome ou la cannelle. Dans les desserts, l’eau de fleur d’oranger et l’eau de rose sont incontournables ainsi que le mastic et le mahaleb, une amande extraite de cerises sauvages.
Frikeh au poulet et aux amandes grillées. (© Les Ptits Plats Palestiniens de Rania)
Tu peux nous parler de quelques plats traditionnels palestiniens ?
Le plat traditionnel, c’est le musakhan, un pain plat légèrement épais qu’on appelle taboun qui est cuit dans un four souterrain sur des pierres. On y met énormément d’oignons revenus dans de l’huile d’olive avec du sumac et des morceaux de poulet.
“J’aimerais banaliser et donner une visibilité à la gastronomie palestinienne autrement que par le prisme du conflit”
On a aussi le makloubeh, qui ressemble à une espèce de gâteau avec des strates de viande, d’aubergines, de pommes de terre et de riz épicé et on est également les champions du monde des légumes farcis. Côté sucré, le kenafeh se présente avec de la pâte filo broyée revenue dans du beurre clarifié à laquelle on ajoute du fromage de Naplouse, des pistaches et du sirop pour un dessert sucré salé qui se mange chaud.
Le makloubeh, un gâteau de riz épicé aux légumes frits et à la viande d’agneau ou de poulet. (© Les Ptits Plats Palestiniens de Rania)
Le knaffeh, un dessert fait de pâte à katayef, de fromage de Naplouse, de pistaches et de sirop de rose. (© Les Ptits Plats Palestiniens de Rania)
Un plat favori à nous faire partager ?
J’adore les feuilles de vigne, on en trouve au riz et à la viande (waraq al-’ainib) ou des végétariennes (mahashi) garnies de coriandre, de menthe, de poivrons verts et de tomates, elles me rappellent des souvenirs de pliage en famille.
“C’est un acte de résistance, une résistance dans l’assiette qui passe par la transmission de ma culture”
Comment tu perçois ton projet par rapport au conflit israélo-palestinien ?
J’aimerais banaliser et donner une visibilité à la gastronomie palestinienne autrement que par le prisme du conflit et c’est compliqué car quand on présente un projet comme étant palestinien, des portes se ferment car on l’associe automatiquement à la lutte et la résistance. Beaucoup de mes compatriotes palestiniens ont ouvert des restaurants sous étiquette libanaise parce que c’est très compliqué de dire que c’est palestinien.
Ce que je voudrais, c’est vraiment lutter contre l’oubli. Avec les années, certaines recettes se font de moins en moins et les maintenir correspond pour moi à un acte de résistance, c’est une résistance dans l’assiette qui passe par la transmission de ma culture.
En attendant l’ouverture du centre, comment peut-on en apprendre davantage sur la cuisine palestinienne ?
Sur les réseaux sociaux on trouve d’excellentes blogueuses de la diaspora comme Joudie Kalla du blog Palestine on a Plate, ou l’artiste et cheffe Mirna Bamieh de la Palestine Hosting Society qui fait un travail de mémoire culinaire incroyable en allant à la rencontre des anciennes générations.
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Rania organise un repas rétributif le 15 juin prochain à la Plaine Saint-Denis pour tous ceux qui mettent 35 euros sur sa cagnotte Cotisup. Rendez-vous sur sa page Facebook pour plus d’informations sur son actualité ou sur sa page Cotisup si vous souhaitez soutenir son projet.