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Pourquoi vous devriez penser à Louis XVI en mangeant vos Chocapic le matin ?

Pourquoi vous devriez penser à Louis XVI en mangeant vos Chocapic le matin ?

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(© Getty Images)

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Par Michel Sarnikov

Publié le

Comment se fait-il que les Français soient les seuls à dire "petit déjeuner" ?

Vous vous êtes déjà retrouvé·e sur une de ces terres francophones qui sentent la poutine, la fondue ou la frite, et vu proposer d’aller “déjeuner” à 8 heures du matin ou d’aller “souper” à 8 heures du soir ? Si oui, félicitations ! Vous vous êtes rendu·e dans un pays par lequel la France est passée à un moment ou à un autre de l’Histoire : le Canada, la Suisse ou la Belgique.

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Et dans ces contrées aux mots rigolos, vous n’avez sans doute pas manqué de vous demander pourquoi ça parlait bizarre – ou, si vous êtes quelqu’un de bienveillant, mieuxveillant que moi : pourquoi la France est le seul pays francophone à “petit-déjeuner” le matin, “déjeuner” le midi, et “dîner” le soir, alors que les autres, le matin, “déjeunent”, le midi “dînent” et le soir “soupent” ?

En toute logique, le premier repas de la journée devrait être le déjeuner, pour la simple et bonne raison que c’est littéralement ce que le mot signifie : rompre le jeûne, dé-jeûner. Aucune raison cartésienne, donc, d’ajouter un petit “petit” avant le terme et d’exfiltrer ce peuchère de souper.

Cela dit, demander de la logique à un peuple qui a décrété qu’après quarante, cinquante et soixante, ça partait en soixante-dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix, c’est très audacieux. Toutefois, comme derrière nos nombres ravagés au sol, il existe une explication historique à notre “petit déjeuner”, car fut un temps où nous aussi commencions notre journée par un simple “déjeuner”.

Mais alors, que diable est-il arrivé ?

En France, il y a longtemps, tout le monde dé-jeunait le matin à peu près à la même heure. La France faisait alors nation, toutes classes sociales confondues, dans une parfaite harmonie matinale. Sauf qu’au fil des siècles, l’aristocratie s’est mise à se réveiller de plus en plus tard, parce que ça faisait la bamboche toute la nuit. Le premier repas de la journée se trouvait repoussé à des heures de plus en plus indécentes, et de moins en moins adaptées aux impératifs horaires des autres classes sociales. Louis XVI avait le luxe de se lever quand il le désirait, les paysans, pas.

Naturellement, ce décalage tout aristocratique du déjeuner influençait pour la cour les heures du dîner et du souper, elles aussi décalées : le déjeuner a peu à peu pris la place du dîner, le dîner du souper et le souper du médianoche – une collation de nuit. Les coutumes royales prévalant toujours sur celles du peuple (car si le roi déjeune à 13 heures, le déjeuner, c’est à 13 heures), les petites gens ont dû s’adapter et inventer sur le tas un nouveau repas de fortune, avant le déjeuner tardif de la cour, histoire de ne pas avoir le ventre qui gargouille à 10 heures.

C’est ainsi qu’au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’idée du petit déjeuner est née. Mais avant qu’elle ne finisse par l’appeler “petit déjeuner”, la France a, pendant quelque temps, traversé un flou lexical assez remarquable : on a pu désigner ce nouveau repas comme “déjeuner du matin”, “premier déjeuner”, ou “petit déjeuner du matin”. Ce n’est qu’au cours du XXe siècle que tout le monde s’est mis d’accord sur “petit déjeuner”.

Comme nous l’apprend André Goosse, éminent grammairien belge, c’est à cette époque que “l’usage bourgeois et parisien” finit par l’emporter sur celui du reste de la France (et, selon les Parisiens, sur celui des autres pays francophones) : exit le déjeuner provincial, place au petit déjeuner mondain.

Le français, cette drôle de langue bordélique

En fait, on peut même opposer notre exception française aux mœurs britanniques qui disent encore aujourd’hui “breakfast”, “dinner” et “supper”, respectivement rompre le jeûne (break-fast, dé-jeuner), dîner, souper – parce qu’il se trouve qu’à eux aussi, nous avons jadis rendu une “petite visite de courtoisie”, comme nous aimons à les appeler, et adopté sur place l’attitude immémoriale des Français à l’étranger, c’est-à-dire apprendre zéro mot et attendre que tout le monde autour assimile notre langue.

Voilà, on fait comme ça, nous. Cocorico. C’est bien la preuve qu’au moment où le Royaume-Uni, la Belgique, la Suisse ou le Québec ont adopté nos noms de repas, les Français n’avaient pas encore inventé le “petit déjeuner”, et que, pour une raison ou pour une autre, nous sommes le seul pays francophone à avoir eu besoin de ce curieux terme.

Donc pourquoi la France est le seul pays à “petit-déjeuner” ? Parce que nos aristocrates n’étaient pas foutus de se lever avant midi. Voilà l’exception française ; et une nouvelle preuve, s’il en fallait, que le français est une langue éminemment bordélique. Elle a été figée, certes, à coups de dictionnaires et d’Académie française, mais reste le produit d’une évolution confuse – amusante et confuse.

D’accord, cette relative immobilisation a permis aux Français·es de se comprendre du nord au sud, ce qui n’a pas toujours été le cas, mais n’ayons pas peur de la voir changer encore, de crainte qu’elle perde une pureté fantasmée ou son immortelle beauté. Il n’y a jamais eu grand-chose de pur dans le français. N’oublions pas : si on “petit-déjeune” chaque matin, c’est parce que Louis XVI aimait faire des grasses mat’. Pensez-y, demain matin, quand vous vous réveillerez devant votre bol de Chocapic.