Pourquoi les producteurs de sel de l’Atlantique craignent-ils de disparaître ?

Pourquoi les producteurs de sel de l’Atlantique craignent-ils de disparaître ?

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© Loic Venance/AFP

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Par Konbini Food

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"On a réussi à renaître de nos cendres en misant sur la qualité et la différenciation. Si nous perdons cela, nous pourrions à nouveau disparaître."

“Nous pourrions disparaître.” Les petits producteurs de l’Atlantique attendent, fébriles, l’examen prévu le 8 mars à Bruxelles du projet de certification bio du sel, qui pourrait englober sous un même label artisans et industriels. En août, la Commission européenne avait publié un rapport ouvrant la voie à la labellisation bio d’un très large panel de techniques de production, notamment industrielles.

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Le projet de réglementation dont débattront les 27 s’avère “moins pire” que ce qu’Élisabeth Wattebled, saunière de Noirmoutier (Vendée), redoutait, mais reste selon elle “inacceptable”. “La façon dont on produit le sel prend beaucoup de temps et d’énergie humaine, on ne peut pas s’aligner sur les prix des industriels. Pour l’instant, ce n’est pas grave car la plupart des gens connaissent la différence. Mais demain, si vous avez deux sels bios et l’un moitié moins cher que l’autre, lequel choisirez-vous ?”, interroge la productrice de 50 ans, tout en écumant la vase de son marais salant.

Si plusieurs pratiques ont finalement été exclues du projet de réglementation, certaines posent encore problème aux paludiers (producteurs installés au nord de la Loire) et sauniers (au sud), comme l’extraction du sel de mine. Les 600 producteurs de Guérande (Loire-Atlantique), Noirmoutier (Vendée) et de l’île de Ré (Charente-Maritime), ne sont “pas contre” la labellisation bio du sel mais militent en faveur d’un cahier des charges strict.

“Je n’ai rien contre aucun procédé, il y a un marché pour tout. Mais nous mettre sur un pied d’équivalence, ça n’a pas de sens”, s’inquiète Christophe Annaheim, paludier de Guérande et président de l’Association française des producteurs de sel de l’Atlantique (AFPS). Bottes en plastique aux pieds, il travaille seul ses trois hectares de marais. “Les bonnes années”, il emploie deux à trois personnes au moment de la récolte. Le sel artisanal de l’Atlantique représente “moins de 1 %” du sel français et “une infime portion” du sel européen, selon l’AFPS.

“Crédibilité”

Fin février, l’Assemblée nationale a apporté un soutien de poids aux petits producteurs en adoptant une résolution qui invite le gouvernement “à défendre l’exigence forte attachée à la certification européenne du sel biologique et à ses méthodes de production”. “Tous les sels ne se valent pas. Il faut différencier les sels naturels et les sels industriels qui ne respectent pas les objectifs de développement durable de la France”, défend Sandrine Josso, députée Modem de Loire-Atlantique à l’origine du texte.

La résolution a été accueillie “favorablement” par le ministère de l’Agriculture. “Afin de garantir l’image et la crédibilité du label biologique, il est effectivement essentiel que les modes de production du sel biologique qui seront fixés soient fidèles aux grands principes de l’agriculture biologique”, a-t-il assuré. Mobilisée depuis l’été, l’AFPS dit avoir noué un “bon contact” avec le ministère et espère que la France négociera “de façon à protéger les producteurs traditionnels”.

Avec pour seuls outils une pelle et une planche de bois accrochée à un long manche, paludiers et sauniers travaillent dans leurs marais “comme on y travaillait déjà il y a mille ans”, rappelle Élisabeth Wattebled. Alors que Noirmoutier comptait dans les années 1950 pas moins de 750 sauniers, ils n’étaient plus qu’une vingtaine au début des années 1980, après l’industrialisation du secteur. Ils sont aujourd’hui 120, indique la coopérative locale.

“On a réussi à renaître de nos cendres en misant sur la qualité et la différenciation. Si nous perdons cela, nous pourrions à nouveau disparaître”, avertit Élisabeth Wattebled. La saunière soupire : “Et si c’est un label bio qui détruit les emplois de ceux qui travaillent de manière la plus écologique, on sera dans un paradoxe assez affolant.”

Konbini food avec AFP