Il est guide, défricheur de bonnes adresses et n’a pas sa langue dans sa poche. Depuis plus de dix ans maintenant, Guillaume Le Roux, un précurseur du genre dans le monde de la gastronomie, sillonne la capitale et ses environs à la recherche de bons plans, de tables de poche et de cantines de qualité. Ses critères de choix et d’évaluation sont simples et très transparents : “cuisine de qualité, service chaleureux, peu importe le standing”.
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Hype des bouis-bouis, petites galères, indépendance et évolution du paysage gastronomique parisien : on est allés lui poser quelques questions alors que vient de sortir son tout premier carto-guide papier, Le Bon plan restos.
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C’était important pour toi de coucher sur papier toutes ces adresses collectées depuis tant d’années ?
Au début, je voulais faire une appli, mais c’est trop compliqué si tu n’as pas une grosse structure derrière. Et puis je trouvais ça cool qu’il existe un objet – le web est si volatil. Pour autant, je ne voulais pas non plus créer un objet qui pollue pour rien, en gâchant du papier, j’avais là encore un vrai souci d’efficacité. Je voulais quelque chose de condensé et vif, mais qui soit le fruit d’années d’explorations et d’une forte analyse en amont.
“Les tables bon marché, ça devient la grosse mode, en témoigne la hype autour du mot ‘boui-boui'”
L’idée t’est venue quand ?
J’y pense depuis la création de mon site, 716, en 2008. Peut-être un peu après, genre 2010. J’ai galéré sur la forme, j’ai travaillé sur plusieurs projets, crois-moi, il y en a un paquet dans mon ordi. J’ai notamment une idée, qui reste ma grande idée, mais que je n’ai pas – encore – réussie à mettre à exécution. Je ne voulais pas faire de guide classique et je ne me sentais pas d’écrire de la littérature sur des restaurants, donc il me fallait une forme qui combine toutes mes envies.
Qu’est-ce que tu cherches quand tu pars découvrir un restaurant ?
J’ai besoin de savoir si on y mange bien et si c’est sympa, pas forcément beaucoup plus. Et puis peu de restaurants durent ou maintiennent une qualité égale au fil des années. Tu t’en rends compte quand tu bosses depuis dix ans sur le sujet, tellement il y a d’adresses qui changent en trois ou cinq ans. Donc, publier un livre où tu mentionnes une adresse qui ne marche plus au bout de trois ans, c’est un peu claqué.
“J’ai besoin de savoir si on y mange bien et si c’est sympa, pas forcément beaucoup plus.”
C’est quoi un bon guide ?
La sélection doit être ultra-solide, la prose est secondaire à mon sens. Le problème c’était de trouver une mise en forme qui justifie un contenu court. Je galérais et un pote m’a dit : “Pourquoi tu ne ferais pas un plan ?”. Et, là, ça résolvait toutes les questions que je me posais en termes d’objet, de contenu et d’investissement, car je fais tout en autoédition.
Plusieurs professionnels de la profession étaient étonnés que je n’ai pas trouvé d’éditeur. Mais je sais pourquoi : soit ils ne sont pas intéressés, soit on me parle de conceptualiser le truc. Ça va tout de suite devenir “les petites tables” ou bien un concept autour de prix modiques. Or, je ne veux rien lâcher de l’ADN de 716 : “cuisine de qualité, service chaleureux, peu importe le standing“.
Tu aurais pu faire un bouquin…
Je ne voulais pas faire de livre car ça ne correspondait pas à l’image que je me faisais d’un parisien en goguette. Je ne sors pas boire des coups avec un guide de restaurants dans la poche. Or, j’ai toujours voulu que mon site soit hyper-efficace. Je voulais la même chose pour la version papier. Quand j’ai créé 716, je voulais qu’il réponde à la question : “Où puis-je manger dans une demi-heure ?”.
“Je ne suis jamais allé dans des restos ‘roots’ en disant : ‘Oh, comme c’est cool de s’encanailler’. Je les ai toujours considérés à l’égal de restos plus chics.”
C’est aussi pour ça que j’ai choisi de ne faire figurer que les établissements que je recommande, car je ne voulais pas qu’on perde de temps à lire des chroniques dont, au final, on ne comprend pas bien si elles nous incitent à aller dans le lieu concerné ou pas. Et puis à l’heure du tout-numérique, de la saturation des écrans, c’est quand même cool de revenir à un bon vieux plan, efficace et ludique.
Toi qui couvres ces adresses depuis un bon moment, observes-tu une forme de hype autour de ces tables bon marché ?
Oui, carrément. Ça devient la grosse mode, en témoigne la hype autour du mot “boui-boui”. Moi, je ne l’emploie qu’avec parcimonie. On a l’impression que le “système” – je n’aime pas ce mot, mais vous m’avez compris –, a rincé la haute gastronomie, ensuite la bistronomie, puis la street food.
Là, il leur reste un dernier quart de camembert inexploité et ils se disent : “Oh, mais attends, il nous reste un truc à aspirer, on va regrouper tout ça sous le terme boui-boui, ça va être super cool“. Mais en faisant ça, ils tuent le dernier reliquat de restaurants qui ne pètent pas plus haut que leur cul, qui font un taf sans chichis mais sérieux, qui n’ont pas investi des mille et des cents dans la déco, qui continuent de penser que le confort du client est plus important que la rentabilité du banquier, etc.
“Je pars du principe que je peux bien cuisiner chez moi donc, si je sors, c’est pour que je me sente bien là où je vais”
C’est-à-dire ?
Moi, j’y ai toujours cru et je suis un pionnier dans ce domaine. Et surtout, je ne suis jamais allé dans des restos “roots” en disant “Oh, comme c’est cool de s’encanailler“. Je les ai toujours considérés à l’égal de restos plus chics. Les deux questions essentielles que je me pose, c’est : Est-ce que c’est sympa ? Est-ce que c’est bon ? Comme dans une soirée, lorsque tu rencontres du monde, tu t’en fous de savoir s’ils sont riches ou pas, habillés à la mode ou pas, tu veux parler avec des gens bien élevés et sympathiques.
On me dit parfois : “Le service tu t’en fous, tu y vas pour manger“. Eh bien non… Mais ça dépend juste des personnalités. Je suis sensible à mon environnement et je pars du principe que je peux bien cuisiner chez moi donc, si je sors, c’est pour que je me sente bien là où je vais. Sinon, ce n’est pas la peine de claquer mon oseille pour souffrir.
“J’ai voulu répondre à des questions auxquelles d’autres guides ne répondent pas forcément, mettre en valeur des quartiers pour lesquels on croit à tort qu’il n’y a rien.
Comment tu as fait le choix et le tri des adresses ?
Ç’a été un enfer. Un vrai duel entre cerveau droit et cerveau gauche. La journée, je couchais sur le papier des adresses auxquelles je pensais spontanément et puis à la nuit tombée je me disais : “Merde, j’ai pas mis celui-là. Oh non, dans ce quartier, j’ai quasi rien. Dans celui-là j’en ai mis beaucoup trop, comment je peux mettre deux banh mi à 200 mètres l’un de l’autre alors que, là, j’ai que dalle ?“. C’est ma copine qui m’a tranquillisé en me disant : “Vas-y, mets que ce que tu kiffes, assume ta subjectivité, ne cherche pas à faire un annuaire équilibré“.
Donc, oui, je connais plein d’autres restaurants que ceux qui figurent sur le Bon Plan restos, il y en a beaucoup que j’aime qui n’y apparaissent pas, mais il fallait faire un choix. J’en voulais 80, ça claque bien et sur un plan, on peut difficilement en mettre plus – du moins si on veut y joindre des commentaires.
Il y a aussi un parti pris presque politique dans ta manière de couvrir ces quartiers et ces adresses…
J’ai voulu répondre à des questions auxquelles d’autres guides ne répondent pas forcément, mettre en valeur des quartiers qui paraissent oubliés des médias et pour lesquels on croit à tort “qu’il n’y a rien”. Mais aussi sortir des perles dans des coins ultra-fréquentés où il est dur de se sentir chez soi.
Pour moi c’est important de garder la même ligne que pour les repas mystère par exemple : explorer le grand Paris dans son ensemble, (re)découvrir des quartiers, ne pas s’attarder dans d’autres devenus impersonnels. Un restaurant c’est d’abord le quartier dans lequel il est, ça en dit beaucoup sur son écosystème.
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Les trois adresses immanquables de Guillaume Le Roux
- Mad’eo : “Cette crêperie est petite par la taille et grande par le cœur, à deux pas du Parc des expos de la Porte de Versailles, un endroit où les bonnes pioches chaleureuses sont rares.”
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Pho Quynh : “Vous saviez qu’il y avait une forte communauté vietnamienne à Torcy ? Cela se ressent dans la qualité des restos. Pho Quynh propose un des excellents ‘phô’ d’Ile-de-France et dans une ambiance authentique, car c’est plein le week-end.”
- La cantine de la Maison de la Culture Arménienne : “La dame me dit souvent que j’ai été le 1er à en parler, l’adresse a désormais du succès mais ça reste un plan en or. Achetez le plan pour en savoir plus.”
Pour se procurer le guide (8,90 euros), c’est par ici ou rendez-vous directement à la Librairie gourmande (Paris IIe) ou à la galerie Anne Barrault (Paris IIIe).