À vue d’œil, Sosima Olivera peut évaluer la qualité d’un agave, la plante du mezcal, l’alcool mexicain à la mode dont les producteurs artisanaux redoutent les fruits amers du succès international et de la surexploitation.
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“La bouteille (de mezcal) est un résumé de tout ce que nous faisons depuis des années”, se félicite Sosima en arpentant ses plantations de feuilles vertes, épaisses, géantes, grimpantes et piquantes — à ne pas confondre avec des cactus — à travers les collines de Sola de Vega, dans le Sud-Ouest du Mexique.
Sosima, 50 ans, anime un collectif de “mezcaleros” dans l’État du Oaxaca, un raccourci du Mexique entre côte Pacifique et extrémité Sud de la Sierra madre, avec des traditions authentiquement entretenues par les communautés zapotèques et mixtèques. Oaxaca est le berceau du mezcal, dont la cote grimpe dans les bars à cocktails aux États-Unis, au Canada, en Espagne, en France et en Allemagne.
Les exportations sont passées de 19,7 millions de dollars en 2015 à 62,9 millions en 2020, selon les données officielles. Les marques font souvent allusion à l’euphorie que procure un alcool qui chauffe les entrailles à 40 ou 50 degrés : “Viejo indecente” (vieil indécent), “Pierde almas” (âmes perdues), “Mil diablos” (mille démons).
Des “mezcalerias” ont flairé la bonne affaire autour de la cathédrale Santo Domingo à Oaxaca-ville, le fief de grands artistes mexicains du XXe siècle (Francisco Toledo et Rufino Tamayo) pris d’assaut par les touristes. Ces débits de boissons servent le mezcal dans des dés à coudre malgré le dicton local qu’il vaut mieux ne pas prendre au pied de la lettre, en effet : “Pour chaque mal, un mezcal. Pour chaque bonheur aussi. Elle s’il n’y a pas de solution, un litre et demi”.
Sans agave, pas de mezcal
Le mezcal dérive de l’agave — également appelé maguey, plantes de la famille des Asparagaceae -, tout comme la tequila, fille unique de l’agave bleu de l’État du Jalisco, plus au nord. Plus raffiné au goût, le mezcal utilise différents types de plantes et sa production artisanale prend plus de temps d’élaboration.
Certaines plantes demandent 13 et 15 ans pour mûrir, et même jusqu’à 17 ans dans le cas du “tepeztate”. Loin de se réjouir de la notoriété mondiale du mezcal, Sosima s’inquiète des conséquences du boom de la demande commerciale.
“S’il y a besoin de davantage de plantes, il y a davantage d’exploitations de la terre, des paysages, de la biodiversité, du bois”, analyse-t-elle, face à ses jarres en argile dans laquelle elle distille une eau-de-vie de sa propre marque, Fane Kantsini (“trois colibris” en chontal, sa langue indigène).
“Très peu d’efforts sont faits pour conserver les espèces d’agave”, déplore une autre productrice, Graciela Angeles, 43 ans. “Sans maguey, il n’y a pas de mezcal”, assène-t-elle, un dicton aussi vrai que celui en vogue dans les “mezcaleria” de Oaxaca-capitale.
Graciela cultive pour sa part de multiples variétés de graines et de semences sous une immense serre. Elle détaille le processus complexe de l’élaboration de la liqueur, dont la réussite dépend en grande partie du flair et du talent du maître “mezcalero”.
Autre danger : certains “palenques” (atelier de distillation) artisanaux ne sont en fait que des sous-traitants de grandes marques, avec l’arrivée de grands capitaux dans le commerce juteux du spiritueux. Une marque comme 400 conejos (“400 lapins”) a pignon sur rue jusque dans les duty-free des aéroports.
En moyenne, la bouteille de 750 ml coûte 40 dollars à Oaxaca. En contraste avec ce modèle affairiste, le mezcal de Sosima et de Graciela est le fruit d’un lent processus. “Les petits producteurs comme nous vont toujours exister dans les villages”, espère Sosima. Des producteurs adeptes d’une agriculture raisonnée, semant peu mais bien, explique-t-elle en substance.
Les deux femmes productrices de mezcal organisent des séances de dégustation pour éduquer les consommateurs. “Ce qu’il y a derrière le mezcal, je l’ai appris après être tombé amoureux de la saveur”, affirme Christopher Govers, un touriste dans une fête du mezcal qui a attiré plusieurs centaines de personne à Oaxaca-capitale. Dans son dos, au plus fort de la fête, deux hommes passent en titubant.
Konbini avec AFP