“J’arrive au Pays basque comme un Américain irait au Japon pour servir le meilleur ramen possible”

“J’arrive au Pays basque comme un Américain irait au Japon pour servir le meilleur ramen possible”

Image :

© Gabrielle Brin pour Konbini

photo de profil

Par Robin Panfili

Publié le

Pour le premier épisode de notre série sur l’exil basque du chef Mathieu Rostaing-Tayard, il revient sur ce qu’implique d’adopter un nouveau territoire en tant que cuisinier.

La grandeur culinaire du Pays basque n’est pas nouvelle. Depuis de longues années, l’excellence règne sur la côte espagnole jusqu’aux frontières des Landes, mais elle connaît aujourd’hui une véritable petite révolution. Pour mieux la comprendre et la raconter, nous allons suivre, pendant de longs mois, les aventures du chef Mathieu Rostaing-Tayard, fraîchement installé à Biarritz, à la tête du restaurant Sillon.

À voir aussi sur Konbini

Épisode 1 | L’arrivée

Quiconque grandit dans le Sud-Ouest connaît la façade atlantique comme sa poche. Lorsqu’on est jeune, on arpente chaque été les grandes plages de Hossegor, avant de migrer vers Biarritz ou Saint-Jean-de-Luz, au fur et à mesure que les années défilent et que l’âge commence à avancer. Je suis l’un d’entre eux et j’ai suivi ce cycle de la vie comme tous les jeunes gens de ma génération. Aujourd’hui, la migration estivale vers le Pays basque a beaucoup changé. Le tourisme a continué de grimper en flèche, bien sûr, mais les gens sont finalement restés. Après des années à hésiter et enchaîner les allers-retours, des citadins sont venus poser leurs valises ici, non sans quelques réticences des locaux.

Ce nouvel exode démographique a bousculé le quotidien de Biarritz, ville qui ne se réveillait autrefois que l’été, et désormais très vivante hors saison. Il lui a aussi donné un nouvel élan gastronomique. Une nouvelle génération de chefs, dont Mathieu Rostaing-Tayard fait partie, mène ainsi la barre, aux côtés des tables anciennes et respectées. Cuisinier depuis l’âge de 14 ans, celui qui a parcouru le monde et participé à la révolution gastronomique de Lyon, à la fin des années 2000, vient de s’installer à Biarritz, en famille.

S’il a longtemps pensé à quitter Lyon pour la Haute-Savoie, c’est finalement à l’opposé de la carte de la France qu’il a jeté son dévolu, alors que l’on entrait tout juste dans la panique d’une pandémie mondiale. “Assez vite, j’ai eu le Pays basque dans le viseur. Autant pour la richesse des produits que pour la qualité de vie, je me projetais assez bien là-bas”, confie-t-il.

Avant cela, le chef avait déjà fait quelques repérages, en écumant les bonnes tables du coin et en se renseignant sur les produits de la région. Il y est revenu, en famille, “pour se faire une idée” et voir s’il imaginait sa vie ici, avant de franchir le pas et de visiter plusieurs restaurants.

C’est finalement un drôle de hasard qui a tout précipité. Alors que les propriétaires du restaurant biarrot Carøe s’apprêtaient à quitter leur appartement à Biarritz, le chef et sa petite famille ont sauté sur l’occasion. Et pas n’importe laquelle, quand on sait comme il est devenu compliqué de se loger à l’année dans le coin. “On n’a pas hésité longtemps. On a fait nos valises et on est partis vivre sur place, en espérant trouver un restaurant une fois arrivés.”

Combattre les “fantasmes”

“Je sentais que j’avais beaucoup de choses à découvrir ici, tout en sachant que j’arrivais dans une région avec une grosse culture gastronomique”, prévient Mathieu Rostaing-Tayard. “Il y a eu plein de chefs basques que tout le monde respecte, comme Iñaki Aizpitarte, Etxebarri ou Mugaritz…” L’autre défi était de repartir de zéro, et ce n’était pas gagné d’avance.

À Lyon, le visage et la cuisine de Mathieu Rostaing-Tayard étaient connus, voire attendus. “Partir dans le Pays basque, une région avec une identité et une culture culinaire aussi fortes, c’était un vrai défi”, dit-il. “À Lyon, malgré sa réputation de capitale gastronomique, il n’y a plus de terroir, peu d’agriculture paysanne et finalement peu de produits. Je me sens mieux ici, en termes de gastronomie pure, que dans ce tiraillement entre une cuisine populaire et une cuisine très bourgeoise que l’on a à Lyon.”

Une fois arrivé, dans le Pays basque, l’heure est au décodage des traditions, des coutumes et des rites de la région. Pour Mathieu Rostaing-Tayard, il s’agit de comprendre le terroir, son histoire, mais aussi “comment on fait les choses”, et surtout “ce que l’on ne fait pas”“J’ai appris un truc tout con. Que le Pays basque a une approche de la cuisine à part, plus rude que celle du Sud-Ouest. Moi, par exemple, je sais que je suis plus ‘thon rouge et anchois’ que ‘foie gras et cannelé'”, plaisante-t-il. Et l’apprentissage se poursuit au restaurant.

Avant d’ouvrir la mouture actuelle de son restaurant Sillon, il a ouvert l’été dernier le temps de quelques mois pour commencer à appréhender sa cuisine dans un nouveau terroir. Parmi les entrées, il proposait une assiette de jambon avec, à la clé, un dilemme et un casse-tête qu’il n’aurait jamais cru possible. “Si je proposais un jambon assez classique, on aurait dit que j’étais un amateur qui n’y connaît pas grand-chose, si je mettais un jambon d’exception, on me prendrait pour un mec trop élitiste”, explique Mathieu Rostaing-Tayard. “Ici, il faut accepter de se confronter à cette nouvelle réalité, et au fait qu’un client pourra venir te demander à n’importe quel moment de quelle vallée vient le cochon que tu lui sers.”

Désormais, l’objectif de Sillon est de trouver son “chemin” et son équilibre. “Il faut trouver le bon angle de cuisine, celui qui conviendra à tout le monde : moi, un client étranger qui débarque en vacances au Pays basque ou un quarantenaire d’ici, qui n’en peut plus du chipiron. C’est ça, la complexité, faire plaisir à tous et proposer une cuisine personnelle, en restant ancré dans ce territoire. On n’est pas à Megève ou Saint-Tropez : en venant ici, j’avais envie de me confronter à cette équation.”

Faire connaissance

Aujourd’hui, débarquer à l’improviste au Pays basque ne se résume plus aux clichés des décennies passées. Mathieu Rostaing-Tayard peut en témoigner. Arrivé en plein confinement, alors que tous les bars et restaurants de la ville, de la région et du pays étaient fermés à double tour, il a pu compter sur un accueil chaleureux. “On a été hyper bien accueillis et cette pause forcée pour les chefs et restaurateurs nous a permis de faire connaissance et de prendre le temps d’échanger autour de nombreux barbecues”, dit-il. “Je ne me souviens pas avoir vécu une telle émulation avec le monde des chefs à Lyon, plus statutaire… Mais peut-être parce que j’étais encore jeune et que je suis aujourd’hui un peu plus détendu”, sourit-il.

© Louis Triol

Si la question du recrutement dans la restauration reste un problème, même à Biarritz, Sillon a finalement réussi à construire une petite équipe solide. La brigade compte des jeunes du coin, Dorian ou Suzanne, mais également des curieux qui se sont délocalisés de plein gré, par opportunité ou par volonté de découvrir la région. “Je sens qu’à un moment ou un autre, ça va devenir plus compliqué”, anticipe-t-il tout de même. “Ici, personne n’arrive à trouver un appartement, ou alors à des prix indécents. Beaucoup sont heureux de venir à Biarritz, mais ils se confrontent rapidement à la réalité. Ils se débrouillent souvent, en colocation, par exemple, mais ça reste problématique.”

Aujourd’hui, Sillon continue de prendre ses marques mais commence à faire son trou dans l’écosystème culinaire biarrot. “Je vis cette expérience comme un Américain qui partirait au Japon pour servir le meilleur ramen possible. J’essaie d’avoir une approche similaire, tout en conservant mon ADN et ce que je sais faire. Je m’inspire de la tradition, mais il faut faire le tri. Il y a une vraie tradition, mais également pas mal de bullshit et de folklore. On met du temps à démêler le vrai du faux…”

© Louis Triol

L’avantage, c’est que la cuisine brute et forte en caractère de Mathieu Rostaing-Tayard fonctionne bien ici. “J’adore les abats, les produits et les goûts marqués, eux aussi.” Pour décrire l’alchimie en cours, il évoque un taillage de thon blanc, aperçu chez un chef à Urrugne. Il n’avait jamais vu une telle découpe auparavant, où les deux ventrèches restent attachées. Le soir même, en ouvrant un livre de cuisine basque, il tombe à nouveau sur cette technique qui lui était inconnue.

“Le lendemain, j’ai immédiatement essayé de reproduire le geste et de faire cuire mon morceau de thon sur le yakitori que j’ai en cuisine, faute de pouvoir installer une parilla comme on en trouve beaucoup dans le Pays basque”, dit-il. “C’était un compromis symbolique, comme il y en aura beaucoup d’autres.” Et surtout, l’un des tournants de ce fameux “chemin”.