Au grand dam de ma timidité et de ma story Instagram.
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J’adore aller au restaurant. Du fait de mon métier, et par envie, j’y mange plusieurs fois par semaine, le plus souvent accompagné, et quand je suis seul, l’œil vissé sur mon feed Instagram. Le smartphone, béquille parfaite pour ne pas se sentir seul, n’a pas le glamour d’un bon roman, mais soyons honnêtes, je passe plus de temps à scroller entre midi et deux dans la brasserie du coin de la rue qu’à lire Proust.
Quand je mange seul, je vise souvent un établissement fréquenté, assez simple, et c’est quasiment exclusivement pour déjeuner. Mais j’adore les défis, alors pour savoir si on s’emmerde vraiment quand on va seul au resto sans antisèche, j’ai fréquenté quelques établissements sans téléphone dans la poche, sans la moindre lecture ni le moindre stylo pour griffonner quelque chose. Bref, un tête-à-tête avec moi-même, ma timidité et ma pleine conscience de ce qu’il y aura dans mon assiette.
Premier essai : une histoire de tempo
Premier essai, un midi, dans un resto de ramen. J’ai laissé mon portable chez moi. Je me sens franchement mal dès le coin de la rue parce que comme nous tous (ou presque), je suis complètement accro à ma connexion 4G. Un ramen, sans doute pour me la jouer Japonais solitaire sorti d’un anime pour mon premier essai, sauf que je ne suis pas à Tokyo, et que je serai le seul à déjeuner seul dans cet établissement.
Vous voyez le gars au comptoir qui alpague tout le monde dans le PMU où vous avez vos habitudes pour le café du samedi matin ? Je ne suis pas lui, je ne parle pas à tout le monde, loin de là. Bon, dans un resto, je me sens quand même plus à l’aise, et avant d’arriver, j’envisage le moment comme une mini-retraite avec deux objectifs : le premier, voir si l’esprit complètement libre, les saveurs des plats que je vais commander vont être plus profondes, et en second, juste m’octroyer un moment pour cogiter sur de nouvelles idées d’articles et d’autres trucs qui traînent dans ma tête.
Je commande des gyozas et un bol de ramen classique. Et là c’est un peu la panique dès l’entrée arrivée : à quelle vitesse je mange ? Est-ce que parce que je suis au restaurant, je dois finalement consommer mon déjeuner différemment que si j’étais seul chez moi ? Si j’étais avec quelqu’un, j’aurais posé mes baguettes à quel moment ? Je rigole intérieurement, et j’engloutis mon bol de ramen à bon rythme en écoutant d’une oreille les conversations des tables environnantes. Je demande l’addition et je pars. En 45 minutes, je ne me suis ni concentré sur mon assiette ni n’ai pris le temps de méditer, je me suis juste retrouvé comme un poisson rouge tournant en rond dans sa tête le malaise d’être seul dans ce resto. Une belle défaite, ce premier essai.
Deuxième essai : le bon client
En repensant à ma petite expérience, je réalise qu’il y a différentes sortes de repas en solitaire. Ayant plusieurs fois voyagé en solo, je n’ai pas du tout ressenti de malaise à manger seul au restaurant à l’étranger. C’est vraiment le côté proximité qui me met mal à l’aise, bien que ce ne soit pas plus raisonnable que ça. Pour mon deuxième essai, je la joue différemment et tel un étudiant Érasmus voulant créer le contact, je me dirige vers une cave à manger où je connais un peu le personnel. Assis au comptoir, portable éteint dans la poche, je me dis que j’aurai au moins quelques mots à échanger, et que le malaise ne s’emparera pas de moi.
Loin de moi l’idée d’être le relou qui parle au chef à tout va alors qu’il est en plein coup de feu dans sa cuisine ouverte, mais la simple proximité et les mains serrées avant de commander me font oublier tout de suite ma gêne d’être seul, et je trouve mon rythme ainsi qu’une bizarre forme de légitimité à manger seul. Quelques assiettes de tapas, un verre de rouge, et j’observe les gens autour de moi sans me sentir voyeur ou me faire écraser par le rythme lent des minutes qui s’écoulent. Pour autant, je ne passerai pas toute ma soirée ici, mais je repars le ventre plein et l’esprit léger.
Troisième essai : je suis le roi de ma table
Revigoré par ce deuxième essai concluant, je me lance dans ce qui m’effraie le plus : un dîner seul dans un resto un peu plus chic. Je réserve pour un. Arrivé sur place, le resto est à moitié vide et j’ai vraiment l’impression d’être un dudule maladroit. La serveuse me demande très gentiment si j’attends quelqu’un et ne sourcille pas quand je dis que non. Pour cet essai-là, je glisse mon esprit dans un rôle facile à endosser pour me sentir relax : je suis peut-être le critique de Ratatouille en mission pour filer des étoiles. (Ils doivent surtout me prendre pour un vendeur de fenêtres itinérant ayant envie de se faire un petit plaisir.)
Toujours pas de téléphone, mais la lecture de la carte me donne de quoi patienter tranquillement. Je regarde les assiettes qui arrivent sur les quelques tables occupées afin de choisir le plus judicieusement possible mon menu. Je commande, et commence en entrée par un risotto de panais, plutôt très bon. En plus de ne pouvoir dire à personne ce que j’en pense, pas de photo Instagram pour alimenter ma story. Et c’est le moment décisif de ce genre de repas.
Souvent, je mange pour raconter. Ici, je n’ai que moi-même dans une zone temporelle où je risque d’oublier ce que me procure cette assiette. Un peu comme si, sorti du cinéma, passé les 10 minutes de silence obligatoire, je ne pouvais pas lancer l’incontournable débrief par un “alors, t’as aimé ?”. Je dois garder pour moi cette assiette, et la juger pleinement sans biais, et finalement l’exercice s’avère gratifiant. Je suis le roi de ma table.
Assiette à (ne pas) partager
Lancé dans ma foulée, je termine ce repas sans jamais m’ennuyer, et passe étonnamment un très bon moment. Alors vais-je retourner au restaurant seul les mains dans les poches ? Sans doute pas, on s’y ennuie souvent. Mais quand l’assiette vaut vraiment le coup ou qu’il y a de l’ambiance autour de vous pour vous cacher, ce moment hors du temps peut s’avérer plaisant. Bref, n’allez pas manger seul, sauf, comme le dit si bien le proverbe, si vous êtes mal accompagné.