“Tout est jaune et sec à cause de la sécheresse, il n’y a plus assez d’herbe, on est obligé de descendre de l’alpage un mois plus tôt”. À la ferme des Lorettes, comme ailleurs dans les Alpes, les vaches, et donc les fromages traditionnels, souffrent de la chaleur. “On perd un reblochon par jour et par vache”, soit environ 5 % de la production. “Les anciens évoquent la sécheresse de 1976 ou de 2003, moi, j’étais trop jeune“, dit Théo Bargetzy, 28 ans dont six au sein de la GAEC des Lorettes (Haute-Savoie).
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Au plus chaud de l’été, le thermomètre a dépassé les 30 °C à 1 600 mètres d’altitude sur les hauteurs de La Clusaz, les névés de la chaîne des Aravis ont fondu en laissant la roche grise à nu, les prairies ont grillé faute de pluie. Les vaches donnent moins de lait et un lait moins riche, ce qui pèse sur le rendement.
Dans les vallées, les élevages ont davantage enduré les effets d’une canicule historique ponctuée mi-août par un bref épisode de pluie, à peine suffisant pour reverdir les prés. Globalement, la production laitière est “de moins 15 % par rapport à l’année passée” en relevé hebdomadaire, selon l’Association des Fromages Traditionnels des Alpes Savoyardes (AFTAlp).
Surtout, plusieurs dizaines d’éleveurs ont commencé à entamer leur fourrage d’hiver pour nourrir leur troupeau et poursuivre la production des fromages au lait cru — reblochon, tomme, beaufort, raclette ou emmental. “La situation est compliquée, on a déjà connu des sécheresses, mais là, ça prend partout, en France, en Italie et ailleurs en Europe”, souligne Jean-Luc Duclos, le président de l’AFTAlp.
Déjà affectés par “l’explosion des charges de gaz et d’électricité liées à la crise en Ukraine”, beaucoup redoutent une pénurie de foin et un effet de spéculation, selon lui. Ce quinquagénaire gère avec sa famille plus de 200 têtes de bétail pour la vente de viande et la production d’emmental. Située près de Frangy (Haute-Savoie), sa grande exploitation équipée d’un système de traite robotisé contrôlable par application numérique n’a plus grand-chose à voir avec le modeste élevage de son grand-père — “Quatre vaches sur quatre hectares pour nourrir onze enfants”.
“Avant, l’élevage relevait de l’économie de subsistance, mais ça se professionnalise, il y a de moins en moins de petites fermes, même si cela reste très patrimonial”, commente Félix Gallet, 46 ans, responsable technique de la coopérative du reblochon fermier de Thônes. Son métier : contrôler de l’étable à la cave les conditions de production des fromages traditionnels que certains pays voient comme des produits “dangereux” à cause des risques bactériologiques liés au lait cru.
“Mains vides”
À Thônes, bourgade de 7 000 habitants autoproclamée “capitale du reblochon”, la boutique de la coopérative ne désemplit pas. Certains jours, “les touristes qui montent à la ferme d’alpage repartent les mains vides car la production ne suffit pas [pour répondre] à la demande, surtout avec cette année de sécheresse”, explique Théo Bargetzy. Le jeune éleveur fabrique sur place ses reblochons fermiers et ses tommes. Il a appris les bases en lycée professionnel “et le reste, sur le terrain, jour après jour”.
Après la traite, le lait encore chaud est caillé avec la présure naturelle — de la “caillette” extraite de l’estomac des veaux —, réparti dans des moules tapissés de toile puis pressé à la main. Les reblochons sont séchés en cave sur des planches de bois jusqu’à formation d’une croûte crémeuse de couleur jaune orangé. Il faut au moins quatre litres de lait par pièce, le reblochon fermier de 450 grammes se vend 8 euros à la ferme. Pour amortir la hausse des charges, les producteurs savoyards ont déjà relevé les prix de leurs fromages de 5 à 10 % depuis début 2022, selon l’AFTAlp.
“Difficile d’aller plus haut, même pour un fromage de qualité : il faut tenir compte du pouvoir d’achat des consommateurs”, estime Félix Gallet, alors que certains dans la filière préconisent une nouvelle hausse d’au moins 5 %. La production laitière des deux Savoie représente 1,5 % de la production nationale et 15 % des volumes de fromages labellisés de France. En 2021, cette région montagneuse qui compte 220 000 hectares d’alpage a produit 39 850 tonnes de fromages labellisés (AOP et IGP) pour un chiffre d’affaires estimé à 320 millions d’euros, selon l’AFTAlp.
Konbini avec AFP