Au Texas, un chef cuisinier a lancé un restaurant à but non lucratif pour réinsérer des jeunes délinquants dans la vie active après leur sortie de prison.
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“Quand je les ai rencontrés, j’ai réalisé que j’avais à leur sujet des aprioris complètement clichés”, se souvient le célèbre chef cuisinier de Dallas, Chad Houser. La première expérience qu’il a eue avec des mineurs d’un centre de détention remonte à l’été 2007. “J’ai immédiatement compris cela parce que je me souviens avoir pensé qu’ils n’étaient pas du tout ce à quoi je m’attendais”, ajoute-t-il.
À cette époque, Chad Houser a été choisi pour être membre de l’équipe du marché de Dallas afin d’apprendre aux anciens jeunes détenus à faire de la glace, en vue d’une compétition qui allait les opposer à des étudiants d’une université culinaire. Avant de rencontrer ces jeunes, le chef était persuadé qu’ils n’auraient aucun intérêt pour la cuisine et manqueraient de motivation. Ils lui ont prouvé le contraire :
“Ils étaient très intelligents et incroyablement réceptifs. Ils étaient très enthousiastes d’apprendre quelque chose de nouveau dont ils pourraient être fiers. La blague, c’est qu’ils me regardaient tous dans les yeux et m’appelaient ‘monsieur’. En dix-neuf ans de carrière, j’avais été appelé par beaucoup de noms, mais jamais par ‘monsieur’.”
Après deux jours passés à apprendre à faire de la glace, les jeunes apprentis ont intégré la compétition. L’un d’entre eux en est ressorti gagnant, face à douze étudiants en cuisine. Gonflé de joie et de fierté, le vainqueur a confié à Chad Houser qu’il aimait cuisiner et donner le sourire aux gens. Cette expérience a été un catalyseur qui a poussé Chad Houser à ouvrir son restaurant à but non lucratif, Café Momentum.
L’opportunité de retrouver une vie normale
“Je suis sorti de là en sachant que je ne pourrais plus me plaindre du fait que personne n’aide ces gamins. Je me souviens avoir pensé : pourquoi je blâme les autres ? Moi-même je peux faire quelque chose et je ne le fais pas.”
Acclamé par les critiques, le restaurant de Chad donne une opportunité aux jeunes tout juste libérés du centre de détention de Dallas. Mais il ne s’agit pas que de leur donner une chance de gagner leur vie : Café Momentum offre aux délinquants non violents les outils pour se construire un quotidien. Le programme consiste en un stage de douze mois, payé plus que le salaire moyen de Dallas, qui est à 10 dollars de l’heure. Les apprentis travaillent les principes de base pour faire tourner un restaurant : assister le chef, servir les tables, faire la vaisselle, être à l’heure ou encore fonctionner en équipe et s’organiser, comme dans la vraie vie.
Le restaurant a des managers dont la tâche principale est de veiller aux besoins urgents des apprentis, comme leur santé (grâce à un partenariat avec l’hôpital régional) et l’obtention d’un logement. Environ 60 % d’entre eux vivent dans la rue à un moment ou à un autre de leur apprentissage. Ils obtiennent également de l’aide pour obtenir une pièce d’identité, ouvrir un compte bancaire, apprendre à tenir des comptes et préparer leur retour éventuel à l’école. Ils ont tous accès à des soins gratuits pour eux-mêmes ainsi que pour leur famille.
Trouver un job après l’apprentissage
Café Momentum travaille également au placement des apprentis diplômés au sein d’établissements partenaires. Parmi les grandes réussites du programme, celle d’un jeune homme qui a décroché une bourse d’un institut de la cuisine et de l’hôtellerie. Il a 17 ans, travaille dans un restaurant où il gagne entre 700 et 1000 dollars par semaine, a une couverture maladie complète et cotise pour sa retraite.
“Ces enfants sont considérés par le système comme des rebuts de la société. On les marque au fer rouge en leur répétant qu’ils ne sont rien. Je pense qu’il est criminel que nous traitions des enfants de cette manière dans ce pays”, insiste Chad Houser.
Avant que Café Momentum n’ouvre ses portes et rencontre le succès, le chef a déclaré qu’il a fait face à beaucoup d’opposants à son projet quand il cherchait des investisseurs et des donneurs. Les gens lui répétaient que ces jeunes ne veulent pas travailler, qu’ils veulent juste leur paye et qu’ils ne savent rien. Il raconte qu’on lui aurait demandé : “Que vas-tu faire quand ils commenceront à se poignarder les uns les autres dans la cuisine ?” Des propos que le chef estime horribles, racistes et basés sur des préjugés.
Faire connaître le programme
Ces retours hostiles l’ont poussé à faire connaître son programme à travers un dîner. L’idée était de faire payer 50 dollars à 50 personnes pour un menu en cinq plats préparés par les plus grands chefs de Dallas, avec l’assistance de huit de ces apprentis et anciens délinquants. L’expérience a eu un tel succès que Chad a organisé une quarantaine d’autres dîners basés sur le même concept. Il confie :
“Si on se fie aux statistiques, 47 % des 172 apprentis avec qui nous avons travaillé pendant ces dîners auraient dû retourner en prison. Au final, ils ont été 12 %. Notre mission est de travailler pas seulement pour les garder hors de prison, mais pour leur donner l’opportunité de devenir les individus incroyables qu’ils peuvent être. Les clients de ces dîners me disaient que ces apprentis pourraient être leurs fils. On démonte les stéréotypes.”
Olivia Garrett, une apprentie de 17 ans, explique que Café Momentum l’a préparée à la maternité : “Café Momentum a eu beaucoup d’impact sur ma vie, mentalement et physiquement. J’étais enceinte quand je travaillais. J’ai traversé un moment difficile, je n’avais nulle part où aller. Ils m’ont trouvé un logement. Avant que mon fils n’arrive, ils m’ont aidée à acheter un berceau, des couches et tout ce qu’il fallait pour l’accueillir. Ce n’est pas comme les autres emplois que j’ai eus. C’est comme une famille.”
L’équipe partage un dîner, comme une vraie famille, tous les jours. Cela représente d’ailleurs le seul repas de la journée pour beaucoup des apprentis de ce programme. Chad Houser explique que ces anciens détenus devenus apprentis cuisiniers ne sont pas les seuls à quitter la formation avec des leçons de vie incroyables :
“Il ne s’agissait pas de créer un programme pour m’auto-congratuler. À la fin de la formation, je veux qu’ils se disent : ‘Je suis génial !’, et pas : ‘Chad dit que je suis génial.’ Chaque nuit, à la fermeture, tous les jeunes viennent me serrer dans leurs bras et me dire qu’ils m’aiment. Je ne peux pas imaginer une expérience plus gratifiante pour un être humain. Ils m’apprennent la patience, m’ouvrent à de nouvelles perspectives, à l’intégrité et à un amour sincère.”
Traduit de l’anglais par Sophie Janinet