Du haut de ses 27 ans, Cyprien Verseux affiche un CV déjà bien rempli. Après une mission d’un an dans une base à Hawaï reproduisant les conditions de vie sur Mars, il est aujourd’hui glaciologue et chef de base de la station franco-italienne* Concordia, dans l’Antarctique, jusqu’à fin 2018 – si les conditions climatiques le veulent bien.
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Car s’il commence à savoir ce à quoi ressemble l’isolement, la station Concordia présente encore d’autres contraintes. Des températures extrêmes qui excluent la présence de plantes, d’animaux, de constructions humaines, ainsi que le ravitaillement venu de l’extérieur, les routes étant bloquées par la neige et la glace.
Mais alors que mange-t-on si l’on ne peut rien cultiver ou chasser sur place ? Que cuisine-t-on dans des conditions aussi extrêmes et en l’absence de produits frais ? Pour en avoir le cœur net, nous avons envoyé quelques questions, par e-mail, à Cyprien Verseux qui, malgré un isolement presque total, dispose toutefois d’une connexion Internet.
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Club Sandwich | Pour commencer, quels sont votre rôle et votre mission dans cette station isolée ?
Cyprien Verseux | Nous sommes treize personnes au total. Des techniciens en charge de la maintenance de la base, des scientifiques – qui travaillent en glaciologie, en sciences de l’atmosphère, en astronomie, en géophysique et sur les adaptations de l’humain aux conditions extrêmes –, un médecin et un cuisinier. En ce qui me concerne, je suis glaciologue et chef de base.
Vous vous retrouvez dans un lieu très reculé, donc, à quoi ressemble votre alimentation au quotidien ?
Nous n’avons de la nourriture fraîche qu’au début de l’hiver puisque, pendant neuf mois, nous ne pouvons être ravitaillés. Ce, pour une raison simple : les températures ne permettent à aucun véhicule de nous rejoindre. Ensuite, nous avons de la nourriture congelée. Étant donné que les températures ne sont jamais positives, il suffit de la stocker dehors, dans des containers.
“Nous avons eu pour dessert de la neige, avec du chocolat et des fruits rouges”
On méconnaît souvent les conditions de vie dans de tels environnements. À quoi ressemble un menu type pour vous – comme pour les autres personnes présentes dans la station ?
Nous avons un cuisinier italien et, par conséquent, mangeons surtout des plats italiens. En général, nous avons un primo (risotto, pâtes…) et un secondo (poisson ou viande). Parfois, on a aussi droit à des choses un peu plus originales. Il y a quelques jours, par exemple, nous avons eu pour le dessert de la neige – ramassée dehors – avec de la sauce au chocolat et du coulis de fruits rouges.
“La nourriture est importante pour le moral”
On a vu votre étonnante photo de raclette congelée. À quelles contraintes êtes-vous confrontés au quotidien, vis-à-vis du climat et de l’isolement ?
Nous sommes isolés, toujours nous treize, sans voir personne d’autre pendant neuf mois. Les températures peuvent descendre en dessous des -80 °C. L’air est extrêmement sec et pauvre en oxygène. Pendant trois mois, nous n’avons pas vu le soleil et, bientôt, il ne quittera plus le ciel.
Qu’est-ce que le fait de vivre dans un tel isolement vous a appris sur votre rapport à la nourriture et à l’alimentation ?
L’importance qu’elle peut avoir sur le moral d’un équipage.
Quel est le plat ou les aliments qui vous manquent le plus ?
Nous avons une large variété d’aliments, mais rien de frais. Des crudités me plairaient.
Avec le recul, avez-vous regretté de ne pas avoir amené quelques provisions avec vous ?
Pas vraiment. J’aurais aimé emporter de quoi faire quelques cultures hydroponiques, mais l’import de graines est très réglementé.
En quoi le contexte actuel dans lequel vous vivez diffère de votre mission à Hawaï ?
HI-SEAS IV, à Hawaï, visait à mettre six personnes dans les conditions de vie sur Mars pour en étudier, surtout, les facteurs humains. Nous vivions dans un habitat bien plus petit, de onze mètres de diamètre, très peu insonorisé, sans jamais être à l’air libre, et avec des communications encore plus limitées avec le monde extérieur qu’ici.
Là-bas, nous avions surtout de la nourriture lyophilisée, quelques produits fermentés à partir de farine et de lait en poudre (pain, yaourt, fromage à tartiner…), et très rarement de petites quantités de verdure produite sur place. Ici, nous mangeons presque exclusivement de la nourriture surgelée.
Comment appréhende-t-on un retour à la vie normale ? Surtout que le retour est prévu pour la fin d’année, au moment des fêtes…
Je m’arrêterai pour quelques semaines en Australie, où vit mon frère et où d’autres proches nous rejoindront. C’est une perspective réjouissante, mais j’évite pour l’instant de trop y penser : il me reste beaucoup à faire d’ici là.
Quel est le plat dont vous rêvez tous les jours et celui que vous mangerez en rentrant chez vous ?
Avec un excellent cuisinier dans l’équipage, je ne rêve pas vraiment de nourriture à laquelle je n’ai pas accès. Cela dit, une salade César bien fraîche ne me déplairait pas.