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The Handmaid’s Tale, saison 4 : un final qui voit s’embraser la violence des femmes

The Handmaid’s Tale, saison 4 : un final qui voit s’embraser la violence des femmes

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© hulu

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Par Delphine Rivet

Publié le

La série est enfin allée là où on l’espérait, et le résultat fut aussi cathartique que prévu. Attention, spoilers !

“Les hommes faibles font tourner le monde.” Cette phrase, prononcée par June dans le final de la saison 4, qui s’est achevée ce 16 juin sur Hulu (et sur OCS chez nous), sonne tristement vrai. Durant les dix épisodes qui la composent, The Handmaid’s Tale a posé son regard sur la violence des femmes, sujet encore tabou tant la moitié de la population est encore essentialisée au statut d’êtres fragiles, de créatures de paix.

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Les servantes, les violées, les bafouées, les humiliées, les martyrisées sont pourtant bien prêtes à faire la guerre. Et il faut bien l’admettre, ce soulèvement plein de rage et alimenté par une vengeance sourde à toute raison a eu, pour elles comme pour nous, qui les regardons depuis quatre ans, un effet libérateur. Heureusement qu’il nous reste la fiction comme dernier espace d’expression de notre colère la plus animale. 

En saison 4, on a pu assister à la fuite sous haute tension de June vers le Canada. Elle y retrouvait d’abord Moira, Rita, et surtout Luke, son mari. Sa liberté retrouvée était pourtant vécue comme une agonie, la culpabilité d’avoir laissé sa fille Hannah la rongeait de l’intérieur. Ces dix épisodes n’étaient pas un sans-faute, loin de là, mais la satisfaction de ce final vient émousser les quelques aspérités de sa narration.

On pense par exemple aux autres handmaids, dont les capes rouges ont si souvent imprégné nos rétines dans chaque plan par le passé, et qui étaient ici absentes. Janine et Tante Lydia, dont la relation malsaine a refait surface, manquent également à l’appel dans le final. Et que dire de Joseph, le commandant Lawrence, dont les motivations sont aussi troubles qu’imprévisibles ?

Cet ultime chapitre devait clore l’intrigue de June, après sa fuite, de son impuissance face aux “hommes faibles qui font tourner le monde”, jusqu’à sa vengeance implacable. Nous n’assisterons pas non plus aux conséquences de son acte sur Serena. La colère de June est au centre du récit, et elle n’en partagera le déchaînement qu’avec ses co-martyres, seules capables de comprendre ce qu’elle a traversé.

© Hulu

“Ça doit ressembler à de l’amour. C’est de ça dont il a besoin. Fais semblant d’aimer ça. Fais semblant d’adorer ça. Fais semblant de le vouloir. Il est ton commandant. Fais de lui ton monde, ton soleil, ta lune, toutes tes étoiles. Sois convaincante parce que ta putain de vie en dépend. Ne cours pas. Ne frappe pas. Ne crie pas. Ne te débats pas du tout. Ne lutte pas.” – June, saison 4 épisode 10.

Ce qui les conduira à passer à l’acte, ce sont les limites de la diplomatie en temps de guerre. Cet épisode final nous rappelle tristement que même par-delà la frontière de Gilead, dans une société civilisée, progressiste et démocratique comme le Canada, la vie d’un homme, si pourri soit-il, vaut plus que celle de nombreuses femmes violées et battues. Il ne faudra pas moins de vingt victimes, des anciennes handmaids pour la plupart, et la promesse de leur libération pour peser dans la balance et obtenir de Mark Tuello, le représentant du gouvernement américain en exil, l’extradition de Fred Waterford vers Gilead. Cela nécessitera toute la ruse de June, et toutes les blessures d’Offred, pour que ce dernier soit conduit dans le No Man’s Land et que justice soit rendue. Au moment d’être embarqué, sa supplique “Je suis un homme, j’ai des droits !” a posé, pour l’audience, le dernier clou de son cercueil.

Au lendemain de la diffusion du season finale, beaucoup de médias ont titré sur la “mort choquante” de cet épisode. Voilà un adjectif étonnant. Dans le contexte de cette série, qui n’a eu de cesse de diriger sa violence (celle de ses protagonistes masculins, mais aussi des Épouses et des Tantes) vers ses héroïnes, et fait monter en elles, celles qui ont survécu, un désir de vengeance légitime, on devrait être surpris·es que cette même rage s’abatte sur Fred Waterford ? Non, sa mort n’est pas choquante, elle était promise, à la fois par la série depuis le premier épisode, mais surtout par June qui, croyant qu’il va échapper à la justice, jure qu’elle le pendra sur le mur des supplicié·e·s de Gilead. Pour les handmaids désormais libres qui accompagnent June, la mise à mort du bourreau en chef et tout ce qu’il représente est cathartique. 

© Hulu

Est-ce moral ? Bien sûr que non. Notre héroïne est d’ailleurs rapidement ramenée à la cruauté de son acte en rentrant chez elle. Luke désapprouve, évidemment. Mais, aussi patient et bienveillant soit-il avec sa femme, il n’a jamais tout à fait mesuré à quel point June avait changé depuis leur séparation. Après deux saisons à nous faire espérer un renversement de paradigme (la première était là pour planter le décor), la série n’aurait pas survécu à une de plus dans les limbes de Gilead. The Handmaid’s Tale, empêtrée dans son concept, aussi fort que pertinent, faisait traîner en longueur le soulèvement, pourtant inévitable, de ses opprimées.

L’histoire devait impérativement voir June s’évader et se venger. Donc non, la mort de Fred ne devrait être un choc pour personne. À part, peut-être, pour lui, qui était toujours dans le déni le plus absolu et parlait d’amour, lors de leur face-à-face, à celle qu’il a violée et martyrisée tout ce temps. June n’a fait que lui rendre son “amour”, avec la même violence. Et comme elle nous l’avait promis, le corps du commandant a fini sur le mur, pendu au-dessus de l’inscription prophétique vue dans l’épisode 4 de la saison 1 : “Nolite Te Bastardes Carborundorum.”

The Handmaid’s Tale, dès le début, s’est efforcée de démontrer à quel point l’impensable et l’horreur peuvent s’installer facilement si on ne résiste pas de toutes ses forces au moindre signe de menace. C’est la fenêtre d’Overton qui se dilate, jusqu’à tolérer l’intolérable et instaurer un régime semblable à Gilead. Margaret Atwood a toujours dit qu’elle s’était inspirée du réel pour son roman. Un peu partout dans le monde, y compris chez la première puissance mondiale que sont les États-Unis, chaque jour, les droits des femmes sont rognés. Alors oui, chaque minute de ce final, dont l’issue était attendue, on l’a sentie dans notre chair.

La saison 4 de The Handmaid’s Tale est disponible sur OCS.