L’immortalité : certains en rêvent, d’autres la craignent. Mais pour les transhumanistes, une chose est sûre, la technologie qui nous permettra de vivre éternellement est à notre portée.
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Le futur que nous prédit Altered Carbon, dont la saison 1 est actuellement disponible sur Netflix, est aussi flippant qu’excitant. Des villes transformées qui s’élèvent, des ruelles sordides de Bay City jusqu’au ciel avec ses forteresses de milliardaires, une violence rampante, dans la vraie vie comme dans la réalité virtuelle, des inégalités sociales toujours plus marquées, mais aussi un multiculturalisme qui laisse rêveur, et la possibilité, pour celles et ceux qui le veulent, de vivre éternellement.
Depuis la nuit des temps, l’humanité a couru après ce rêve d’immortalité. En 2384, on pourra donc copier sa conscience sur une pile et la télécharger dans un autre corps, à l’infini. Une utopie ? Pas du tout, si l’on en croit les transhumanistes. Une partie de la communauté scientifique s’échine à rendre cela possible. Ou quand la science-fiction, telle que l’a imaginée Richard K. Morgan, l’auteur d’Altered Carbon, n’a de fiction que le nom.
Il se pourrait d’ailleurs que cette révolution se produise bien plus tôt que 2384. Didier Coeurnelle, porte-parole de l’Association française transhumaniste et coprésident de Heales (Healthy Life Extension Society), a répondu à nos questions concernant ce rêve d’immortalité. Selon lui, c’est loin d’être utopique. Reste toutefois un obstacle majeur, un défi aussi philosophique que technique : situer la conscience.
“Dans le domaine de l’intelligence artificielle et de la compréhension de ce qu’est la conscience, les connaissances scientifiques progressent rapidement, mais il y a encore beaucoup de choses qu’on ne sait pas. Le fait qu’il sera un jour possible de copier sur un support informatique le fonctionnement d’un cerveau, ça n’est pas inenvisageable. Un neurone peut être remplacé par un dispositif informatique de plus petite taille. Si cela devient un jour possible techniquement, cela posera d’innombrables questions vertigineuses.”
Car, scientifiquement parlant, on ne sait ni la localiser, ni la quantifier, ni la traduire en données informatiques. Est-ce notre pensée, nos souvenirs, notre personnalité ?
“C’est un concept qui a plusieurs significations. On ne sait pas ce qu’est la conscience, ni comment elle émerge, on ne sait évidemment pas la reproduire aujourd’hui.”
Depuis quelques années, des ingénieurs, des scientifiques ou des magnats d’Internet prédisent l’avènement de cette technologie pour les années à venir. Ray Kurzweil, chercheur chez Google, futurologue et transhumaniste américain, prévoit qu’avec la progression exponentielle des performances informatiques, on atteindra prochainement le “point de singularité”, un cap où la machine supplantera l’esprit humain.
Selon lui, et son confrère Peter Thiel, le fondateur de Paypal, on pourra copier notre conscience sur un support numérique dès… 2045. Le milliardaire russe Dmitry Itskov, qui a fait fortune en lançant une start-up, a déjà pris les devants. Pour lui, en 2045, on pourra tous devenir immortels. Enfin, surtout lui, puisqu’il investit dans des recherches technologiques, au travers de son projet 2045 Initiative, qui lui permettront de se télécharger dans un cerveau artificiel et de remplacer son corps, faillible et périssable, par une enveloppe holographique.
Mais quand Ray Kurzweil prédit l’avènement de cette technologie pour 2045, n’est-ce pas un peu optimiste ?
“Il se base sur la puissance informatique qui a progressé de manière exponentielle. Donc, une capacité informatique qui est égale ou supérieure à la capacité humaine, ça n’est pas de la science-fiction. Déjà aujourd’hui, l’intelligence artificielle dépasse l’intelligence humaine dans un certain nombre de domaines. Mais jusqu’à présent, tout porte à croire que votre calculatrice, qui est pourtant plus performante que le cerveau humain, n’a pas de conscience. Il en va de même d’Internet. Ce qu’imagine Ray Kurzweil, c’est qu’un jour nous puissions reproduire la conscience sur un support informatique.
Mais pour lui, c’est une étape à long terme. Mais à court ou moyen terme, ce qui l’intéresse, c’est surtout ce que nous appelons l’amortalité, c’est-à-dire ne plus mourir de maladies liées au vieillissement. Pour cela, on peut notamment utiliser l’intelligence artificielle, c’est une perspective enthousiasmante. On parle souvent d’immortalité pour une vie sans limitation de durée, alors qu’immortalité, ça veut dire ne pas pouvoir mourir. Ce qui est montré dans Altered Carbon, c’est que justement, les personnes ne sont pas immortelles.”
La recherche scientifique avance à grands pas sur ce terrain. Mais concrètement, où en sont les progrès technologiques pour parvenir au téléchargement de la conscience ?
“Il y a trois grands projets de recherche concernant la compréhension du cerveau. Le premier s’appelle le Human Brain Project, qui est au niveau de l’Union européenne ; il y a un équivalent aux États-Unis, et un autre au Japon. À ce stade, on en est à la cartographie du cerveau et du système nerveux de très petits animaux, notamment le ver C Elegans, qui est un peu la souris de laboratoire au niveau de l’invertébré. Ce ver a 292 neurones, là où l’humain en a des milliards. Donc, on parvient à cartographier de manière de plus en plus performante, mais pour les souvenirs par exemple, on ignore comment ils sont stockés. Ce n’est pas copié comme dans un ordinateur avec des 1 et des 0.”
Si cet obstacle semble insurmontable, Dider Coeurnelle se veut rassurant :
“Ce n’est pas parce qu’on ne sait pas comment quelque chose fonctionne qu’on ne sait pas le maîtriser. Quand vous allumez la lumière, vous n’avez pas besoin de savoir comment fonctionne l’électricité. Ou dans le domaine médical par exemple, pendant longtemps, on ne savait pas comment fonctionnait l’anesthésie. Donc il est envisageable, dans un avenir pas si lointain, qu’on puisse copier neurone par neurone, et obtenir l’équivalent informatique d’un cerveau. Et l’équivalent informatique peut se mettre à fonctionner sans qu’on sache exactement comment ça fonctionne.”
Dans Altered Carbon, les plus riches sont évidemment mieux lotis par rapport à cette technologie. Ils peuvent cloner leur corps à loisir, à l’instar de Laurens Bancroft, et les plus pauvres peuvent se retrouver coincés dans une enveloppe qui n’est pas de première fraîcheur. Voilà qui soulève donc une inquiétude de taille : qui aura accès à cette technologie ? Sera-t-elle un luxe que seuls quelques privilégiés pourront s’offrir ?
“Alors, dans ce domaine-là comme dans l’ensemble des domaines médicaux, je suis très optimiste. Car finalement, ce qui est extrêmement cher, c’est la recherche. Par exemple, le smartphone : dans cet appareil, il y a des dizaines de milliards d’euros de technologies, mais le coût actuel de production est de 30 ou 40 euros, le reste c’est de la connaissance, des brevets. Donc pour autant que le processus d’appropriation se fasse avec des garanties d’appropriation collective, ce type de choses seraient accessibles à tous. Dans l’état actuel du droit, un brevet ne dure jamais plus de 25 ans. Donc, supposons que demain il soit possible de copier un cerveau, le brevet sera accessible à tous 25 ans plus tard.”
Mais qui dit support informatique, dit aussi possibilité de virus…
“Oui, il faut aussi considérer les risques de technologies qui touchent au cerveau, la série aborde d’ailleurs un peu ce sujet du biohacking. Déjà aujourd’hui, les dispositifs comme les pacemakers peuvent théoriquement être hackés. Logiquement, il y aurait donc aussi des risques de virus.”
Cette vision transhumaniste ne fait pas que des adeptes. Dans Altered Carbon, la mère, très croyante, de l’inspectrice Ortega, estime que le téléchargement de sa conscience dans une pile, les fameux “stacks”, est une offense à la nature et à Dieu. Pour elle, on n’a qu’un corps, qu’une vie et tout ce qui tente d’altérer cet ordre des choses est un sacrilège. Dans notre réalité aussi, des gens s’opposent à cette idée de l’immortalité.
“Ça fait partie des caractéristiques des êtres humains par rapport aux progrès technologiques, un mélange d’attirance et de crainte. Et en général, on penche plus instinctivement vers la crainte que vers l’espoir, ce qui peut servir bien sûr, mais aujourd’hui ça mène aussi parfois à des peurs déraisonnables. L’idée selon laquelle il faut laisser faire la nature dans un monde qui est aujourd’hui totalement artificiel, ce n’est pas un retour à la nature que ces gens veulent, mais rester comme ils sont sans changer.
En fait il y a des associations religieuses qui adhèrent à cette idée du futur. Il y a une association mormone transhumaniste, il y a des chrétiens transhumanistes. Mais il y a aussi des ‘anti-modifications’, notamment la fondation Lejeune qui s’oppose à toutes les recherches sur les cellules souches, et à certains progrès technologiques, toujours avec cette idée en tête qu’il faudrait ‘rester naturel’. Et puis bien sûr, il ne faudrait pas faire concurrence à Dieu. La vie sans limitation de durée, c’est réservé à Dieu. Le transhumanisme n’est pas incompatible avec la religion. Je pense notamment à l’ouvrage de Dominique de Gramont, Le Christianisme est un transhumanisme.
On peut considérer que la religion a été créée pour rendre plus acceptable l’idée de la mort inévitable. Mais si elle devient évitable, tant mieux. Il y a un blocage sur cette notion, alors que si on dit ‘il faut faire de la recherche pour éradiquer le cancer’, tout le monde s’accorde là-dessus. Pour moi, une des raisons psychologiques fondamentales tient au fait qu’aujourd’hui, nous savons que, sauf progrès médicaux, nous allons mourir de vieillesse, si l’on échappe à toute autre cause de mortalité. C’est à la fois inévitable et insoutenable, et donc on le transforme de manière inconsciente en quelque chose de positif.”
La saison 1 d’Altered Carbon est disponible depuis le 2 février sur Netflix.