1994. Mon année de naissance, certes, mais aussi et surtout l’année où une Claire Danes méconnaissable arpentait pour la première fois les couloirs du Liberty High School, arborant fièrement un carré auburn aux antipodes des reflets blonds lumineux de son personnage dans Homeland.
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À cette époque-là, les ados superficiels de Beverly Hills faisaient les beaux jours de la Fox. Irrémédiablement envieuse, ABC tenait à dégoter sa propre série teenage pour happer une cible plus jeune, nous conduisant ainsi à la diffusion d’Angela, 15 ans – ou My So-Called Life dans son pays d’origine.
Lors de son tout premier passage sur le petit écran, je n’étais qu’un bambin. En vérité, je n’ai entendu parler d’Angela, 15 ans que bien plus tard, alors que j’étais moi-même au lycée dans les années 2010. Pour sa dernière édition, le festival Séries Mania a organisé une projection spéciale des deux premiers volets de la série, sur grand écran, dans le cadre de sa section “Série culte”. L’occasion rêvée de faire enfin les présentations avec Angela Chase, ado ordinaire et regrettée, à raison, par beaucoup.
Angela, she’s just like us*
Comme son nom on ne peut plus équivoque nous l’indique, Angela, 15 ans se focalise sur les affres quotidiennes d’une adolescente, qui s’avère être en pleine crise identitaire. Dès le pilote, on est amené à comprendre que, jusqu’ici, Angela Chase était une lycéenne lambda, calme, appliquée à l’école. Mais cette année, c’est celle du changement : elle se met à traîner avec deux nouveaux amis, Rayanne et Rickie, deux électrons libres très vite identifiés comme des marginaux, des rebelles.
En cela, le personnage d’Angela est immédiatement familier : que celui qui n’a jamais tenté d’être une autre personne (que ce soit en changeant de clique, en altérant son style vestimentaire…) me jette la première pierre. La puberté, c’est bien la période charnière où l’on essaie de se découvrir soi-même, ou tout du moins d’explorer les différentes manières d’être soi.
© ABC
Sur ce point, Angela, 15 ans se montre assez intemporelle, encapsulant cette problématique d’émancipation qu’on retrouve dans beaucoup de séries ados encore aujourd’hui. Là où elle vise encore juste, c’est à travers Jordan Catalano. Incarné par un Jared Leto encore imberbe, ce dernier est le crush ultime d’Angela : il est beau, stylé, inaccessible. Inutile de mentir, on a tous eu notre Jordan Catalano, cette personne qui nous faisait bégayer ou rougir dès qu’on se trouvait dans son périmètre.
Enfin, puberté rime souvent avec rébellion. Une révolte perpétuelle contre le monde, mais en priorité contre ses parents. C’est le cas d’Angela, qui atteste dès les premières minutes de la série qu’elle ne peut pas poser un regard sur sa mère “sans avoir envie de la poignarder à plusieurs reprises”. Grâce à cette voix off omniprésente, on saisit mieux le personnage – et parce qu’on a peut-être eu les mêmes pensées saugrenues ou déplacées qu’elle, on ne peut que se reconnaître en Angela.
Une série au progressisme timide
Dans son propos de fond, oui, Angela, 15 ans a bien ce petit quelque chose qui brave les époques et qui peut encore résonner de nos jours. En revanche, il y a aussi des aspects qui ancrent la série dans une décennie, dans une génération bien particulière. À commencer par une intrigue bien définie, lors du pilote, où Angela, Rayanne et Rickie veulent désespérément entrer dans un bar malgré le fait qu’ils n’ont pas l’âge requis.
Sur le parking, ils boivent dans une flasque, jusqu’à ce que Rayanne, la plus ivre, accoste deux mecs plus âgés dans l’espoir de pouvoir entrer avec eux dans le bar sans qu’on pose de question. Cette interaction part en vrille alors qu’un des deux gars, clairement mal intentionné, agrippe Rayanne et commence à la peloter devant le regard ébahi d’Angela. Celle-ci décide finalement de tirer son amie de ses griffes, tandis que le porc aux mains baladeuses se fait remettre à sa place par son propre pote.
Le lendemain, à l’école, Rayanne se vante à qui veut l’entendre de s’être pris une cuite, omettant volontiers la situation pernicieuse à laquelle elle a échappé. “Ouais, c’était fou”, renchérit Angela, faisant elle aussi comme si de rien n’était. Ah bon ?
En 2019, une telle storyline verrait difficilement le jour, dans le sens où il n’y a pas de réelle morale, aucune leçon à tirer. Le message de la série paraît cryptique au possible : deux mineures en état d’ébriété manquent de se faire agresser et ni l’une, ni l’autre ne semble avoir du mal à encaisser la situation. Pire, elles prétendent que ce moment n’est pas arrivé.
Dans l’ère post-mouvement #MeToo, où ces comportements abusifs ne sont plus tolérés, cela ne passerait pas. On proposerait des solutions ou, tout du moins, un message d’espoir, de soutien. Je ne dis pas qu’Angela, 15 ans a tort de montrer de telles situations – qui sont encore une réalité pour beaucoup de femmes aujourd’hui – mais bien que c’est ce genre de détails qui montrent qu’elle appartient aux années 1990.
Mais il y a d’autres aspects qui donnent à la série ce petit côté rétrograde, comme la scène où le père d’Angela est mal à l’aise de croiser sa fille sortant de la salle de bains, le corps juste recouvert d’une serviette blanche. Un malaise malvenu, causé par le fait que papa Chase aime sa fille mais a peur de la femme qu’elle est en train de devenir (la puberté, les hormones, tout ça). C’est une vision assez old school, dont les séries pour ado contemporaines ont depuis essayé de se distancer.
Toujours novatrice, 25 ans plus tard
Dans les faits, il est difficile de pouvoir dire du mal d’Angela, 15 ans étant donné qu’elle reste une œuvre assez atypique et, en un sens, universelle. Les questionnements, les doutes auxquels est en proie Angela auraient forcément trouvé écho en l’ado que j’étais. S’il y a un âge où l’on est sérieusement paumé, c’est bien au cœur de l’adolescence où nos repères et nos convictions vont tous azimuts. Et la série excelle à retranscrire ce sentiment de désorientation complète.
Là où Angela, 15 ans diffère des autres teen dramas, de son époque comme des plus contemporains, c’est dans sa volonté de montrer une ado, une vraie. Bon nombre de séries du genre (Beverly Hills, Gossip Girl, Pretty Little Liars…) ont cette manie de vouloir propulser des mineurs dans des intrigues davantage appropriées pour des adultes. Riverdale en est l’exemple récent le plus parfait puisqu’en s’efforçant de considérer ses personnages comme des grands, la série ne parvient pas à réellement appréhender la vérité de cet âge-là.
Angela Chase nous est dépeinte comme une jeune fille ordinaire qui, oui, par moments, veut s’émanciper et agir comme une femme. Mais ce n’en est pas une, en témoigne la scène où elle se rend dans la chambre de sa mère un soir pour se blottir dans ses bras, en quête de réconfort après une déception. La maturité n’arrive pas comme par magie, c’est quelque chose qui s’acquiert, qui se travaille, qui se mérite. Tout un processus que peu de séries parviennent à représenter avec justesse.
Bien entendu, cela aide qu’Angela soit incarnée par une Claire Danes toute jeune qui avait alors le même âge que son personnage, au contraire de toutes ces séries ados qui prennent un malin plaisir à caster des trentenaires pour jouer des mineurs en pleine puberté. La crédibilité, c’est pas mal des fois.
En tout et pour tout, à travers les yeux d’un néophyte et millennial hyperconnecté, Angela, 15 ans fait honneur à sa réputation : celle d’une série sincère, réaliste et tristement annulée trop tôt. Son progressisme avant-gardiste, incarné surtout par Rickie (personnage gay, racisé et un brin androgyne), aurait mérité d’être déployé sur plusieurs saisons. Ce genre de série née à la mauvaise époque ? Oh oui, pas de doute là-dessus.
*Angela, elle est comme nous