La BBC vient de lancer une mini-série uchronique fascinante, qui souffre pour le moment d’une intrigue bien trop ficelée pour nous surprendre. Attention, légers spoilers.
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Ces dernières années, le monde du petit écran développe une curieuse fascination pour une période de l’Histoire tragique. La Seconde Guerre mondiale et la chute du régime nazi donnent envie aux scénaristes d’inverser les événements en créant une uchronie terrifiante, où le monde serait à la solde d’Hitler et de ses SS. Frank Darabont et Amazon Prime ont tenté, avec brio, leur chance sur The Man in the High Castle. C’est désormais au tour des Britanniques et de la chaîne BBC d’imaginer la Grande-Bretagne évoluant sous le joug des nazis.
Le contexte de SS-GB nous plonge donc dans la terreur de l’occupation nazie en 1941, à Londres. On suit le détective Douglas Archer (Sam Riley) tenter de survivre au milieu de ce désastre. Il ne peut compter que sur son partenaire Harry Woods (James Cosmo) pour régler une affaire de meurtre, qui prend une étrange tournure après la découverte d’un cadavre portant un message. L’homme faisait en effet partie de la Résistance.
Archer perd rapidement la main sur cette enquête quand Hitler et Berlin envoient un général SS pour investiguer sur cette affaire. Le colonel Huth (Lars Eidinger) va commencer à lui mener la vie dure et l’observer dans ses moindres faits et gestes. Perdu au milieu d’un conflit qui le dépasse, Archer va devoir choisir entre la sécurité de sa position ou la solidarité avec ses compatriotes de la Résistance, qui se battent contre l’emprise nazie grandissante.
Élémentaire, mon cher Sherlock
Photographie sombre, Scotland Yard, fumage intensif de clopes (les patchs n’ont été inventés qu’au début des années 1980), analyse en profondeur d’une scène de crime… Dès le début de SS-GB, on se croirait presque dans un Sherlock prenant place en pleine occupation nazie. Toutefois, le personnage d’Archer n’est pas un rigolo comparé à son homologue Holmes. Il faut dire que rien n’est marrant dans la vie des Anglais de SS-GB : la milice d’Hitler terrorise la population, les attentats de la Résistance font des dommages collatéraux sur les civils et Winston Churchill, l’incarnation de la voie vers la liberté, a été exécuté.
Neal Purvis, Robert Wade et Len Deighton (l’auteur du livre dont la mini-série est adaptée) nous font bien comprendre que dans leur monde, tout est sombre. Les méchants sont très méchants et émanent littéralement des ténèbres. Archer est constamment vêtu de noir et Sam Riley parle avec une voix grave, à mi-chemin entre les grognements de Tom Hardy et les murmures rauques de Norman Reedus dans The Walking Dead. L’espoir est une notion qui a (quasi) déserté cette Angleterre triste et résignée, où même les enfants vouent un culte morbide aux soldats de la mort d’Hitler.
Si Sam Riley tente un peu trop d’avoir la voix de Batman, il est très convaincant dans la peau du détective Archer. Avec son air ténébreux et son long trench-coat, il ressemble un peu à un Ian Curtis moins angélique, moins décadent aussi. L’acteur est clairement le point d’ancrage de la mini-série : l’Angleterre est brisée en deux, entre les territoires occupés et les zones libres.
Une séparation qu’on ressent à travers l’esprit d’Archer, lui-même déchiré entre une volonté de protéger sa famille et une envie de soutenir les rebelles. Quel camp choisira-t-il ? C’est tout l’enjeu de la mini-série, un terrifiant et engageant thriller, malheureusement un peu trop prévisible : la femme du détective est morte sous les bombardements des Allemands, le choix d’Archer en découle logiquement.
The british man in the high castle
Ainsi, la tension et l’intérêt prenant de SS-GB sont régulièrement gâchés par les dialogues inaudibles de certains de ses acteurs. Comme dans Taboo ou encore Happy Valley, les Britanniques ont tendance à mâcher leurs mots et même les plus bilingues d’entre nous ne seront pas contre un ou deux sous-titres quand le son poussé à fond n’y change rien. Autre élément qui risque de rebuter les moins patients : la longueur des dialogues, qui peinent à faire avancer l’histoire. Le rythme de SS-GB est très lent et la caméra du réalisateur Philipp Kadelbach, aux manettes des cinq épisodes, est plus souvent contemplative qu’embarquée, alors qu’on attend juste d’être happé par le tourbillon de malheurs dans lequel vient de s’empêtrer Archer.
Impossible de ne pas remarquer les nombreux points en communs entre cette mini-série et The Man in the High Castle. Sauf que dans SS-GB, l’enquête policière a remplacé la recherche des films par les personnages du show d’Amazon. Les scénaristes optent ainsi pour un ancrage réaliste contrairement à l’aspect fantastique de l’œuvre de Philip K. Dick. Mais les deux séries parviennent à entremêler avec réussite plusieurs sous-intrigues autour des personnages secondaires. Sous cette impulsion narrative, SS-GB devient alors un véritable drama à énigmes, qui joue à une course contre la montre pour apporter une réponse à chacune d’entre elles (cinq épisodes d’une heure ça va très vite, surtout quand la moitié de l’épisode se résume à des dialogues pas franchement nécessaires).
L’écriture des personnages masculins reste bonne sans être transcendante, mais c’est un peu moins réussi pour les personnages féminins, présents, mais toujours exploités de la même manière. Que ce soit la belle Kate Bosworth ou la touchante Maeve Dermody (And Then There Were None), elles sont reléguées pour le moment à des rôles de partenaires sexuelles ou de femmes fatales dotées d’un dangereux pouvoir de séduction. Il faut rester optimiste toutefois pour la suite de la mini-série : Kate Bosworth incarne une journaliste américaine du New York Times, qui pourrait bien nous surprendre en jouant double-jeu avec Archer.
La surprise, c’est d’ailleurs le sentiment que l’on est en droit d’attendre de SS-GB. Les points d’intrigue de la mini-série sont pour l’instant très prévisibles, même si un mystère plane autour du meurtre et des raisons qui poussent Hitler à s’inquiéter autant de la disparition d’un membre de la Résistance. Il manque un twist pour nous hameçonner définitivement.
Reste à voir également si derrière cette réécriture du passé ne se cache pas une critique contemporaine, celle du Brexit. Car à plusieurs moments, le Standartenführer Huth brise le quatrième mur en sous-entendant que le Royaume-Unis ne pourrait pas rayonner sur le monde sans son appartenance à l’Europe. Une Europe dont le leadership économique est, dans la série comme dans la vie, assuré par l’Allemagne.
En France, la mini-série SS-GB reste inédite.