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Il faut qu’on parle de Bellarke et des amours platoniques dans The 100

Il faut qu’on parle de Bellarke et des amours platoniques dans The 100

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The CW

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Par Delphine Rivet

Publié le

On ne s’aventure pas sur ce terrain sans prendre certaines précautions, mais cette relation, parce qu’elle est au cœur de The 100 et provoque de vives réactions, mérite assurément qu’on s’y intéresse.

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Depuis cinq saisons, The 100 nous a offert quelques belles histoires d’amour. La plus mémorable étant celle de Lexa et Clarke. Celle-ci avait d’ailleurs cristallisé pas mal d’agitation lors du fameux LexaGate. La romance est pourtant très secondaire dans le show, rompant ainsi avec la tradition des séries de la CW. L’amitié et la loyauté envers les membres de sa famille (celle de sang ou celle de cœur) l’emportent sur les histoires d’amour. Peut-être Jason Rothenberg, le showrunner, défend-il le principe que ces liens affectifs, évidemment mis à l’épreuve par un danger constant dans cet univers postapocalyptique, en ressortent plus forts encore, là où des sentiments amoureux n’y survivraient pas.

Ship ou pas ship ?

Depuis ses débuts, la série, comme bien d’autres avant elle, a inspiré des “ships”. Les fans rêvent de voir un couple enfin vivre sa romance en plein jour : Bellamy et Clarke. Sans affirmer qu’un chemin est meilleur que l’autre, et que Bellarke (c’est le nom de ce “ship”) serait nécessairement une erreur, on avait quand même envie de s’interroger sur cette belle relation platonique et sa pérennité.

Parce que Bellamy et Clarke, c’est d’abord l’une des relations les plus organiques et subtilement tissées depuis les origines de la série. Construite sur la durée, elle survit à tout (pas sûr que ce soit toujours le cas à la fin de cette saison 5, mais l’avenir nous le dira). Mérite-t-elle pour autant d’aboutir sur une romance ? Rien n’est moins sûr.

La première chose qui frappe avec les partisans de Bellarke, c’est la force avec laquelle ils/elles s’opposent à l’idée même d’une relation platonique. On ne parle pas d’amitié, mais bien d’un amour, autre que celui d’une mère ou d’un père pour ses enfants, d’un frère pour sa sœur, sans la dimension sexuelle. Bref, quelque chose d’épique, à la limite du mythe. Et quand bien même ce serait de l’amitié, cette idée selon laquelle ce serait l’antichambre de la relation de couple est un peu dérangeante. The 100 a d’ailleurs évité l’écueil d’enfermer l’un des deux dans la friendzone, ce trope, souvent sexiste, qui a fait les beaux jours des pick-up artistes et autres masculinistes.

Ils en ont trop vu, en ont trop fait. Ils ont commis un génocide ensemble. Tandis que tout les opposait au départ, ce sont leurs sacrifices, leurs épreuves, leur instinct de survie qui les ont poussés à joindre leurs forces. C’est beau, ça fonctionne à merveille pour construire une dramaturgie, mais ce n’est pas exactement le genre de truc qui cimente un couple, vous en conviendrez. En revanche, ça établit une confiance et un respect mutuel. En gros, “tu sais les horreurs que j’ai commises, je sais les tiennes, personne d’autre ne comprend notre fardeau”. Certain·e·s fans, parce qu’ils/elles croient discerner des indices çà et là, ne sauraient tolérer une autre voie pour ce duo.

Il est très dangereux, notamment pour l’équipe de la série, de nier ce droit apparemment fondamental qu’est le “ship”. Les fans sont très investi·e·s dans ces relations entre deux (voire plus !) personnages, et le désormais fameux Bellarke est sacré. Parce qu’il n’a jamais été satisfait, le fantasme de voir ce couple ensemble gagne en force un peu plus chaque saison. Et certain·e·s shippers peuvent être assez virulent.e·s. Quand l’actrice Lindsey Morgan, alias Raven, ironise poliment, dans une interview pour Serieously, sur Bellarke, les fans voient rouge :

“Lindsey Morgan est furax parce que son personnage ne remporte aucun award et qu’elle est payée une misère. Sans Bellarke ma grande, tu serais au chômage, donc assieds-toi, sois reconnaissante et fais gaffe.”

On trouve ce type de réaction partout sur Internet, dans les commentaires sous des articles ou des vidéos, et sur les réseaux sociaux, dès que Bellarke est mentionné quelque part dans une interview. Et certaines sont carrément menaçantes. Il faut prêter allégeance aux adeptes du Bellarke, au risque de se prendre le même type de commentaire. Il s’agit, bien entendu, d’une minorité bruyante qui ne représente pas le fandom de The 100.

Mais c’est aussi probablement la raison pour laquelle les scénaristes, et notamment son créateur, Jason Rothenberg, s’abstiennent désormais de tout commentaire sur le sujet. Et comme on lui pose constamment la question, il dégaine une parade et reconnaît volontiers qu’il est très vague sur la question, comme dans cet entretien avec Uproxx :

“On verra ce qu’il se passe en ce qui concerne l’état émotionnel de Clarke envers Bellamy et vice-versa. Je sais que je suis un peu ambigu, mais je le suis toujours quand je parle de ce genre de choses.”

Et si l’on pense la série en termes de narration, qu’on laisse notre affect sur le palier (on insiste : c’est ok d’être émotionnellement investi·e dans une série, c’est même le but premier de sa “sérialité”, mais on devrait aussi être capable de prendre du recul quand c’est nécessaire), Jason Rothenberg a tout intérêt à cultiver le mystère sur le futur de ces deux-là. Mais le showrunner est aussi accusé par ces mêmes personnes de les torturer en plaçant Echo entre Clarke et Bellamy. Pour les adeptes de Bellarke, c’est un affront.

Will they ? Won’t they ? Should they ?

Le “will they/won’t they” est l’un des plus vieux tropes des séries. Vont-ils ou ne vont-ils pas finir ensemble ? Il a même précipité la mort de la série Clair de lune dans les années 1980. Maddie Hayes et David Haddison Jr., incarnés par Cybill Shepherd et Bruce Willis, sont complices et partenaires dans le boulot. Mais ça se dragouille, ça se vanne, bref, ça flirte à fond.

La tension sexuelle atteint son apogée en saison 3 où les scénaristes décident de faire du duo… un couple. Leur passion consommée, les fans, jusque-là tenu·e·s en haleine par la promesse de leur union, désavouent le show et les audiences chutent en saison 4. C’est un virage risqué pour une série et on a longtemps cru que céder aux sirènes de la romance signait son arrêt de mort. D’autres s’y sont heureusement essayés depuis, avec plus ou moins de succès.

Si rien n’indique que mettre Clarke et Bellamy en couple ruinerait le show, on peut en revanche s’interroger sur la logique d’une telle décision si elle devait être prise. Pour certain·e·s, il est évident que Jason Rothenberg a semé, tout au long de ces cinq saisons, les graines d’une relation amoureuse que rien n’a pu entraver et qui aboutira nécessairement sur la concrétisation de cette passion. On peut aussi se dire que l’indéniable affection que les deux se portent est d’autant plus forte parce qu’ils ne sont, justement, pas un couple.

Il n’y a rien de mal, bien au contraire, à sortir des normes et à représenter un amour platonique entre un homme et une femme. Si The 100 n’est pas exempte de défauts, elle a toujours combattu, avec un naturel désarmant, les codes genrés, que ce soit dans les domaines du leadership, des sexualités ou des relations sentimentales. Elle défie aussi l’idée même de la famille nucléaire. Indra est une mère de substitution pour Octavia et lui montre bien plus de loyauté qu’à sa propre fille Gaia ; Clarke a adopté Madi et s’est souvent opposée à sa mère, Abigail, dans le passé… Les exemples ne manquent pas, mais on s’éloigne du sujet.

Dans cet esprit, une relation platonique pourrait être bien plus intéressante (elle l’est, en tout cas, jusqu’ici) car beaucoup plus rare à la télé. Sans le sexe, les sentiments de jalousie, de rapport de pouvoir, de passion, etc., sont écartés et laissent place à quelque chose de plus atypique, qui ne ressemble pas tout à fait à de l’amitié. Clarke et Bellamy ont de nombreux points de désaccord, idéologiquement parlant, mais, quand tout s’écroule, ils puisent leur force dans l’autre et c’est aussi ce qui fait de leur relation l’une des plus intéressantes et durables de la série.

Deux problèmes se posent alors pour les scénaristes : qu’est-ce qui est le mieux pour la série ? Doit-on donner aux fans ce qu’ils/elles veulent ? C’est un véritable casse-tête que bien des showrunners se sont posé et un équilibre difficile à trouver. Quand ce désir se manifeste sous forme de chantage et de menace, comme cela s’est produit avec Bellarke, tout laisse à penser que c’est précisément la direction opposée qu’il faut prendre. Non pas pour les punir, mais pour prouver qu’on peut encore les surprendre avec des intrigues moins convenues.

Il faudrait sans cesse espérer l’inattendu devant une série comme The 100, et non exiger qu’elle assouvisse nos fantasmes. Les fandoms sont malheureusement gangrenés par des minorités agressives, de Doctor Who et ses nerds sexistes qui refusaient que le rôle-titre soit enfin incarné par une femme, aux amateurs/rices de comics racistes qui ont fait un scandale en constatant que le personnage de Starfire (un alien à la peau orange) dans la série Teen Titans était joué par une femme noire, Anna Diop.

Heureusement, il existe un Eden, un monde où tout n’est qu’amour et solidarité entre fans, n’exigeant rien d’autre des scénaristes que de les surprendre avec de bonnes histoires, chaque semaine. Les habitants de ce paradis ont un nom : les Earpers, les fans de Wynonna Earp, auxquel·le·s Vulture consacrait récemment un article pour saluer leur bienveillance assez inédite. Certain·e·s feraient bien de s’en inspirer.