Vous le connaissez davantage pour son ahurissante carrière ciné, ses films avec Arnaud Desplechin, son passage dans la franchise James Bond, son travail de réalisateur (Tournée, La Chambre bleue, Barbara)… Passionné par la fiction, quel que soit le format (théâtre, télé, ciné), Mathieu Amalric a fini par venir faire un tour du côté des séries, intégrant en saison 4 le casting prestigieux du Bureau des légendes, la série d’espionnage d’Éric Rochant, acclamée par la critique. Alors que la saison 5 se terminait ce lundi 4 mai sur Canal +, on le retrouve ce jeudi, cette fois-ci sur Arte, pour une mini-série en quatre épisodes, dans laquelle il incarne le rôle-titre, celui de l’agent immobilier.
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C’est sa rencontre avec Etgar Keret et Shira Geffen qui l’a décidé. Le duo israélien du film primé à Cannes, Les Méduses (2007), œuvre au scénario et à la réalisation. Se basant en partie sur sa propre vie, l’écrivain Etgar Keret a imaginé un agent immobilier, Olivier Tronier qui se voit léguer un immeuble décrépi à la mort de sa mère. S’ensuit une succession de catastrophes tragicomiques, qui vont l’obliger à regarder son passé en face et à prendre ses responsabilités, notamment de père d’une ado qui a besoin de lui, mais rien n’est simple : l’homme doit aussi gérer son propre géniteur, qui n’en fait qu’à sa tête. S’ajoute à cela un élément fantastique : Olivier se rend compte qu’il peut parler à un poisson “magique”, qui lui permet de voyager dans le temps, quand il se trouve dans ce fameux immeuble à l’abandon, celui de son enfance. Back to the seventies, donc où il va détricoter un vieux secret de famille, qui a miné ses relations avec sa défunte mère.
Voilà pour les grandes lignes de ce qui se présente comme un conte moderne sur la famille, le deuil, la transmission, porté par un Mathieu Amalric qui s’amuse visiblement comme un petit fou dans un jeu de quilles, à jouer les mecs fatigués qui oublient de se raser la moitié du visage, de changer de fringues ou d’acheter une caméra promise pour l’anniversaire de sa fille. L’acteur est parfait en cinquantenaire fatigué de ses propres mensonges et lâchetés, cumulant les plans foireux, qui n’arrive plus à se cacher derrière son déguisement d’agent immobilier, lui qui est… sans domicile fixe. Ironie, quand tu nous tiens. Roi du burlesque, il évolue tel un pantin désarticulé, toujours prêt à rater une marche d’escalier et à ne pas comprendre son prochain. Une partition proche d’un film muet, qui lui sied à merveille. Il pourrait en devenir tête à claques, mais son regard inquiet de petit garçon, perdu sans sa maman, le rattrape à chaque fois. Il forme également avec son irresponsable père de fiction, le très cool Eddy Mitchell, un duo fort attachant.
© Arte
Si la mini-série, portée par une réalisation inspirée, possède un charme certain, elle pèche en revanche par d’autres aspects. Par exemple, cette fameuse mère décédée se trouve à la fois au cœur et complètement en dehors de l’intrigue, vue par le prisme légèrement égocentrique d’Olivier. On ne saura pas grand-chose de cette femme au final, à un détail près qu’on vous laissera découvrir, puisqu’il s’agit du twist final. Les autres personnages féminins – la jeune Clotilde (Juliane Lepoureau), la locataire coriace Liliane Petresco (Nicole Shirer) ou Sophie (Ixyane Lété) – auraient aussi mérité d’être davantage explorés, d’autant que le duo père-fille fonctionne assez bien. Elles ne semblent pas posséder de vie propre, contrairement au père et manquent donc de chair.
C’est la deuxième fois en peu de temps qu’Arte propose la trajectoire d’un homme paumé, un peu ahuri, qui va comprendre ce qu’il se passe dans sa vie grâce à un élément fantastique. En effet, dans ses mécanismes de narration, L’Agent immobilier rappelle Il était une seconde fois, la mini-série de Guillaume Nicloux avec Gaspard Ulliel, qui ne supportait pas la fin d’un amour. C’est que les deux œuvres, imaginées par des gens qui viennent du cinéma, ont toutes les deux quelque chose d’un héritage de la Nouvelle Vague. Elles se présentent comme libres et loufoques, tout en adoptant un ton très “cinéma français d’auteur” et en étant centrées sur des hommes a priori plutôt ordinaires, mais rendus singuliers par la fiction. Au jeu des comparaisons, c’est L’Agent immobilier qui s’en sort le mieux. Si les métaphores ne sont pas aussi subtiles que ça – un immeuble qui tombe en ruines, comme la vie d’Olivier –, cette mini-série a le mérite de ne pas se prendre trop au sérieux et de compter parmi ses protagonistes… un poisson qui parle.
L’Agent immobilier est diffusé le jeudi 7 mai 2020 à 20 h 55 sur Arte, et dispo sur arte.tv du 30 avril au 5 juin 2020.