Vers une autoroute de la bande passante
Très fragiles “garde-fous”
Le Monde.fr annonce que la FCC prévoit d’intégrer des “garde-fous” à son projet : interdire aux FAI le blocage d’un site, imposer un tarif “commercialement raisonnable” et instaurer une vitesse de connexion plancher… bien que son niveau n’ait pas encore été défini. Mouais. Des limites floues qui, dans les faits, ne garantissent aucune protection à la neutralité du net.
Par ailleurs, c’est donc bien l’internaute qui souffrira le premier d’une telle mesure si elle était instaurée. Outre le fait que rien ne promet l’accès à certains sites qui ne font pas le poids commercialement, les services de vidéo par abonnement et les plate-formes de téléchargement de jeux vidéo pourraient carrément être amenés à gonfler leurs tarifs pour compenser les commissions versées aux FAI – qui leur fourniront, en échange, plus de bande passante.
Il n’y a donc pas que le Bandcamp de votre groupe de garage rock à en pâtir : les start-ups seront aussi menacées. Cité par Le Monde, un groupe d’investisseur de la Silicon Valley proteste :
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Si les grandes sociétés peuvent payer pour une meilleure vitesse de connexion ou un temps de latence plus faible, Internet ne bénéficiera plus de règles du jeu équitables. Les start-up dont les services dépendent de la vitesse (jeux, vidéos, systèmes de paiement) ne pourront certainement pas surmonter ce déficit, peu importe leur degré d’innovation.
Retour à l’internet non illimité
Mais un autre corollaire effrayant de ce projet de législation concerne la fin des abonnements illimités à Internet. Tout comme les téléphones portables, un seuil de consommation de données limité, avec supplément financier en cas de dépassement, est à l’étude. “Plusieurs FAI américains se sont déjà aventurés dans cette direction. Les autres n’hésitent plus à évoquer cette hypothèse, mettant en avant la hausse continue du trafic Internet, et donc de leurs coûts”, note le blog du Monde.
Le premier opérateur câblé américain, Comcast, impose à ses abonnés résidant dans certaines villes une limite à 300GB par mois, que l’internaute peut rallonger en payant 10$ supplémentaires par paquet de 50GB téléchargés. Chez Time Warner, on vend des abonnements avec une limite de 30GB, avec 1 dollar par GB supplémentaire contre 5 dollars de réduction par mois.
David Cohen, vice-président exécutif de Comcast, a déjà annoncé la suite : d’ici cinq ans, sa société pourrait proposer “un modèle de facturation à l’usage sur l’ensemble de son réseau”. Mais très peu d’Américains devraient dépasser la limite de 300GB par mois : selon le cabinet Sandvine, à peine plus de 5% des internautes américains consomment plus de 300Gb par mois… pour l’instant.
Tout indique qu’avec l’implacable démocratisation de l’accès à Internet, la qualité croissante et la prolifération des contenus vidéo, ces 5% de web surfers américains devraient être de plus en plus. L’inquiétude est permise, d’autant que le géant Comcast est sur le point d’obtenir Time Warner Cable pour 45 milliards de dollars. L’entreprise de David Cohen n’attend que l’autorisation de la FCC pour s’en emparer et être en position très dominante sur le marché US : 4 internautes sur 10 paieraient leur facture Internet à Comcast… et la proportion monterait à plus de 50% des clients très haut débit.
La FCC n’en est qu’au stade des propositions, et même si les opérateurs privilégiés semblent souhaiter s’y engouffrer, elles ne prendront pas acte tant qu’elles ne seront pas décidées. Les deux camps s’affronteront lors de deux périodes de consultation jusqu’au 10 septembre. D’ici là, quid de la France ?
La France épargnée… jusqu’à quand ?
En Hexagone, les digues de la neutralité du net ne céderont pas. C’est Olivier Schrameck, président du CSA, qui s’est prononcé très nettement en faveur du principe d’égalité 3.0, gage de la liberté de communication audiovisuelle.
Au micro de France Culture, il affirmait dimanche 11 mai :
Le 1er objectif du CSA c’est la liberté de communication. Tout le reste en dépend. Et par conséquent la liberté de l’Internet et sa neutralité constituent pour nous un ferment irremplaçable du développement de la liberté de communication audiovisuelle.
Cependant, plus haut, Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique, est moins catégorique. Dans une interview pour 20Minutes, elle déclare que la garantie de la neutralité du net “est une question à laquelle il est impossible de répondre par oui ou par non”, qui “doit être posée”. Pour autant, elle ajoute ensuite qu’elle “[aimerait] que ce principe de neutralité figure dans le droit français et soit affirmé au niveau européen” et ne veut pas “d’un Internet fractionné”.
La ligne est floue, Axelle Lemaire le sait. C’est probablement pour cela qu’elle conclut d’une pirouette : “défendre une position qui protège la liberté d’Internet tout en préservant les capacités d’innovation des entreprises”. C’est certain, avec l’arrivée d’un service tel Netflix en France en septembre, le gouvernement pourrait être tenté de suivre la ligne de la FCC.