Il y a dix ans se terminait The L Word, sur Showtime, une série sur un groupe de lesbiennes trentenaires qui a fait l’effet d’une bombe dans le paysage télévisuel très hétéronormé de l’époque. À l’occasion du MIPTV qui s’est tenu en avril dernier à Cannes, nous avons pu rencontrer sa créatrice Ilene Chaiken pour discuter de son expérience sur la série et du passage de flambeau à Marja-Lewis Ryan, la showrunneuse de la nouvelle version baptisée The L Word: Generation Q.
À voir aussi sur Konbini
Biiinge ⎜Comment choisissez-vous les projets sur lesquels vous travaillez ? Doivent-ils vous toucher personnellement, être engagés ?
Ilene Chaiken ⎜Oui, tout ça à la fois [rires] ! Parfois, j’ai une idée qui me colle à la peau depuis longtemps, parfois ça vient comme par magie, mais dans tous les cas, ça doit correspondre aux thèmes qui me sont chers : que ce soit des outsiders devant s’intégrer quelque part, ou que ce soit la différence, les personnes qui sont exclues par la société patriarcale.
On ne peut nier l’impact qu’a eu The L Word dans la communauté LGBTQ, mais quelle influence a-t-elle eu, selon vous, chez les personnes hétérosexuelles et cisgenres ?
J’espère que ça a permis à beaucoup de gens de mieux nous connaître, ainsi que nos vies, et de comprendre que nous ne sommes pas si différent·e·s que ça les un·e·s des autres. On sait maintenant que l’intolérance de certaines personnes tend à s’évaporer dès qu’elles connaissent quelqu’un qui est gay. Et le fait est que les gens que vous voyez dans vos séries deviennent vos amis.
Donc les héroïnes de The L Word sont devenues des amies, des membres de la famille pour des gens qui n’avaient aucune personne gay dans leur entourage. On m’a aussi rapporté que la série avait aidé beaucoup de personnes LGBTQ, en particulier des jeunes, à faire leur coming out auprès de leurs proches.
C’est une responsabilité énorme ! Pensiez-vous, en créant The L Word, que vous alliez changer des vies ?
Non, ça aurait été très présomptueux de ma part. C’était surtout une délicieuse surprise pour moi. L’ambition de chacun de mes projets, c’est de raconter une bonne histoire qui émeut les gens. Ce qui arrive une fois que j’ai raconté cette histoire ne m’appartient plus. Même si j’en tire une grande fierté.
© Showtime
La série originale s’est arrêtée il y a dix ans. Avec le recul, que feriez-vous différemment si vous deviez l’écrire aujourd’hui ?
J’essaye de ne pas trop me poser cette question. J’ai beaucoup appris depuis, et la société a changé. Pour le reboot, il était évident que certaines choses, qu’on peut qualifier d’erreurs passées, ne devaient pas être reproduites aujourd’hui. Par exemple, la façon dont on dépeint la communauté non-binaire ou transgenre sera plus attentionnée, authentique et respectueuse. Et on a casté des personnes qui appartiennent à ces communautés, et c’est le cas pour chaque personnage représentant une minorité.
À l’époque, deux séries se sont emparées des sujets LGBTQ, Queer as Folk et The L World. Pourtant, la télévision n’a jamais vraiment pris le pli pour continuer sur cette voie, et on a dû attendre presque 10 ans pour avoir des séries comme Pose ou des personnages queer en tête d’affiche. Comment vous expliquez ça ?
Je ne sais pas pourquoi personne n’a saisi le flambeau que je leur tendais. Quand on a fini The L Word en 2009, j’étais alors persuadée qu’il y aurait davantage de séries, de personnages et de représentations LGBTQ, et j’ai été déçue, voire carrément choquée de constater que ce n’était pas le cas. C’est aussi ce qui nous a motivés à rebooter The L Word aujourd’hui.
© Showtime
Comment est née cette idée de ressusciter la série dix ans après ?
Il y a eu plusieurs facteurs, mais c’est principalement dû au fait que j’avais gardé le contact avec Jennifer [Beals], Kate [Moennig] et Leisha [Hailey]. C’était leur idée et elles revenaient souvent à la charge pour qu’on le fasse. C’est une vraie collaboration, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’on est toutes les quatre productrices exécutives sur cette nouvelle version.
Aujourd’hui, encore plus que par le passé, quand on regarde une série queer et féministe, les attentes sont énormes en termes de diversité, d’inclusivité ou de représentations. Ressentez-vous cette pression de bien faire et de ne heurter personne ?
Je ne considère pas ça comme une pression mais comme une opportunité, une façon de réparer les erreurs passées. J’aime cette exigence et je l’accueille à bras ouverts. Le plus gros challenge, c’est que les règles changent et évoluent constamment. Mon job, c’est aussi d’être attentive à ces changements, de mettre tout le monde à l’aise et de préserver les sensibilités de chacun·e. Mais globalement, je pense que c’est une très bonne chose, et je m’en félicite.
Vous savez, j’ai reçu pas mal de critiques pour le portrait que je faisais de Max [un personnage transgenre, ndlr]. Et bien sûr, si on écrivait telle quelle son histoire aujourd’hui, on serait complètement dans l’erreur. À l’époque, pourtant, je ne l’ai pas ressenti comme ça. Mais c’est vrai que certaines portions de son expérience ne reflétaient pas celle du plus grand nombre. Et je pense que notre approche, à certains égards, pouvait être offensante — parfois c’était volontaire, parce qu’on ne veut pas que chaque histoire ou chaque personnage soient immaculés. Quand on a commencé à raconter son histoire, on ne savait pas qu’on allait le voir faire sa transition. Ce qu’on voulait, c’était un personnage qui s’identifiait “homme”.
Depuis la dernière saison en date, la société américaine a beaucoup changé, culturellement, politiquement… Comment The L Word: Generation Q va s’adapter à ces changements ?
Déjà, je pense qu’elle va les embrasser et les interroger. C’est l’une des raisons pour lesquelles je produis cette nouvelle mouture, et que je ne l’écris pas. J’ai plus un rôle de mentor. Je ne pensais pas être la meilleure personne pour le job, alors j’ai dit à Showtime : “Trouvons plutôt une talentueuse jeune lesbienne qui est plus ancrée que moi dans ce monde.” J’étais convaincue, et je maintiens cette position, que l’écriture devait être confiée à une femme plus jeune, comme je l’étais quand j’ai écrit l’originale, et qui soit toujours sur le marché du dating [rires].
La première saison de The L Word: Generation Q débarque ce dimanche 8 décembre sur Showtime et est proposée sur Canal+ Séries en France.