Il faut qu’on parle de Negan, le méchant compliqué de The Walking Dead

Il faut qu’on parle de Negan, le méchant compliqué de The Walking Dead

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Par Anaïs Bordages

Publié le

Le personnage le plus monstrueux de The Walking Dead peut-il être pardonné ?

Des psychopathes cannibales, des psychopathes avec un cache-œil, des psychopathes sans cheveux, des psychopathes avec beaucoup de cheveux… En dix saisons, The Walking Dead a vu défiler un bon paquet de redoutables gros méchants, tous plus cruels et dérangés les uns que les autres. Mais aucun n’est parvenu à égaler Negan, unanimement considéré comme l’antagoniste le plus culte et le plus terrifiant des comics de Robert Kirkman et leur adaptation télé. Son évolution a pourtant de quoi nous donner un coup du lapin : d’abord meurtrier sadique et sans pitié, Negan a désormais rejoint le côté des gentils. S’il s’avère toujours fascinant, son parcours nous laisse un arrière-goût amer : peut-on vraiment offrir une rédemption à un personnage aussi infâme ?

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Lorsque Negan débarque dans la saison 6, la série est encore au pic de sa popularité et l’excitation des fans est immédiate. Il faut dire que l’excellent Jeffrey Dean Morgan remplit le cahier des charges à merveille : Negan est un monstre, mais un monstre charismatique. Il porte une veste en cuir, l’accessoire universel des gens cool ; se balade avec une batte de baseball enroulée de fil barbelé qu’il a affectueusement surnommée Lucille ; débite de nombreuses répliques sarcastiques et méta ; et semble afficher un sourire perpétuellement narquois. Les fans comme les critiques sont convaincus par l’incarnation télé de ce méchant d’anthologie.

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Un personnage masculin faussement profond

Pourtant, dès le départ, le personnage semble aussi pousser à son paroxysme la mode des anti-héros et meurtriers charismatiques, des Soprano à Breaking Bad – sans parvenir à égaler la subtilité de ces derniers. Son écriture, au contraire, rassemble tous les clichés du personnage masculin faussement profond. L’une de ses qualités rédemptrices est censée être son rejet absolu du viol (oui, on en est là), mais Negan est en fait entouré de plusieurs “épouses” contraintes de rejoindre son harem. L’élément déclencheur qui l’a rendu méchant ? La mort de sa femme. Quant à son goût très prononcé pour les jurons, il nous rappelle plutôt un pré-ado qui essaie désespérément de se rebeller contre ses parents : “Not fucking cool. You had no fucking idea how not fucking cool that shit is. I’m gonna beat the holy fuck, fucking fuckkity fuck outta one of you” – ok Negan, mange tes légumes verts maintenant s’il te plaît.

La cruauté de Negan atteint son apogée lorsqu’il exécute Abraham, puis Glenn, dans une démesure de gore et de violence jusqu’alors réservée aux zombies de la série. Avec cette scène, The Walking Dead préfère le sensationnalisme grossier à la subtilité et offre à Glenn, l’un des personnages les plus adulés de la série, une mort aussi choquante qu’humiliante. La série franchit une nouvelle étape dans la cruauté, que certains auront du mal à lui pardonner. L’épisode, qui ouvre la septième saison, rassemble 17 millions de téléspectateurs ; la semaine d’après, ils ne sont plus que 12 millions, et les audiences ne remonteront jamais par la suite.

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Pourtant, Negan reste pour beaucoup un parangon de cool. Les compilations de ses “meilleurs moments” (parmi lesquels ses meurtres les plus violents) cumulent plusieurs millions de vues sur YouTube. Ses crimes les plus vils sont remontés sur des tubes de hip-hop. Mais pour nous, c’est depuis qu’il a arrêté d’être aussi caricatural (et que la série ne semble plus être regardée par personne) que Negan se révèle paradoxalement le plus intéressant.

Une rédemption est-elle vraiment possible ?

Après avoir échappé de près à l’exécution, Negan est emprisonné par Rick, ce qui reflète la volonté de la série d’entrer dans une nouvelle ère, peut-être plus civilisée (ça n’a pas trop marché mais on salue l’effort). Et grâce à une succession de choix judicieux, le personnage se complexifie. Le premier, c’est un bond dans le temps salvateur, qui relance l’intrigue et nous permet d’apprendre que Negan a passé six ans à croupir dans une cellule. Son emprisonnement semble lui avoir conféré une nouvelle sagesse et, en se faisant plus discret dans la série, le personnage permet au public de souffler un peu. En parallèle, l’écriture de The Walking Dead commence peu à peu à relever son niveau après un sérieux passage à vide. Le personnage est aussi fortement aidé par la performance impeccable de Jeffrey Dean Morgan, tellement charismatique que quinze ans après son apparition dans Grey’s Anatomy, son personnage de Denny Duquette reste inoubliable.

À travers son rapprochement avec de jeunes personnages (Judith, puis Lydia), Negan démarre ainsi sa rédemption, tout en gardant sa répartie cinglante. Ayant eu de nombreuses occasions de s’évader, il finit toujours par revenir de son propre gré, et prouve sa bonne volonté, faisant preuve d’affection et de générosité avec d’autres personnages. Et dans un clin d’œil très malin aux hordes de fans qui vénèrent encore aveuglément le personnage, Negan est horrifié de voir l’adulation sanguinaire qu’il a pu susciter, lorsqu’il est confronté à un ancien “admirateur”. Si l’on a encore du mal à aimer Negan, au fond, c’est parce qu’il illustre bien cette fascination très malsaine de notre culture pour les meurtriers, que l’on a souvent tendance à qualifier de génies torturés ou maléfiques. Leur psyché nous intrigue et leur cruauté nous divertit, quand des anti-héroïnes comme Daenerys ou Cersei, elles, n’inspirent pas le même culte.

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Alors que les nouveaux épisodes viennent de débuter, la question d’une rédemption totale reste encore en suspens (et anime d’ailleurs de nombreux débats sur des forums comme Reddit). Le retour de Maggie, la veuve de Glenn, promet de complexifier cette réhabilitation : chaque regard échangé entre eux ne peut que nous rappeler la sauvagerie des crimes commis par Negan. Même Daryl, lorsque de nouveaux venus lui demandent s’ils sont censés faire confiance à Negan, répond laconiquement : “On y réfléchit encore”. Difficile de racheter un personnage aussi odieux, mais au moins, la série semble déterminée à aborder la question avec sérieux.

The Walking Dead est diffusée en France sur OCS.