Il faut qu’on parle du traitement de l’inceste dans House of the Dragon

Il faut qu’on parle du traitement de l’inceste dans House of the Dragon

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Par Marine Pérot

Publié le

Rappel : il n’y a pas de consentement dans les relations incestueuses.

Avec ses mariages entre frère et sœur, cousins, ou encore oncle et nièce, le moins que l’on puisse dire, c’est que la tradition de l’inceste se porte bien chez les Targaryen. Mais alors que sa représentation était déjà parfois problématique dans Game of Thrones, House of the Dragon a poussé le curseur encore plus loin avec le couple formé par Daemon et Rhaenyra en les présentant au public comme des égaux et, surtout, deux adultes consentants. Pourtant, dans la réalité, les relations incestueuses sont loin d’être de cet ordre-là.

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L’inceste n’est pas une histoire d’amour

La glamourisation de l’inceste dans House of the Dragon est problématique aux yeux de notre société actuelle qui considère qu’une relation de ce type est basée sur un rapport de domination. On sait que l’inceste, au-delà de désigner des relations sexuelles entre personnes ayant un lien de parenté, est ancré dans le déséquilibre des pouvoirs entre les individus impliqués. Pourtant, dans House of the Dragon, l’inceste apparaît comme une relation égalitaire entre deux personnes consentantes, véhiculant ainsi une idée fausse sur ce qu’il est réellement.

Le problème est que dans la série, l’inceste est normalisé sous prétexte que, chez les Targaryen, c’est presque le sport officiel de la maison. Pratiqué à outrance pour maintenir une lignée de sang “pur”, il n’est pas aussi tabou dans cette série qu’il l’était dans Game of Thrones, en particulier concernant la relation entre Cersei et Jaime Lannister.

© Ollie Upton/HBO

Pire encore, le préquel prend le parti, surtout avec l’union entre Daemon (Matt Smith) et Rhaenyra (Emma D’Arcy), de présenter leur rapport comme une histoire d’amour, alors que les relations incestueuses sont une affaire de pouvoir avec une personne dominante et une personne dominée, où le consentement est donc forcément dévoyé. La représentation de la romance entre Daemon et Rhaenyra fait l’impasse sur le fait que l’un a une emprise sur l’autre.

“Dans l’épisode où ils font l’amour ensemble pour la première fois, c’est vraiment filmé comme les retrouvailles de deux êtres qui s’aiment et qui passent enfin à l’acte de façon assez romantique”, souligne Marie Telling, co-animatrice du podcast Peak TV et co-autrice du livre Petit éloge des anti-héroïnes de séries. Elle ajoute que ce n’est donc pas parce que l’inceste est acceptable chez les Targaryen que la façon qu’a la série de le présenter n’est pas gênante pour autant.

Du “grooming” au consentement : l’étrange parcours de Rhaenyra

L’inceste est souvent un outil narratif que House of the Dragon utilise à tout va selon ses besoins, mais il y a une certaine inconsistance dans la représentation que la série fait du rapport entre Daemon et Rhaenyra. Au début de la série, on rencontre la princesse Targaryen alors qu’elle n’est encore qu’une adolescente, et il y a une différence d’âge considérable entre elle et son oncle Daemon. Pourtant, dès leur première scène ensemble, on comprend qu’on a affaire à une relation anormale. Telling analyse :

“On voit du grooming quand elle est jeune. Et ce n’est pas un mariage arrangé. Il l’a prise pour proie presque dans la façon dont il a développé une relation avec elle.”

Les années passent et le grooming (le processus de préparer un enfant pour en abuser sexuellement par la suite) de Rhaenyra continue. Dans l’épisode 4, “King of the Narrow Sea”, Daemon emmène Rhaenyra à la découverte du sexe dans un bordel de Port-Réal et manque de peu de lui ôter sa virginité. Rhaenyra est alors représentée comme étant totalement sous le charme de son oncle et prête à passer à l’acte avec lui.

© HBO

Une dizaine d’années plus tard, elle est toujours amoureuse, et quand l’opportunité de coucher avec Daemon se présente à elle, Rhaenyra le fait allègrement. Leur union est la culmination de nombreuses années de grooming, mais elle n’est pas présentée comme telle car la princesse ne s’en rend pas compte et pense au contraire être dans un rapport d’égalité de pouvoir et de séduction mutuelle avec Daemon. C’est pourtant bien lui l’initiateur de tout cela.

Une héroïne à tout prix

Marie Telling nous explique :

“La construction scénaristique de la série, avec de grands bonds dans le temps, fait qu’on a des évolutions psychologiques chez les personnages qui sont parfois à la limite du compréhensible parce qu’on se demande comment ils en sont arrivés là.”

Pour la journaliste, le fait est que les scénaristes ont clairement dû faire un choix en ce qui concerne Rhaenyra :

“Je pense qu’ils se sont dit qu’elle ne pouvait pas être ce symbole de force et d’autonomie féminine, de cheffe de guerre presque, et en même temps être dans une relation d’emprise avec celui qui partage sa vie.”

Dans le dernier épisode de la saison, “The Black Queen”, le rapport entre Rhaenyra et Daemon change légèrement dans une scène où ce dernier l’étrangle. Cette note d’abus, jusque-là mis en retrait dans la série, vient nuancer la relation entre les deux amants. Mais ce moment arrive trop tard et est trop ambigu pour vraiment donner une autre couleur au tableau de l’inceste que dépeint House of the Dragon.

Comme le précise Marie Telling :

“La série aurait mérité d’être un peu plus fine sur le sujet et de montrer la relation d’emprise et de pouvoir tout en soulignant l’indépendance et la force de caractère de Rhaenyra.”

Un couple que le public ne peut s’empêcher de soutenir

C’est peut-être ce qu’il y a de plus gênant dans le portrait que House of the Dragon fait du couple Daemon et Rhaenyra : les spectateur·rice·s de la série n’ont, pour beaucoup, aucun problème à clamer haut et fort leur affection pour ce duo. De YouTube à TikTok en passant par Twitter, les preuves de ce ship (le fait de vouloir que deux personnages se mettent ensemble) sont partout et démontrent qu’une grande partie du public fait abstraction de l’inceste, pourtant fondateur de cette relation. Certaines publications, comme Cosmopolitan, vont même jusqu’à justifier le rapport du public à ce couple en argumentant que, du moment que Daemon et Rhaenyra sont des personnages fictifs et que Westeros n’est pas réel, on peut s’adonner à toutes sortes de fantasmes à leur sujet.

On peut se dire que House of the Dragon est une fiction basée sur un univers fantaisiste aux accents de Moyen Âge, ou encore que, fut un temps, l’inceste était “acceptable”, mais utiliser ces arguments est une facilité. Représenter Daemon et Rhaenyra comme deux amants transis est une maladresse scénaristique qui contribue à véhiculer des mythes sur l’inceste, et ça, ça reste très problématique.

La première saison de House of the Dragon est disponible sur OCS.