Oui, on a le droit d’aimer des séries pourraves et d’en tirer du plaisir sans entacher notre réputation de sériephile. Alors lâchez-nous la grappe !
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Lovée sous ma couette, seule face à l’écran, je suis en plein visionnage quand soudain… mon coloc débarque sans frapper et me surprend. Grillée !! L’objet du délit ? Non, je ne me suis pas fait prendre la main dans le slip devant un porno, mais en train de mater [insérer n’importe quelle série unanimement considérée comme honteuse].
Et bizarrement, le sentiment de culpabilité est le même. Est-ce à dire qu’aimer une série un peu naze, c’est assouvir ses plus bas instincts ? Non, la situation embarrassante tient surtout au fait que quelqu’un a fait irruption dans votre intimité, à un moment où vous étiez vulnérable. Et ça, madame, monsieur, ce n’est pas sale ! (On parle toujours de séries là.) Il va falloir pas mal d’auto-persuasion et une bonne dose de confiance en soi pour que ces “guilty pleasures” deviennent des petits kiffs assumés. Après tout, ne dit-on pas “là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir” ?
Cachez ce nanard que l’on ne saurait voir
Qu’est-ce qui fait qu’une série n’est pas très recommandable ? Si l’on n’avait pas à confronter nos goûts à ceux des autres, on n’aurait probablement jamais à faire face à ce problème. Parce qu’il y a un argus des fictions en vogue, plus la série incriminée s’en éloigne, plus elle s’expose à la moquerie. Or il y a, comme dans le cinéma ou la littérature, une forme de snobisme qui persiste avec le 8ème art. Celui-ci suggère que la culture est une chose sacrée que le divertissement viendrait pervertir.
Dans la vidéothèque idéale du sériephile, il y aurait donc The Wire, Twin Peaks, The West Wing, dont les coffrets DVD trônent fièrement sur les étagères du salon. Mais ne vous y trompez pas, même les plus averti-e-s d’entre nous possèdent des fichiers .mkv d’un goût douteux, au fin fond de nos disques durs. Si vous saviez… Pour Pierre Sérisier (Le Monde des séries) :
“L’ennui avec le plaisir coupable n’est pas de s’y adonner, mais d’avouer aux autres qu’on s’y adonne. C’est le regard d’autrui qui est gênant car il nous renvoie à la qualité de notre goût.”
Mais justement, cette appréciation ne dépend pas tant de la qualité de ladite série, que de l’image de nous que celle-ci renvoie. Il faut un TOP 20 avec uniquement des chefs-d’œuvre pour bâtir une réputation… et un seul nanard pour la briser. Le souci majeur, c’est que cette pression sociale, qui détermine ce qui est brillant et ce qui est pourri, est à géométrie variable.
Et la fenêtre de tir se referme très vite. Dans un passé pas si lointain, Game of Thrones était un “must-see”, l’objet de toutes les conversations à la machine à café. Aujourd’hui, si elle est toujours aussi populaire, il est de bon ton d’en dire du mal. Il n’aura suffit que de deux saisons pour qu’UnREAL passe de série géniale d’un cynisme vivifiant à autoparodie mal dégrossie. Certes, aucune de ces séries n’est considérée comme honteuse (pour l’instant), mais cela montre bien qu’en terme de popularité, le vent tourne, et les chouchoutes d’aujourd’hui seront peut-être les parias de demain.
La double culpabilité
Et comme si l’on n’avait pas déjà assez à faire avec la pression des autres — n’oubliez pas que tout le monde a des squelettes dans le placard — il y a aussi celle que l’on s’impose de façon complètement arbitraire. Cette culpabilité qui nous étreint tandis que l’on lance notre sixième binge-watching de Charmed, c’est aussi le regard que l’on porte sur nous-même, c’est cette petite voix qui nous dit : “Dis donc, tu crois pas que t’as mieux à faire ? Genre démarrer enfin The Wire…”
Le fait que la sériephile soit une activité hautement chronophage n’aide pas. Or il paraît que dans nos sociétés modernes, passer 6h devant The Wire n’a pas la même valeur que de passer 6h devant Charmed. Je vous jure… Surtout que si ça se trouve, dans 10 ans on reconnaîtra enfin la contribution des sœurs Halliwell au paysage sériephile (non).
Je me souviens que lorsque j’étais étudiante, j’adorais regarder les rediffs de Buffy contre les vampires sur Téva ou M6, mais aussi de me précipiter sur la télécommande pour baisser le son dès que j’entendais le riff de guitare du générique. J’avais peur qu’on me juge, parce que c’était une série pour ados, parce que c’était une série avec des vampires au maquillage improbable…
Bref, c’était avant qu’on me dise qu’en réalité, Buffy est une série plus que recommandable. Elle est même dans le TOP 10 des meilleures séries de tous les temps de beaucoup de critiques professionnels. Personne de censé, aujourd’hui, n’oserait mettre en doute ses qualités. Si j’avais su, je me serais épargné bien des pics de stress, suivis de moments un peu gênants. Attention, je vous parle d’un temps où déjà, le simple fait de regarder des séries vous attirait des regards plein de condescendance. Paye ta double couche de culpabilité !
Dites non au “series-shaming” !
Et quand bien même Buffy n’aurait jamais été ce petit chef-d’œuvre, est-ce que je ne prenais pas beaucoup de plaisir à la regarder ? Bien sûr que oui. Ce qui a changé depuis, c’est que mon esprit critique s’est développé et que je n’ai plus besoin de personne pour me dire que la série que je regarde est bonne ou non. On pourrait croire qu’en devenant journaliste dans ce domaine, je n’apprécie plus que le haut du panier, le top du top, survolant de tout mon dédain les séries fadasses et kitsch qu’on réserve à la populace. Bah voyons ! #Jesuislapopulace
Les coups de cœur, ça ne se commande pas, et surtout, ça se moque bien de la cote de popularité en vigueur. J’essaye de me souvenir de ça quand je suis à deux doigts de me moquer d’une copine qui m’avoue aimer Les Enquêtes de Murdoch (ok, elle tend le bâton pour se faire battre). Parce que moi aussi j’ai des trucs pas jojo sur mon disque dur. Moi aussi, j’ai des squelettes dans le placard avec écrit Lethal Weapon dessus, ou 2 Broke Girls, ou Lucifer. Punaise, ça fait du bien de tout déballer au grand jour ! Ça libère, vous devriez essayer.
Alors, amis sériephiles, voici deux résolutions pour 2017 : arrêter le “series shaming” — quelle genre de satisfaction perverse recherche-t-on à interférer avec le plaisir de l’autre ? — et se libérer de toute forme de culpabilité ! Parce que s’il est “guilty”, le “pleasure” perd sacrément de sa saveur. Vos amis devraient avoir confiance en votre capacité à trier le bon grain de l’ivraie : “Je sais que Lethal Weapon c’est tout naze et ça m’irrite la fibre féministe environ six fois par épisode, mais voilà, ça m’amuse (et l’acteur est beau), ça me détend (et l’acteur est beau) et l’acteur me fait craquer (et… non rien)”. Sans compter qu’apprécier Breaking Bad et se vider la tête après le boulot en matant Glee, ça n’est pas mutuellement exclusif. Du coup, la police du bon goût n’a pas trop son mot à dire. Au diable les complexes sériels !