[Cet article contient des spoilers sur la saison 2 de Ragnarök.]
Après
une première saison intrigante qui posait les bases de son univers,
Ragnarök, le teen drama fantastique d’Adam Price, est de retour depuis le 27 mai pour une saison 2, qui s’amuse plus que jamais à filer la métaphore entre passage à l’âge adulte de ses jeunes protagonistes, lutte écologique et réincarnation de dieux et déesses de la mythologie nordique. La saison 2 reprend là où le final de la première nous avait laissé·e·s : après le combat dantesque opposant Vidar (Gísli Örn Garðarsson) à Magne (David Stakston). Aucun des deux protagonistes n’a finalement perdu la vie et l’affrontement larvé entre la famille Jutul, composée en réalité de Géant·e·s, et Magne – notre réincarnation de Thor, peut reprendre son cours. À ceci près que l’adolescent va se découvrir des allié·e·s dans son combat contre cette famille riche et puissante, qui possède le cinquième groupe industriel de la Norvège. L’enquête contre les Jutul, lancée par Isolde (l’amie de Magne, assassinée en saison 1) atteint son paroxysme. Il est finalement prouvé que leur société a contaminé l’eau de la ville avec des déchets toxiques, empoisonnant leurs habitant·e·s.
Le Loki Show
Parallèlement, Magne explore ses pouvoirs grandissants et sa relation avec son frère, Laurits, se complique. Car vous l’aurez deviné : comme dans la mythologie nordique, Laurits se trouve être la réincarnation du facétieux Loki, être mi-Géant mi-Dieu amené à trahir Thor. Incarné avec justesse et ce qu’il faut d’ambiguïté morale par Jonas Strand Gravli, le personnage gagne en épaisseur et en humanité, et change de look un paquet de fois dans la série ! C’est simple, cette saison 2 pourrait aussi s’appeler le “Loki Show”. La relation entre les deux frères devient lentement mais sûrement le nœud principal de l’intrigue. Il sera intéressant de comparer la trajectoire de cette version ado de Loki très réussie avec l’itération du MCU incarnée par Tom Hiddleston. Le timing fait bien les choses : la mini-série Loki arrive ce mercredi 9 juin sur Disney+. Les deux versions du personnage ont en commun d’avoir opté pour une interprétation LGBTQ+ du personnage. On a plutôt envie d’applaudir ce choix, Loki étant un des personnages chouchou des fans, même si on note qu’il s’agit d’un personnage connoté plutôt du côté du Mal (un trope de la pop culture qui devient fatigant).
Dans la mythologie nordique, Loki est en effet un dieu qui peut se transformer, notamment en femme. La version Marvel en a fait un personnage non-binaire, et il en va quasiment de même pour Ragnarök : Laurits/Loki explique notamment à sa mère qu’il ne croit pas “aux races, à l’identité sexuelle ou aux normes” et que Loki peut être vu comme “le premier personnage transgenre de l’Histoire”. Durant cette saison 2, le personnage à l’identité fluctuante éprouve également une attirance pour un jeune homme, mais la relation qui est le plus approfondie est celle qui l’unit à Magne/Thor. La révélation sur le père de Laurits, qui n’est autre que Vidar (le patriarche des Géants, bien décidé à envoyer Magne ad patres), complique plus que jamais les choses. Coécrite par Adam Price et Emilie Lebech Kaae, cette deuxième saison construit assez bien les deux protagonistes pour éviter tout manichéisme, qui aurait amené à voir Magne comme le gentil et Laurits le méchant. C’est un petit peu plus compliqué que cela : les deux ont de bonnes raisons de poursuivre une trajectoire qui, inexorablement, les conduira (dans une future saison 3) à se combattre. “Tu seras toujours mon frère”, assure Magne à Laurits dans le final d’une saison 2, placée sous le signe des premières désillusions et trahisons.
Famille, je vous hais
On retrouve là un des leitmotivs de l’œuvre d’Adam Price déjà très présent dans son drama adulte Au nom du père. La tragédie shakespearienne, le besoin de “tuer le père” pour laisser place à la modernité et à une nouvelle génération plus en phase avec la société actuelle sont au cœur de Ragnarök. Mais faut-il tuer le père pour le remplacer ou pour tout changer ?
Après avoir un temps refusé son “destin”, Fjor (Herman Tømmeraas) finit par marcher sur les traces de son défunt “père”, restaurant une tradition patriarcale dont Saxa (Theresa Frostad Eggesbø), qui a pris un temps les commandes de Jutul Industries avec succès, espérait s’extirper. C’est terrible d’assister à sa déchéance, notamment précipitée par le manque de soutien de la matriarche, Ran (Synnøve Macody Lund). On espère que la saison 3 laissera davantage de place à ses personnages féminins, pour le moment toujours assez en retrait et étouffés par le jeune trio masculin formé par Magne, Laurits et Fjor. Hormis de potentiels love interest et l’arrivée d’Iman (jouée par Danu Sunth), réincarnation de la déesse Freyja qui apporte un peu de diversité à une série très blanche, les femmes dans Ragnarök sont bien moins creusées et sublimées dans leur toute-puissance que les hommes.
Alors oui, la mythologie nordique (comme grecque d’ailleurs) comporte son lot de sexisme, mais la série ne se présente pas comme un documentaire sur le sujet, loin de là. Il s’agit d’une réinvention et l’histoire de Ragnarök prend place de nos jours. Il n’y a pas d’excuses possibles pour ne pas créer de beaux personnages féminins tout aussi importants que les personnages masculins. Par exemple, l’épisode 5 met en scène Iman et Ran, la scène se terminant par un improbable baiser entre les deux femmes. Pourquoi pas, mais que signifie-t-il pour l’une comme pour l’autre ? On en a aucune idée, le reste de la saison n’y faisant plus aucune référence et les deux personnages ne se faisant plus du tout face. Un peu léger tout ça, vous en conviendrez.
Si la mère n’a pas pris le pouvoir, force est de constater que cette saison 2 a bien tué le père, et par deux fois : celui, humain, de Gry, mais aussi Vidar, à la suite d’un nouveau combat avec Magne. Pour autant, Fjor semble déterminé à perpétuer la tradition patriarcale en utilisant les mêmes outils que Vidar : l’intimidation, la violence et le non-partage du pouvoir. Parallèlement, la série poursuit l’intrigue écologique de façon plutôt maligne. Au pied du mur, les Jutul menacent de délocaliser leur industrie (ils emploient la moitié des habitant·e·s de la ville d’Edda) face à la fronde populaire, et la jeunesse militante s’organise. À l’aide d’effets spéciaux bien dosés et de ces paysages nordiques à la beauté toujours aussi hypnotique, la série mélange joyeusement les genres et les thématiques, tout en réussissant à retomber sur ses pattes, ou plutôt sur son marteau dans le cas de Magne. Après une crise morale personnelle, notre Dieu en devenir accepte les responsabilités et commence à entrevoir les sacrifices qu’il va devoir faire pour en être digne. Au vu du final de la saison 2, son destin et celui de Laurits restent inextricablement liés aux Jutul. Ensemble, ils et elles forment une famille dysfonctionnelle qui court à son autodestruction, jusqu’au Ragnarök ?
Les deux premières saisons de Ragnarök sont disponibles sur Netflix.