En saison 2, la folie de YOU ne connaît plus de limites

En saison 2, la folie de YOU ne connaît plus de limites

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Par Marion Olité

Publié le

Le Dexter de l'amour est de retour.

Il est fortement conseillé d’avoir visionné toute la saison 2 de YOU avant de lire cette critique, qui contient des spoilers. 

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Devenu un inquiétant succès surprise lors de sa diffusion en 2018 sur Netflix (le diffuseur initial étant Lifetime), YOU était attendue au tournant pour sa deuxième saison, cette fois-ci proposée en exclusivité sur la plateforme. On y retrouve Joe Goldberg, ce jeune trentenaire féru de livres, en apparence bien sous tous rapports, à la recherche de l’amour avec un grand A. Le début d’une comédie romantique classique ? Oui, sauf que l’attirant jeune homme, qui prend les traits de Penn Badgley, révélait très vite en saison 1 de sérieux penchants de psychopathe. Calculateur, obsessionnel, stalkeur, il finissait par tuer “accidentellement”, selon lui, (la série étant racontée de son point de vue, en voix off), l’objet de son affection, Beck. 

Qui dit nouvelle saison dit nouveaux enjeux, et ici carrément un changement d’identité et de location. Suivant la trame du deuxième roman, Hidden Bodies, de Caroline Kepnes, Joe habite désormais à Los Angeles, la ville du paraître, et se fait passer pour un certain Will Bettelheim. Toujours aussi cynique et prompt à juger son prochain accro au quinoa et aux séances d’hypnothérapie, mais bien décidé à arrêter de tuer ses crushs ou leurs proches, il fait tout pour ne plus être amoureux. Mais son chemin va croiser celui de la bien nommée Love (Victoria Pedretti)…

Après une première saison aussi fascinante que malaisante, prêtant à débat dans une époque où l’on connaît la puissance des systèmes de représentation chez les jeunes (ici, l’imagerie du “bad boy” était ironiquement poussée à son paroxysme mais a été digérée au premier degré par de nombreuses fans), YOU se retrouvait face au défi d’une saison 2 qui se devait à la fois de surprendre et augmenter les risques, tout en restant avec un personnage central au fonctionnement très particulier. Et la série, qui fonctionne à bien des égards comme Dexter, de proposer une deuxième livraison à la fois abracadabrante, révoltante (dans son traitement bordélique des féminicides et des violences domestiques) et soapesque à souhait.

WTF et masculinité toxique

Notre Dexter de l’amour a décidé de “changer”. Il ne veut plus tuer ou stalker ses potentiels crushs, et tente de redéfinir ce qu’il attend de l’amour. Son “code” (référence au code de Dexter, qui se résumait à “tuer les méchants” en ayant des preuves) a légèrement changé. Will/Joe tue au nom de la conception qu’il se fait de l’amour, que ce soit parce qu’il pense que cela le rend meilleur, comme le meurtre de Henderson (cible que Dexter aurait aussi abattue, d’ailleurs), ou parce qu’il pense qu’une personne met en danger sa relation avec Love.

Dans la lignée de la première saison, cette deuxième livraison se révèle aussi problématique que… follement divertissante. Ses rebondissements plus (Joe qui se fait couper le doigt par un mafieux dès le 2e épisode) ou moins prévisibles (le twist de l’épisode 9) et pas du tout plausibles ont au moins le mérite de tenir un certain réalisme à l’écart. Chaque personnage dans cette série lutte avec sa propre folie et tente de la cacher sous des litres de faux-semblants. 

Ceci étant dit, le show joue avec une contemporanéité qui brouille les pistes. L’une des intrigues concerne une célébrité qui viole l’intimité de mineures en les droguant au GHB. Des mots comme “féminisme”, “mansplaining” ou même “masculinité toxique” (oui, YOU n’est pas à une contradiction près) sont utilisés régulièrement au fil des épisodes. Le show se place donc dans un contexte pseudo-réaliste, ouvertement post-#MeToo, qui interroge. 

Récemment interviewé sur son personnage, Penn Bagdley livrait une analyse intéressante, expliquant que la série montrait “à quel point nous sommes prêts à tout pardonner à un homme blanc malfaisant”. Il est vrai qu’en saison 2, plusieurs personnes croisent le chemin du vrai Joe et excusent son comportement : le vrai Will (on espérait que cette relation “syndrome de Stockholm” aurait une issue plus tordue, ici elle se termine en mode “on est des frères”), d’une certaine manière Candace (qui prend beaucoup trop son temps pour se venger, c’est juste hallucinant), puis finalement Love, qui l’accepte dans son entièreté, avec ses “démons” (entendez par là stalkeur et tueur misogyne). Même le psy enfermé à tort pour le meurtre de Beck ne veut pas se confronter à celui qui l’a mis derrière les barreaux, et se trouve être lui-même un meurtrier en liberté ! Les ficelles sont si grosses qu’on a du mal à ne pas voir dans YOU un gloubi-boulga qui dénonce adroitement la vacuité des réseaux sociaux et notre propre voyeurisme, mais qui tient entre les lignes un discours bien moins clair concernant les violences faites aux femmes. 

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La série ne sait pas où se placer et multiplie les incohérences. À quel moment vos potes ou votre propre frère peuvent-ils vous conseiller de pardonner un mec qui a changé d’identité et qui est accusé par son ex de harcèlement et de tentative de meurtre ? Et pourquoi Candace, qui a failli y rester une fois déjà, ne prend pas davantage de précautions quand elle se lance aux trousses de Joe ? Ce genre de séquence, qui ramène la série à un soap WTF à la Riverdale, ne doit pas cacher un sous-texte problématique.

Joe incarne à lui tout seul le concept de masculinité toxique : il tord (et ça, la série le montre bien à travers sa voix off) la vérité pour la plier à sa volonté et accessoirement dormir la nuit. Sa vision des femmes est archaïque. Soit il faut les protéger (comme la jeune Ellie, ou Delilah, victime d’un homme “pire que lui”), soit les objectifier. Il ne leur accorde aucune liberté d’action et au contraire les espionne en attendant qu’elles fassent un “faux pas” (selon ses critères) qui justifie ses actions criminelles.

Revenons sur les flash-back de son enfance : Joe a tenté de protéger sa maman, victime d’un compagnon violent. Comme pour Dexter en son temps, le sous-texte est évident : on ne nous dit pas quoi penser ou ressentir, mais la vision de cet enfant trimballé entre un père abusif et une mère dépendante des hommes amène à coup sûr vers une empathie pour lui. Toute la zone grise de YOU concernant les violences faites aux femmes peut se résumer dans ces scènes : le fait de choisir de montrer que sa génitrice était infidèle (et pas qu’un peu, elle abandonne son fils en plein supermarché pour un quick fuck) peut instiller dans l’esprit du public un doute horrible. Elle ne mériterait pas de se prendre une baffe, par hasard ?

En balançant les mots “féminisme” à tout-va et en faisant de Love, personnage féminin central de la saison 2, une tueuse comme Joe, la série pensait peut-être s’en tirer à bon compte, rétablir un équilibre. Mais Love a beau être une femme, elle s’en prend elle aussi aux femmes. Elle a tué une baby-sitter qui abusait de son frère avant d’égorger Delilah, déjà victime d’un agresseur. Ce dernier meurtre fait l’objet d’un épisode gênant, à la Very Bad Trip, sauf que là, il ne s’agit pas de savoir comment est arrivée la chèvre dans la salle de bain d’un hôtel à Las Vegas, mais qui a tué cette femme.

Dans une société, la nôtre, où les violences envers le genre féminin sont encore et toujours cruellement banalisées ou invisibilisées, on peut juger éthiquement que YOU est une série irresponsable et dangereuse, dont le succès repose sur le patriarcat (on se divertit en regardant en grande majorité des femmes se faire malmener) et la banalisation d’idées masculinistes. 

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En adoptant exclusivement le point de vue de Joe, le show s’interdit de déconstruire son discours, et reste quelque part du côté de celui qui gaslighte (“manipule”) à la fois les femmes et le public. La preuve : le discours est si tendancieux entre texte et sous-texte que de nombreuses femmes, jeunes ou non, tweetent sur le “charme” de Joe. Les hommes sont programmés pour vouloir contrôler les femmes. YOU le montre très bien à sa manière. Le problème, c’est que sa démonstration devient un peu trop convaincante. Et que les seuls contre-exemples dans la série finissent immanquablement six pieds sous terre : la mort de Delilah, personnage très intéressant, est un scandale, tout comme celle de Candace, personnage assez mal écrit. La seule femme qui trouve grâce aux yeux de Joe est Love, car elle a adopté son système de pensée.   

Si elle réserve des moments fun – toutes les tirades anti-hipsters de Joe qui bosse à Anavrin (“nirvana” à l’envers), son scénario est cousu de fil blanc si on regarde assez de soap et de séries. Et si on a révisé son Dexter : en saison 2, le tueur tombait sous le charme de Lila, qui se révélait comme lui une personne capable de tuer. Mais elle ne semblait pas aussi bien maîtriser aussi bien ses pulsions que lui (oui, rétrospectivement, cette storyline est légèrement sexiste), donc il finissait par la tuer. YOU a choisi un autre chemin, d’un point de vue soapesque plutôt intéressant puisque Love ne meurt pas. Au contraire, elle devient la Rita de Joe, tout en restant une Lila.

Est-ce que je serai là pour la saison 3 malgré toutes les critiques que je peux faire à cette série ? Oui, car un show sur un “monstre ordinaire” m’intéresse (d’autant qu’il va devenir un papa de banlieue en saison 3), tout comme la façon dont Greg Berlanti et Sera Gamble éprouvent cette fameuse zone grise, avec plus ou moins d’à-propos. Mais au fond, à moins d’un grand changement de perspective, je sais que YOU sera toujours enfermée, comme son héros, dans les mêmes paradoxes. Et le fait qu’elle soit si populaire reste hautement inquiétant. 

Les deux premières saisons de YOU sont disponibles en intégralité sur Netflix.