Adaptée d’un podcast éponyme diffusé en 2018 sur Wondery, Dr. Death appartient à un genre, le true crime, particulièrement prisé du monde des séries ces dernières années. En attendant la version fictionnalisée du docu-série Tiger King, cette adaptation nous plonge dans les méandres du système médical américain. L’histoire se déroule au Texas : le neurochirurgien Christopher Duntsch officie dans des cliniques et hôpitaux où, après avoir promis monts et merveilles à ses patient·e·s, les opérations censées les guérir se déroulent horriblement mal, les laissant mutilé·e·s à vie ou, dans le pire des cas, mort·e·s. À Dallas, au Baylor Plano, il est repéré par deux médecins, Robert Henderson et Randall Kirby, après plusieurs opérations mal exécutées.
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Limogé au bout d’une semaine, il va pourtant trouver d’autres hôpitaux où sévir, tandis que les deux médecins remuent ciel et terre pour que sa licence et son droit d’exercer lui soient retirés. Mais ils se heurtent à une bureaucratie sourde aux souffrances des patient·e·s et plus encline à fermer les yeux sur les agissements de l’un d’entre eux qu’à se souvenir du serment d’Hippocrate prêté par tous les médecins : “Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.”
Initialement, Christopher Duntsch devait être incarné par Jamie Dornan, dont on avait pu admirer la performance glaçante de tueur en série dans l’anglaise The Fall. Après un conflit d’emploi du temps, l’acteur s’est désisté, et c’est finalement un autre nom connu du monde des séries qui a repris le flambeau : Joshua Jackson. Chouchou du public depuis ses années Dawson, l’acteur a enchaîné les rôles marquants de personnages sympathiques, de Peter Bishop dans Fringe à Cole dans The Affair. C’est donc avec une certaine curiosité qu’on attendait sa version de Christopher Duntsch, cet horrible personnage égocentrique et malveillant, condamné à la prison à vie après avoir mutilé et tué six patient·e·s. Voilà un caractère qui semble à l’opposé de ce que dégage le comédien.
En plein contre-emploi, Joshua Jackson se révèle terriblement convaincant, usant cette fois de son capital sympathie pour manipuler ses patient·e·s, avant de mieux nous surprendre par des crises d’autoritarisme flippantes envers ses collègues et inférieurs hiérarchiques, notamment dans le bloc opératoire.
“Je ne provoquerai jamais la mort délibérément”*
Entrer dans la psyché de cet homme, persuadé d’être une sorte de génie de la médecine incompris, est aussi glaçant que fascinant. On ne peut s’empêcher de se demander : a-t-il pour but de mutiler et tuer, ou sa cruauté et sa malveillance sont-elles les conséquences d’une personnalité narcissique, dénuée d’empathie pour la souffrance d’autrui ? Des flash-back éclairent le parcours du chirurgien et aident à comprendre comment cet homme, décrit comme incompétent au bloc opératoire, a pu obtenir son doctorat en médecine et être résident à l’université du Tennessee Health Science Center. S’il est le protagoniste de la série, cette dernière est assez bien écrite pour ne pas inviter le public à être en empathie avec lui.
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Sobrement réalisée, elle bénéficie d’un soin particulier apporté au son, notamment lors des scènes d’opérations, proprement terrifiantes. Dr. Death est aussi portée par les points de vue des deux docteurs, Randall Kirby et Robert Henderson, partis en croisade pour mettre cet homme hors d’état de nuire. Ils sont incarnés par les vieux briscards Christian Slater et Alec Baldwin, qui semblent s’entendre ici comme larrons en foire. Leur relation, calquée sur un buddy movie, fonctionne pour une partie comme un comic relief, avec Slater dans le rôle du docteur frondeur et nerveux, et Baldwin dans celui du diplomate qui ramasse les morceaux.
Ces deux-là font aussi avancer l’enquête – enfin, avancer comme ils peuvent vu le nombre de murs qu’ils se prennent de l’institution. Chaque gérant d’hôpital se cache derrière un cadre procédural pour justifier son inaction et, pendant ce temps-là, Christopher Duntsch continue de sévir, persuadé que sa prochaine opération sera couronnée de succès et le consacrera comme un chirurgien ayant marqué l’histoire de la médecine par ses idées innovantes. Mais entre sa volonté (de fer) et la réalité, il y a un monde, et celles qui paient le prix de ses ambitions sont des personnes devenues muettes ou tétraplégiques après être passées sur sa table d’opération.
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En termes d’enjeux dramatiques, Dr. Death ne partait pas gagnante : il suffit de taper “Christopher Duntsch” sur Google ou d’écouter la saison 1 du podcast pour connaître la fin de l’histoire. On ne peut pas dire que la série puisse jouer d’un quelconque suspense : c’est une question de temps – trop long – avant que ce chirurgien criminel soit mis hors d’état de nuire. L’intérêt de la série repose sur la performance de Joshua Jackson – qui prouve ici que sa palette de jeu ne s’arrête pas au rôle du nice guy – et sur ce qu’elle nous dit des dérives de la privatisation du système médical américain.
Dans l’épisode 3, un flash-back nous dévoile le jeune Duntsch qui lance sa start-up DiscGenics, en se basant sur une théorie médicale qui n’a pas encore été prouvée. Après un doute initial, les investisseurs semblent excités par le pitch du fringant et passionné résident. Tout comme son mentor, le Dr Geoffrey Skadden, qui en a fait son chouchou en dépit de son manque de compétence dans le bloc opératoire. On comprend en sous-texte qu’il vaut mieux avoir l’esprit entrepreneur pour réussir dans la médecine privatisée et que, au final, être un bon docteur passe au second plan devant la réputation, fondée ou non.
En fictionnalisant l’histoire terrifiante, car vraie, de ce “méchant” moderne, Dr. Death dissèque avec méticulosité les dysfonctionnements d’un système fondé sur des docteurs tout-puissants, incritiquables (cette scène où un infirmier explique comment Duntsch lui parle comme à un chien alors qu’il prend mille pincettes pour éviter un carnage), qui se serrent les coudes coûte que coûte, et dans lequel les hôpitaux privés cherchent leur star pour faire augmenter leurs tarifs, au mépris de la santé de leurs patient·e·s. Édifiant.
La mini-série Dr. Death, composée de huit épisodes, est disponible sur StarzPlay en France, via Amazon Prime Video et MyCanal.
*Un autre passage du serment d’Hippocrate.