Dans un monde qui ressemble à s’y méprendre à l’époque victorienne, les Créatures sont en guerre contre les impitoyables soldats du Pacte. Pour échapper au massacre, celles qui survivent trouvent refuge dans la Cité de Burgue, capitale de l’état du même nom, et habitée par les humains. Mais là-bas, fées, faunes, trolls et autres centaures, sont destiné·e·s à la servitude dans le quartier du Row. Quand une série de crimes surnaturels terrorise la ville, Rycroft Philostrate (Orlando Bloom), un ancien soldat aux origines mystérieuses devenu inspecteur de police, mène l’enquête. Au même moment, une fée nommée Vignette (Cara Delevingne), un ancien amour que Philo (son surnom) croyait perdu depuis longtemps, ressurgit dans sa vie.
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Tirée d’une idée originale de Travis Beacham, qui avait d’abord imaginé en faire un film, Carnival Row a plus d’un tour dans sa manche : un casting séduisant, une mythologie — celle du folklore et des créatures féeriques — encore peu explorée en série, un budget conséquent qui se voit à l’écran et des thématiques fortes (un amour déchiré par la guerre, la relation oppresseur/oppressé entre les humains et les Créatures, une mystérieuse prophétie et une série de meurtres terrifiants). Ce dernier point coûtera pourtant cher à la série qui peine à trouver son chemin au milieu de toutes ces intrigues, ne se mêlant pas toujours de façon opportune (quand elles se croisent, ce qui n’est pas le cas pour chacune d’elles).
C’est l’un des grands reproches que l’on peut faire à Carnival Row. La confusion règne assez rapidement dans l’esprit de celle ou celui qui regarde. Les informations importantes à la compréhension de cet univers riche en mythologie ne nous sont pas livrées, ou elles le sont trop tard dans la saison, quand d’autres messages sont martelés de façon peu subtile. Comme pour se donner une résonance avec notre époque (ou n’importe quelle autre époque d’ailleurs, puisque le script a été écrit il y a vingt ans), Carnival Row met le paquet sur le sort réservé aux réfugié·e·s. Sans finesse, le commentaire sociétal en devient un peu fade.
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Agreus, un Faune qui a fait fortune, emménage dans un quartier huppé (habité par des humains donc), en face des Spurnrose, un frère et une sœur qui, suite à un mauvais investissement du premier, et à la mort de leur père, sont à deux doigts de la faillite. Ils voient d’un très mauvais œil l’arrivée de ce nouveau voisin. Imogen, qui comptait d’abord se rapprocher de cet étranger en échange de ses faveurs, va finalement apprendre à son contact que les différences ne devraient pas être des barrières entre les êtres. Et, comme si la métaphore n’était pas assez limpide, il se trouve que la jeune femme est blanche et Agreus est incarné par un homme noir. L’amour n’a pas de couleur et le racisme c’est nul.
Le plus grand échec de cette histoire, c’est que la série redouble d’efforts pour nous faire aimer Imogen, qu’on apprécie son évolution, quand Agreus reste désespérément antipathique. C’est clairement sa rédemption à elle qui intéresse les scénaristes, et non les obstacles surmontés par ce Faune pour s’élever socialement et faire s’étouffer les riches maîtres blancs dans leur crinoline devant sa réussite. Raconter, par le truchement du fantastique, le racisme et la peur de l’inconnu, est une démarche qui n’est pas nouvelle, mais elle est louable. Son exécution dans Carnival Row est en revanche trop manichéenne pour provoquer la conversation sur ces sujets.
Pendant ce temps, et à mesure que les épisodes défilent, la série plante les graines d’une mythologie toujours plus touffue, sans jamais en récolter les fruits. On nous laisse donc avec plus de questions non résolues que de réponses. On passe, par exemple, dix secondes avec les soldats loups-garous du Pacte, ceux par qui la fuite des Créatures est arrivée, et qui les a destinées à une vie de prostitution, de servitude et de misère dans le Burgue. Dans un autre épisode, on nous présente les Black Raven, une organisation criminelle de fées aux méthodes radicales et qui font du trafic de “lixir”, une potion dont les propriétés rappellent celles des phéromones, avant de voler vers d’autres intrigues dans le suivant, sans jamais plus les évoquer ensuite.
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La série ne manque pas d’idées, mais dans son empressement, elle oublie les fondamentaux : donner suffisamment d’infos sur le monde qu’elle dépeint (les personnages, eux, ont le droit de se dévoiler par petites touches), et refermer les portes avant d’en ouvrir d’autres. Ce qui ressort de cette saison 1, dont certains épisodes ont bien du mal à nous captiver et où certaines ficelles sont bien trop prévisibles, c’est cette désagréable impression qu’elle est le brouillon d’une saison 2 qui devrait être bien plus maîtrisée. C’est frustrant. Le tournage de cette dernière commence d’ailleurs le mois prochain. Son renouvellement un mois avant la diffusion de la première ne laisse planer aucun doute sur le fait que, pour Amazon et ses créateurs (Travis Beacham a été épaulé dans l’écriture par René Echevarria), l’histoire se racontera en (minimum) deux saisons. Ce qui explique, sans pour autant l’excuser, ce sentiment de rodage imparfait de ces huit épisodes.
Mais elle a aussi, fort heureusement, de belles fondations — parmi lesquelles une mythologie qui intrigue et une identité visuelle vraiment sublime — pour nous offrir une suite satisfaisante. Si les performances d’Orlando Bloom et Cara Delevingne ne sont pas toujours au diapason, le duo est suffisamment séduisant pour susciter l’intérêt. On attend tout de même une étincelle entre les deux qui n’est présente que dans l’épisode 3 (l’origin story de leur amour) et dans le final. Les prochains laissent déjà présager d’un chaos politique au Burgue et des trajectoires des personnages qui devraient, enfin, s’entrelacer. Comme on ne cherche qu’à être conquis, on l’attend au tournant et on sera au rendez-vous.
La saison 1 de Carnival Row est disponible sur Amazon Prime Vidéo.