La culture clubbing a enfin droit à sa série qui explore le quotidien des noctambules de Berlin, avec une enquête policière bien glauque en toile de fond.
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Ces dernières années, nos voisins d’outre-Rhin ont gagné du terrain sur le petit écran avec des propositions de qualité. Netflix a redonné vie au high concept en série avec le phénomène Dark, tandis que Babylon Berlin s’impose comme une œuvre en costumes spectaculaire et virtuose.
Plus rien n’arrête la vague de productions germaniques à gros budget (40 millions pour l’adaptation des romans de Volker Kutscher) et thématiques fortes, qui font le bonheur des chaînes et des plateformes de streaming dans le monde. Pour s’incruster dans la concurrence et rivaliser, Amazon Prime Video tente sa chance ce mois-ci avec Beat, une série policière sordide sur fond de techno berlinoise.
Soulignons que la culture clubbing, emblème de la capitale allemande, n’a jamais vraiment intéressé le cinéma et les séries. Les films sur le sujet se comptent sur les doigts de la main (Human Traffic, Eden et quelques scènes de Trainspotting au mieux). Leur réalisme est souvent édulcoré par rapport aux documentaires frappants du genre (on vous conseille Pump Up the Volume: The History of House Music et sa BO tarée, qui retrace l’histoire de la scène underground, si vous deviez n’en voir qu’un seul). De prime abord, Beat s’annonce donc comme un projet original et intéressant, que vous aimiez ou non taper du pied toute la nuit jusqu’au lever du soleil.
Le show nous entraîne dans le quotidien mouvementé de Robert Schlag (Jannis Niewöhner), surnommé “Beat”, jeune et célèbre promoteur techno dans un club berlinois. Organisateur de soirées démiurge, il est défoncé du matin au soir et ne voit que très peu la lumière du jour. Il faut dire que la concurrence est rude dans ce microcosme, où les clubbeurs n’ont d’yeux que pour le Berghain et le Watergate, deux clubs très prisés par la jeunesse européenne.
Mais l’univers de Robert est chamboulé le jour où il retrouve deux cadavres d’adolescentes suspendus au plafond de son club, le Sonar, et que les Services secrets européens (ESI) cherchent à le recruter en tant qu’indic afin de faire tomber les barons de la drogue du milieu.
Sexe, drogues et (effort) minimal
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Si vous ne connaissez absolument rien au monde de la nuit berlinoise, la plongée lugubre et sans concession de Beat risque bien de vous donner quelques haut-le-cœur. La vie de Robert est marquée par une insouciance de tous les instants : la drogue, le sexe, l’alcool et les BPM puissants de la minimal et les genres de musique associés.
Pour nous introduire à ce cycle de décadence infini, le réalisateur Marco Kreuzpaintner scrute ses personnages avec une caméra embarquée et utilise des couleurs très froides à l’écran. On est ainsi pris dans un tourbillon de basses puissantes et de stroboscopes aveuglants, qui nous plonge dans un état léthargique et symbolise l’ivresse d’une jeunesse dévergondée, presque rendue irréelle.
À l’image des légendes sinistres qui entourent le Berghain, club gay mythique de la capitale, Marco Kreuzpaintner filme ces corps frivoles, habités par la fureur des beats, de manière complètement libérée et réaliste : des inconnus s’unissent et se quittent dans les fameuses “backrooms” des clubs, où le plaisir charnel s’exprime sous toutes ses formes. On n’est jamais très loin du mélange atypique entre malaise et fascination qui émane des films de Gaspar Noé, même si la série d’Amazon s’est fixée des limites en termes de censure (dont l’absence de full frontal et de scènes trop sanglantes).
Cette entrée violente et fascinante dans Beat s’accompagne de plusieurs moments d’égarement. La série brasse des genres (dont le polar, bien trop présent, comme nous le verrons ensuite) et des références sérielles appuyées, ce qui en fait un ovni dans le mauvais sens du terme.
Dès le pilote, on comprend que la série est en quête d’identité, au même titre que son antihéros noctambule, adulescent de 28 ans désabusé et pris au piège de son milieu underground. On pense évidemment à Skins et sa jeunesse hantée par les questions existentielles de la vie (bien que le drame anglais paraisse puritain à côté de Beat).
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D’un autre côté, le show d’Amazon se montre foncièrement glauque dans son traitement de la ville (industrielle et pourtant si mystique) et de l’enquête policière. Le meurtre des deux jumelles évoque la sordidité des crimes de True Detective alliée à l’ambiance oppressante du nordic noir.
Beat prend certes le spectateur par surprise à travers ce point de vue polymorphe, mais se tire également une balle dans le pied à force de jouer avec la frontière de la caricature et du spectacle macabre. C’est dommage, surtout que l’acteur Jannis Niewöhner est sublime et poignant dans le rôle de Robert, sorte de mix improbable entre Ciro de Gomorra et Tony de Skins.
En réalité, l’aspect hybride de la série, entre thriller glaçant et drame intimiste, prend rapidement l’eau. L’investigation de l’ESI emplit l’écran au détriment de la tragédie shakespearienne développée autour de Robert, qui aurait pourtant pu s’imposer comme une icône de la culture clubbing (et est également un symbole pertinent, à notre époque, de la libération des identités sexuelles).
Mais encore une fois, la fiction européenne se ramasse en ressentant le besoin de ramener du polar pour créer une forme de mystère feuilletonnant. N’est pas True Detective qui veut, et Beat en devient prévisible, pompeuse et surtout longue, très longue, avec son format de 60 minutes pas franchement optimal pour son scénario en manque de rythme.
Évidemment, impossible de parler de Beat sans évoquer sa bande originale aux effluves techno. Mais là encore, la série déçoit par des choix étranges : pourquoi Dax J et Gesaffelstein, aussi talentueux soient-ils, ouvrent le bal ?! Où sont les tracks bien crades de Dettmann, Goldmann, Len Faki ou Ellen Allien pour ne citer que les plus célèbres ? Heureusement, les rythmes enveloppants et tambourinants de la minimal sont davantage respectés lors des scènes de clubbing, vues mille fois au cinéma et sur le petit écran, mais toujours envoûtantes grâce à une lumière travaillée, quasi vampirique.
Malgré une esthétique puissante, un univers sonore et visuel authentique et un interprète exemplaire, Beat ne parvient pas à trouver une véritable identité. Pire, on en ressort avec la sensation désagréable que la culture clubbing n’est qu’une froide communauté qui préfère délaisser la réalité pour l’aspect récréatif de la danse et de la MDMA. Le message de la série n’est jamais transparent et la place prise par le polar agace. Coupez le son, envolez-vous pour la capitale allemande et allez au Tresor ou au Sisyphos pour une meilleure immersion.
En France, la première saison de Beat est disponible en intégralité sur Amazon Prime Video.