De Desperate Housewives à Girls, la question de l’avortement dans les séries

De Desperate Housewives à Girls, la question de l’avortement dans les séries

En l’espace de quelques semaines, une poignée de shows ont osé aborder la thématique de l’IVG. Une mise au point est de rigueur.

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Homosexualité, racisme, transexualité… La petite lucarne ne cesse d’étendre ses horizons et fait de moins en moins la timide vis-à-vis des thématiques sociétales majeures. Là où des productions anglophones telles que Shameless et How to Get Away with Murder dressent un tableau débridé de la sexualité, d’autres prennent encore davantage de risques. Bien que l’ouverture d’esprit devienne progressivement une vertu valorisée, il est de ces sujets tabous auxquels il ne vaut mieux pas s’approcher de trop près. Ah non, il ne faudrait surtout pas se mettre le Parents Television Council à dos.

L’avortement. Ce gros mot qui fait pâlir les conservateurs et a récemment fait vriller le gouvernement polonais. À cause de sombres arguments que nos camarades les “Survivants” défendent bec et ongles, l’IVG (interruption volontaire de grossesse) demeure une question controversée. Cela n’a pas empêché une foultitude de séries de se frotter à ce sujet épineux, à commencer par la méconnue Maude. On rembobine jusqu’en 1972.

En provenance des US, Maude, sitcom rétro des seventies, se fait remarquer lors de sa diffusion originale. À une période de libération graduelle des mœurs, les mésaventures de Maude Findlay étaient synonymes de changement dans la façon de représenter les femmes à la télévision. Dans le double épisode “Maude’s Dilemma”, l’héroïne (une quadragénaire grande gueule et libérale) apprend qu’elle est enceinte et ne sait comment appréhender la nouvelle. À contre-courant de ce qui serait a priori attendu, elle en parle avec son mari et le couple convient qu’ils n’ont pas le besoin, ni l’envie de devenir parents à leur âge avancé. Une discussion à cœur ouvert, entre deux parties de jeu de cartes.

Depuis, l’avortement a été de nombreuses fois abordé dans les séries. De Sex and the City à Felicity, une flopée de shows s’y sont essayés, avec plus ou moins de justesse. Néanmoins, un bémol subsiste. La question de l’IVG a souvent été mise sur le tapis afin d’engendrer de la tension, il faut le dire, gratuite. Très souvent, ce type de storyline se voit abordé de façon ultramélodramatique et est source de conflit entre les personnages. Dans Desperate Housewives, la ménagère modèle Lynette Scavo apprend à l’issue de la cinquième saison qu’elle est enceinte de jumeaux. Sous la pression de son mari et les conseils de son amie Susan, elle réalise qu’avoir des gosses, c’est de la bombe et qu’être mère, il n’y a rien de mieux au monde. L’alternative de l’avortement n’est qu’effleurée, et trop vite écartée.

Malgré tout, la tendance change. La stigmatisation récurrente de cette thématique semble s’essouffler, au même rythme que des protagonistes de fictions phares font le choix assumé d’avoir une IVG. Dans “Baby, It’s Cold Outside”, Olivia Pope (Scandal) se rend à la clinique pour subir la procédure, seule. Plus tard, lors de la quatrième saison de Girls, Mimi-Rose Howard déclare à son boyfriend Adam qu’elle a avorté. Deux femmes fortes et déterminées, aux vies diamétralement opposées, qui ont effectué un choix similaire. Pour l’une comme pour l’autre, ce passage à l’acte est mûrement réfléchi et justifié, sans pour autant que cela en devienne un ressort tire-larmes surexploité.

Dernièrement, des séries comme Jane the Virgin et Crazy Ex-Girlfriend ont pris part au débat. Xiomara et Paula, deux quadras au quotidien déjà bien rempli, tombent malencontreusement enceintes et, après un brin de réflexion, annoncent le verdict. Des scènes importantes et lourdes de sens, d’autant plus que les deux shows sont diffusés sur une chaîne ayant un public relativement jeune. Et les mecs dans tout ça ? Loin de l’image du mâle alpha avide d’élargir son héritage, les concubins des deux personnages sont inclus dans l’intrigue. Mieux encore, ils prônent eux aussi la démocratisation de l’avortement et comprennent que c’est, essentiellement, une alternative légitime.

Encore plus rafraîchissant, ces femmes de poigne parviennent vite passer à autre chose. Une vision inédite que Tara Rose, auteure du Tumblr Remember the Abortion Episode?, remarque également : “Maintenant, non seulement nous voyons beaucoup de personnages ayant recours à l’avortement, mais on voit aussi beaucoup de ces personnages faire ce choix sans regrets ou introspection.” L’angoisse et le doute laissent désormais place au détachement et à la commodité. À l’image des femmes d’aujourd’hui, leurs pendants télévisés prennent des décisions conscientes et calculées.

Ces séries contemporaines lèvent le voile sur la question de l’avortement en optant pour une vision honnête et désinhibée. Tandis que la future présidence d’un certain Donald Trump risque de faire capoter l’accès à l’IVG aux États-Unis, ce genre d’intrigue paraît plus nécessaire que jamais. Tara Rose encourage même les multiples chaînes à franchir le pas : “Des séries de grands networks comme Friday Night Lights, Scandal et Jane the Virgin ont prouvé qu’on pouvait montrer des personnages ayant un avortement sans repousser trop de téléspectateurs et sans risquer de perdre du revenu publicitaire.”

Au bout du compte, comme l’homosexualité par le passé, la question de l’avortement est en train d’évoluer. Se distançant de la notion de tabou à laquelle le public est trop habitué, des œuvres comme You’re the Worst et Crazy Ex-Girlfriend changent la donne. Avec le message tacite de “my body, my choice, elles s’imposent comme de doux plaidoyers pour les droits des femmes. Ces personnages fictifs tapent un sprint et franchissent, non sans efforts, la ligne d’arrivée, laissant derrière eux certaines mentalités conservatrices. Une nouvelle preuve que, parfois, la fiction prend le pas sur le réel.