Témoignage : j’ai photographié les victimes de la violence à Chicago

Témoignage : j’ai photographié les victimes de la violence à Chicago

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Johnson “John John” Liggins Jr.,17-year-old, at the Gatlings Funeral Home in Chicago, in this photo taken November 3, 2017. Higgins died from gunshots to his head and chest in the 8000 block of South Coles Avenue on October 23, 2017.

Le photojournaliste canadien Jim Young nous a livré un témoignage touchant sur sa série d’instantanés Victims of Violence : des personnes dont les vies ont basculé dans les rues de Chicago.

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En 2016, 762 personnes ont été assassinées à Chicago, plus que n’importe où ailleurs aux États-Unis, plus que tous les meurtres de New York et Los Angeles réunis. Cette année, il y a eu plus de 600 homicides. Je suis né et j’ai grandi au Canada, où il y a moins de meurtres dans tout le pays qu’en un an à Chicago. Ces gens ont un nom, ils ne sont pas qu’un nombre… Il y a des victimes de violence, et ils ont tous été tués à “Chicagoland”.

J’ai entrepris de documenter leurs histoires à Chicago, il y a plus de six mois. Tout a commencé quand j’ai eu le sentiment que les histoires de ces victimes étaient trop souvent évoquées en termes statistiques plutôt qu’en termes humains. Alors j’ai commencé à me rendre sur place, là où elles avaient été tuées. Je voulais en savoir plus sur ce qui leur était arrivé, pour me connecter à eux d’une certaine façon.

La plupart du temps, c’était comme s’il ne s’était rien passé, même si une vie avait été perdue sur place. Je voulais prendre une photo avec un point de vue empathique, pour créer un souvenir d’une histoire tragique pour que ces gens soient vus comme des victimes et pas comme des statistiques.

Au début du projet, je photographiais les lieux avec un appareil photo numérique, mais j’ai eu le sentiment qu’il manquait quelque chose. En me rendant au mémorial dédié à Semaj Crosby (ci-dessus) en avril, j’avais mon appareil photo instantané Fuji Instax Wide 300 dans mon sac et j’ai décidé de l’utiliser.

Une des personnes présentes est venue à moi pour voir ce que je faisais, et je lui ai donné une photo que je venais de prendre. Elle l’a tenue dans ses mains et je l’ai observée alors que l’image apparaissait progressivement sur le papier. Être capable de pouvoir donner ces photos à des gens était incroyablement gratifiant pour moi, même si c’était dans des circonstances aussi tragiques. À partir de ce moment-là, j’ai su que je voulais faire des photos argentiques.

C’est devenu une part importante de l’histoire pour moi, le fait d’être capable de partager des photos avec des amis et les familles des victimes pendant plusieurs des veillées. Regarder leur réaction au moment où l’image se développe sous leurs yeux, comme si un nouveau souvenir se créait, c’était très particulier. Leurs noms étaient écrits à la main directement sur le rebord de la photo parce que je voulais que les gens puissent immédiatement voir que derrière chaque image, il y avait une vraie personne, avec un nom.

Prendre un instantané donnait l’impression de capturer un dernier souvenir de leur vie. Ces photos étaient toutes uniques, comme les victimes. Un moment, une personne, une image.

Je pense que le plus dur au final était de repenser à toutes ces histoires. Je ne voyais plus les photos mais les personnes derrière ces images. Tellement d’histoires tragiques. Jazebel, John, Miriam et Corbin. Je me tenais à l’endroit où ils avaient rendu leur dernier souffle. Leurs images resteront et j’espère que le souvenir que nous avons d’eux aussi.

Toutes ces photos ont été prises en 2017. Vous pouvez suivre le travail de Jim Young sur son site, et ses comptes Instagram et Twitter.

Ce témoignage a été initialement publié sur PetaPixel et traduit par Sophie Janinet.