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Syrian Presidency, le compte invraisemblable de propagande à la gloire du régime Assad

Syrian Presidency, le compte invraisemblable de propagande à la gloire du régime Assad

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Par Lise Lanot

Publié le

En juillet 2012, le compte Syrian Presidency fait son apparition sur Instagram. Alors même que des horreurs sont perpétrées par le régime syrien, celui-ci se met en scène sur les réseaux.

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“Welcome to the official Instagram account for the Presidency of the Syrian Arab Republic” : “Bienvenue sur le compte officiel de la présidence de la République arabe syrienne”, c’est ainsi que se présente le compte Instagram @SyrianPresidency, outil absolument surréaliste de propagande du couple Assad.

Cela fera quatre ans en juillet que Bachar el-Assad et son épouse s’exposent sur ce compte qui fait froid dans le dos. Depuis 2012, soit un an après le début de la révolution syrienne et du conflit armé qui a réduit en cendres le pays, tué des centaines de milliers de vies et forcé des millions d’autres à fuir, sont offertes aux internautes des images stupéfiantes de banalité de celui qui a tant de sang sur les mains et de sa femme, Asma el-Assad.

S’il est acquis que les réseaux sociaux servent à diffuser une image déformée de la réalité, embellie, un peu plus fascinante et flatteuse, voir la façon qu’a le régime d’utiliser Instagram donne plutôt la nausée. On y voit Bachar et Asma el-Assad en bons samaritains, lui en pleine réunion avec de hauts dignitaires, remplissant ses fonctions “présidentielles”, elle, en bonne première dame, contribuant au travail d’œuvres caritatives. Difficile de ne pas ressentir de malaise, voire de la haine, devant les 728 publications du compte.

Asma el-Assad, madone d’Instagram

L’épouse du dictateur syrien est particulièrement mise en avant dans ces images. Embrassant petites filles et vieilles femmes, servant de la nourriture à l’hôpital ou lors d’événements caritatifs (alors que la famine est une arme de guerre en Syrie), Asma el-Assad, avec ses traits fins et sa chevelure claire, toujours tirée à quatre épingles, sobrement élégante et d’apparence simple, apparaît comme une véritable sainte qui se préoccupe du peuple syrien.

Pour Almoutassim al Kilani, un avocat syrien spécialisé dans les droits de l’homme arrivé en France il y a un an et demi, cette utilisation de la figure féminine dans le cadre de la propagande n’est pas nouvelle :

“Le régime syrien veut cacher le vrai visage du criminel qu’est Bachar el-Assad à travers un spectacle de propagande, au centre duquel est placée sa femme. Hafez el-Assad [père de Bachar el-Assad et ancien président du pays, ndlr] utilisait aussi la propagande pour rester au pouvoir et conserver son autorité. Il mettait en scène Mme Bouthaina Shaaban [interprète sous le régime de Hafez el-Assad puis ministre des Expatriés, ndlr] et Mme Najah Attar [ministre de la Culture sous le régime du père] pour cacher son visage de criminel.”

“Les dictateurs ne leurrent pas seulement le peuple. Avant toute chose, ils se leurrent eux-mêmes”

Vu d’ici, il paraît complètement invraisemblable de tomber sur ce genre de photos. Si ce compte semble être la version 2.0 des outils de propagande, la première question qui vient à l’esprit est bien sûr la suivante : comment est-il possible de croire qu’avec toutes les monstruosités que le régime Assad perpétue depuis des années, de simples photos dégoulinantes de bonheur puissent donner le change ?

Plusieurs lectures sont possibles. Pour Almoutassim al Kilani, tombé par hasard sur le compte Instagram du régime il y a plusieurs mois, ces images dont destinées au monde occidental :

“Je pense que la tendance de Bachar el-Assad et de sa femme à se tourner vers les réseaux sociaux est une propagande à destination de l’Ouest, afin d’apparaître sympathiques et de montrer une autre facette de cette trop longue dictature. L’objectif principal : cacher le visage de la dictature, des assassinats et des crimes, en montrant le visage d’un menteur.”

Et en effet, des minorités, à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de la Syrie, soutiennent Bachar el-Assad (il s’agit en général de ceux qu’il protège ou de ceux qui estiment qu’il représente un “moindre mal” devant le danger que représente Daech). En ce sens, les commentaires sont parfois divisés entre les abonnés (réels et/ou créés de toutes pièces, cela reste à déterminer) qui louent les actions du président et ceux qui s’épouvantent, incrédules, devant ces images.

En commentaires, on retrouve autant des messages de soutien que de haine :

“Monstre diabolique !!! Tuer des enfants innocents. Même un animal a plus de cœur que toi. Ce que l’argent et le pouvoir peuvent faire !!!!”

“Ton cou de 6 mètres de long serait intéressant à pendre quand tu seras arrêté et exécuté pour tous tes crimes de guerre.”

“La Syrie ne tombera pas !!! 🇸🇾 🇸🇾 🇸🇾 👏👏 Longue vie au président Bachar el-Assad, bon débarras de tous ces terroristes de merde.”

Le Guardian avance aussi l’hypothèse que ces photos ne sont pas seulement à destination des populations, mais servent aussi à créer l’illusion pour le couple lui-même. “Les dictateurs ne leurrent pas seulement le peuple. Avant toute chose, ils se leurrent eux-mêmes”, affirme le journal britannique, pour qui ces publications révèlent la folie de Bachar el-Assad. “Le fossé entre les images publiées et la puanteur de la guerre est tellement manifeste qu’elle révèle la perte de contact avec la réalité d’un vrai dictateur.”

À grand renfort de hashtags (#SyrianPresidency #Syria#President #Assad #PhotoOfTheDay #NewYear2017, etc.), le compte tente de diffuser au maximum ses images. Avec plus de 78 000 abonnés (et zéro abonnement), @SyrianPresidency n’est cependant pas certifié, on peut donc avoir un doute sur l’identité de ceux qui tirent les ficelles et leur légitimité. Quoi qu’il en soit, ce compte ne rassure pas sur la santé mentale d’Assad et inquiète plus qu’autre chose. Il est cependant intéressant de voir à quel point les réseaux sociaux sont devenus des outils politiques à part entière, puisqu’ils se sont même mués en instruments dictatoriaux. Ou quand le soft power accompagne les horreurs de la guerre.

Un abonné commente la photo ci-dessus en imaginant un dialogue. Traduction : “– Wow mec, qu’est-ce qui est arrivé à ton visage ? – Ah, c’est vrai, j’ai sans doute accidentellement largué tout un tas de bombes sur la population.”

Traduction : “Le président Assad à Darayya, saluant une des unités militaires lors de la journée de l’armée arabe syrienne, le 1er août 2013.”

En commentaires : “Un dirigeant génial. On t’aime Bachar el-Assad, que Dieu te bénisse, la Syrie est avec toi pour toujours.”

“@syrianpresidency ça ne t’a jamais traversé l’esprit de te dire ‘hey c’est c’est moi qui ai provoqué cela, c’est à cause de moi que les villes sont désertées ?’ hmm…”

Traduction: “Le sang des combattants ne coule pas pour rien… Il ne coule pas pour alimenter la haine mais pour alimenter un sentiment de justice.”

“Bla-bla-bla”, résume Almoutassim al Kilani.