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Scandale au Louvre : ce que l’on sait sur le sombre trafic d’antiquités

Scandale au Louvre : ce que l’on sait sur le sombre trafic d’antiquités

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© Mika Baumeister/Unsplash

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Par Konbini arts

Publié le

Un ancien président du Louvre est soupçonné d’être impliqué dans un vaste trafic en bande organisée.

Jean-Luc Martinez, ancien président-directeur du musée du Louvre, de 2013 à 2021, a été mis en examen mercredi à Paris pour “complicité d’escroquerie en bande organisée et blanchiment par facilitation mensongère de l’origine de biens provenant d’un crime ou d’un délit”.

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Cette mise en examen a été faite dans le cadre d’une enquête sur un trafic d’antiquités du Proche et Moyen-Orient, rapporte l’AFP. M. Martinez avait été placé en garde à vue en début de semaine, dans les locaux de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, aux côtés de deux éminents égyptologues français. Les deux spécialistes ont été libérés sans poursuites à ce stade, selon une source proche du dossier.

D’après Le Canard enchaîné, qui a annoncé les gardes à vue, l’enquête cherche à savoir si M. Martinez aurait “fermé les yeux” sur de faux certificats d’origine de cinq pièces d’antiquité égyptiennes, dont une stèle en granit rose de Toutânkhamon, acquises par le Louvre Abu Dhabi “pour plusieurs dizaines de millions d’euros”. Il conteste les faits “avec la plus grande fermeté.” Il réserve pour l’heure ses déclarations à la justice et “ne doute pas que sa bonne foi sera établie”, selon sa défense.

Le point sur l’enquête préliminaire

Une enquête préliminaire portant sur des soupçons de trafic d’antiquités provenant de pays instables du Proche et Moyen-Orient avait été ouverte en juillet 2018 par la Juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée du parquet de Paris. Ce trafic concernerait des centaines de pièces et porterait sur plusieurs dizaines de millions d’euros.

Dans cette affaire, au moins trois autres personnes sont poursuivies pour “escroqueries en bande organisée, association de malfaiteurs et blanchiment en bande organisée”. Un expert en archéologie méditerranéenne et son mari avaient été mis en examen en juin 2020 et placés sous contrôle judiciaire. Ils sont soupçonnés d’avoir “blanchi” des objets archéologiques pillés dans plusieurs pays en proie à l’instabilité depuis le début des années 2010 et l’émergence des Printemps arabes en Égypte, en Libye, au Yémen ou en Syrie.

Un galeriste germano-libanais a également été placé en détention provisoire en mars 2021. L’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels cherche à déterminer les conditions d’acquisition par le Louvre Abu Dhabi, via ce galeriste, des cinq antiquités sorties illégalement d’Égypte, d’après Le Canard Enchaîné.

Le Louvre Abu Dhabi et le Louvre se constituent partie civile

Le Louvre Abu Dhabi et le musée de Louvre ont annoncé ce lundi se constituer partie civile. “Compte tenu du scandale dont on parle aujourd’hui et dont le Louvre Abu Dhabi est la première victime, il est inconcevable que nous ne nous constituions pas partie civile”, a indiqué à l’AFP Me Jean-Jacques Neuer, au nom de l’institution culturelle des Émirats arabes unis.

“Le Louvre Abu Dhabi est victime d’un trafic d’antiquités égyptiennes alors que c’est une institution culturelle phare connue du monde entier. Comme elle a une éthique impeccable sur ces sujets, elle souhaite connaître exactement ce qu’il s’est passé et faire toute la lumière sur ce dossier”, a-t-il ajouté. À Paris, le musée du Louvre a souligné “avec force l’engagement total, continu et reconnu” de ses équipes scientifiques “pour lutter conte le trafic illicite de biens culturels”.

Lié au musée du Louvre par un accord de coopération et né d’un accord intergouvernemental signé en 2007 entre les Émirats arabes unis et la France, le Louvre Abu Dhabi dépend du ministère de la Culture et du Tourisme de l’Émirat d’Abu Dhabi. Il avait été inauguré en grande pompe en novembre 2017 par le président français Emmanuel Macron.

Qui est Jean-Luc Martinez ?

Ancien patron du Louvre, Jean-Luc Martinez est chargé depuis 2021 d’expertises en matière de musées, de restitutions d’œuvres d’art et de lutte contre les trafics. M. Martinez, 58 ans, a dirigé le plus grand musée du monde (dix millions de visiteur·se·s par an avant le Covid-19) de 2013 à l’été 2021, après avoir été à la tête du département des antiquités grecques et conservateur en chef du patrimoine pendant une quinzaine d’années.

Historien de l’art et archéologue, Jean-Luc Martinez est né le 22 mars 1964 dans le XIVe arrondissement de Paris. Il est marié et père de deux enfants. D’origine modeste, il est devenu une figure du milieu de l’art international à la suite d’un parcours qui lui a permis de prendre les commandes du musée du Louvre. “Ma vie, mon rêve d’enfant, ma passion d’adolescent”, disait-il à l’AFP au moment de sa prise de fonction en 2013.

Après un double cursus en histoire à la Sorbonne et en histoire de l’art et d’archéologie à l’École du Louvre, il est devenu agrégé d’histoire en 1989. Professeur d’histoire et de géographie dans différentes villes de banlieue pendant deux ans, il a intégré par concours l’École française d’Athènes en 1993.

Après des fouilles à Délos et à Delphes, où il a travaillé à la rénovation du musée archéologique, il est recruté en 1997 par Alain Pasquier, qui dirige les antiquités grecques, étrusques et romaines au Louvre. Conservateur en chef de la sculpture grecque pendant dix ans, il lui succède en 2007 à la tête du département. C’est sous sa présidence qu’a été inauguré en 2017 le Louvre Abou Dhabi, pharaonique projet qui a vu le jour avec plusieurs années de retard et deuxième déclinaison du musée après celle de Lens, ouverte fin 2012.

Nommé ambassadeur pour la coopération internationale en matière de patrimoine par le gouvernement en juillet 2021, il est notamment chargé de répondre à des demandes d’expertises de pays étrangers en matière de lutte contre le trafic d’œuvres d’art.

“La seule réponse contre le trafic est de favoriser le commerce légal” pour “améliorer la lutte à l’échelle européenne”, et notamment aux frontières extérieures de l’UE, disait-il dans un entretien à l’AFP au moment de sa nomination. “Il faut travailler avec les grandes sociétés de ventes, les grands marchands” et faire en sorte “que les ports francs ne cachent pas du trafic illégal”, estimait-il alors.

Le début de sa nouvelle mission a été marqué par l’exposition universelle de Dubaï et le cinquième anniversaire de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit, instance notamment créée par la France et les Émirats. Il en assure aussi la présidence scientifique.

Paris met en place une mission d’évaluation

Jean-Luc Martinez a été entre-temps mis “en retrait” d’une partie de ses fonctions d’ambassadeur, “dans l’attente d’une clarification de sa situation judiciaire”. M. Martinez s’est vu retirer “à titre conservatoire” le “volet relatif à la lutte contre le trafic illicite des biens culturels”.

De son côté, le ministère de la Culture a annoncé que Paris mettait en place une mission d’évaluation des procédures d’acquisition des biens culturels. “Trois personnalités expérimentées du monde des musées et du marché de l’art” ont été sollicitées par la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, pour “faire le point sur le cadre juridique, les procédures d’acquisition et leur mise en œuvre, à l’époque des faits et aujourd’hui”, précise un communiqué.

Cette mission sera réalisée par Arnaud Oseredczuk, conseiller-maître à la Cour des comptes et membre du comité de déontologie du ministère de la Culture, Marie-Christine Labourdette, présidente du château de Fontainebleau et ancienne directrice des musées de France, et Christian Giacomotto, notamment président du comité d’audit de l’Agence France Museum et membre du conseil artistique des musées nationaux. Ces dernier·ère·s, appuyé·e·s par l’Inspection générale des affaires culturelles, devront rendre leurs conclusions et formuler leurs recommandations à l’été 2022.

Article mis à jour le 07/06/2022.

Konbini arts avec AFP.