Récompensée du prix Sony World Photography en 2013 pour son travail sur l’eau, la photographe américaine Meaghan Ogilvie concilie photographie et enjeux écologiques à travers ses trois séries aquatiques : Underwater, Into the Depths et Requiem for Water.
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Consommation humaine excessive, utilisation intensive pour l’agriculture et l’industrie, raréfaction due au changement climatique et à la pollution… En 2050, près d’1,8 millions de personnes pourraient vivre dans des zones où les réserves d’eau seraient complètement épuisées ou considérablement diminuées. Ce constat, alarmant, est issu du rapport présenté en décembre dernier par les chercheurs de l’Union américaine de géophysique, qui appellent à un changement radical de nos habitudes de consommation pour éviter une grave pénurie.
Une prise de conscience précoce pour la photographe Meaghan Ogilvie qui, depuis plusieurs années, place sa sensibilité écologique au cœur de sa démarche artistique. À l’image des grands explorateurs dont elle s’inspire, qui ont su attirer l’attention sur les problématiques environnementales par leurs images, Meaghan interroge notre rapport à l’eau face aux grands bouleversements climatiques de notre planète. Pour Cheese, elle est revenue sur son éternelle fascination pour la nature et sa volonté de faire évoluer les mentalités par l’art.
Cheese : Quand et comment as-tu découvert la photographie ?
Meaghan Ogilvie : J’ai découvert la photographie grâce à la revue National Geographic quand j’avais 7 ou 8 ans. J’ai tout de suite su que c’était le métier que je voulais faire. Mes parents avaient peu de revenus et nous voyagions peu. Le magazine a été pour moi une fenêtre sur le monde, ça m’a transformée.
Je me suis mise à la photographie avec le Polaroid de mon grand-père avec lequel il avait l’habitude d’immortaliser nos réunions de famille. Sa mort a été un déclic, j’ai compris combien il était important de conserver des souvenirs. À l’âge de 15 ans, ma mère m’a acheté un Minolta. Je suis immédiatement devenue accro ! La photographie m’a beaucoup aidée, j’étais très timide. Cela m’a permis de faire de nouvelles rencontres, de vivre de nouvelles expériences. C’est toujours le cas aujourd’hui, je suis constamment en train d’apprendre, d’explorer, d’évoluer.
Comment est née ta première série Underwater ?
J’ai vécu une période très difficile il y a quelques années. J’avais vraiment l’impression de stagner professionnellement et au même moment, on a diagnostiqué à mon père un dysfonctionnement neurologique très agressif qui l’a laissé quasiment paralysé. L’idée de photographier sous l’eau m’est venue en pensant aux propriétés guérisseuses que l’on prête à l’eau, au mystère qui l’entoure. J’ai pu avec cette série mêler la passion de mon père pour l’eau au défi de photographier dans un tel environnement.
Je m’intéressais également à la photographie de mode à l’époque, j’ai donc constitué une équipe de stylistes et de mannequins. Aucun de nous n’avait fait de shootings sous l’eau auparavant, mais nous avons réussi ensemble à obtenir des images incroyables. Into The Depths est une continuité de cette première série aquatique, j’y explore un peu plus la question du mouvement et de l’identité.
Ta première série expérimente l’interaction entre l’eau, les corps et les tissus avec un rendu extrêmement lumineux et coloré. Requiem of Water est plus sombre, énigmatique. Pourquoi une telle évolution ?
C’est une évolution naturelle, due principalement à l’environnement dans lequel j’ai photographié Requiem of Water. J’ai quitté les bassins de piscine pour les lacs et les mers, ce qui a modifié l’aspect esthétique de mes photos et les a fait évoluer vers des tons plus neutres et plus naturels.
Sur un plan plus symbolique, l’eau est synonyme de mystère, elle peut être aussi apaisante que terrifiante. Elle est associée aux rêves et elle est très présente dans nos mythes et légendes. J’ai créé des images plus sombres et intrigantes pour rester fidèle à cette dimension énigmatique.
De quoi parle ta dernière série Requiem of Water ?
En 2015, j’ai été mandatée par le Festival Pan Am d’art et culture de Toronto et les Jeux Parapan Am pour créer une œuvre photo et vidéo qui concilierait le thème de l’eau et de la culture. J’ai passé deux ans et demi à faire des recherches, à créer et organiser une exposition grand public.
Mes recherches m’ont amenée à collaborer avec la communauté anishinaabe d’Ontario pour comprendre comment leur culture perçoit l’eau. J’ai participé à des événements dans leur communauté, travaillé avec d’autres artistes et j’ai passé du temps immergée dans les sources d’eau locales et à l’étranger. J’ai découvert à quel point nous sommes connectés mentalement, physiquement et spirituellement à l’eau.
Requiem of Water est une série d’images qui reflète cette connexion naturelle à l’eau, qui est l’origine de toute source de vie. Mon objectif est de faire en sorte que l’on puisse se sentir lié à ces images, pour que l’on puisse comprendre que notre rapport à l’eau va beaucoup plus loin que le simple fait de faire sa vaisselle ou de prendre sa douche.
L’eau inspire, nourrit et renforce notre lien à la vie elle-même. Avec la raréfaction de cette ressource due au changement climatique, à la pollution et à l’augmentation de la population, il est évident que notre rapport à l’eau doit changer. Le but de Requiem of Water est d’inspirer ce changement.
Où as-tu photographié tes trois séries aquatiques ? Comment as-tu sélectionné les lieux ?
Les séries Underwater et Into the Depths ont été faites à Toronto, à l’intérieur d’une piscine. C’est un lieu facilement accessible, privé et où je pouvais maîtriser les conditions du shooting. La série a été réalisée en quelques semaines, avec un temps de préparation de deux mois. C’était plus au départ une expérimentation qui s’est ensuite transformée en un véritable projet sur plusieurs années.
Requiem for Water, enfin, a été réalisée en Ontario pour sensibiliser sur l’importance de la préservation des sources d’eau douce, mais aussi dans les cénotes de Tulum au Mexique. La série a été faite après six mois d’apprentissage passés auprès de la communauté des Anishinaabes. J’ai ensuite continué mes recherches pendant deux ans, en collaborant également avec des artistes des Premières Nations et des enseignants au cours de mes repérages de sites.
Penses-tu qu’un photographe a la possibilité, sinon la responsabilité, d’alerter sur les problématiques environnementales, de mettre en avant notre rapport à la nature pour susciter le débat ?
Oui, je pense avoir cette responsabilité, surtout depuis que je suis bien plus consciente de ces problématiques. On peut attirer l’attention sur ce sujet de différentes manières, mais je pense que l’art est un formidable moyen de communication et qu’il permet de rendre l’information accessible au plus grand nombre. Aborder les problématiques liées à l’eau d’un point de vue artistique donne un ton beaucoup moins moralisateur et ouvre davantage à la réflexion. La beauté des images est un puissant vecteur de sensibilisation.
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Je vais intégrer une résidence artistique en août à Tahsis en Colombie-Britannique pour créer une nouvelle série sur les rapports qu’entretiennent les communautés à leur territoire et à leurs sources d’eau. Je suis également en phase d’expérimentation pour créer des photos-sculptures en trois dimensions, inspirées d’éléments naturels.
Vous pouvez suivre le travail de Meaghan Ogilvie sur Instagram.