À 25 ans, ce jeune professeur basé à Baltimore documente la vie aux États-Unis, entre la pauvreté de certaines zones urbaines et les mouvements sociaux.
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C’est en prenant un cours d’introduction à la photographie au lycée, alors qu’il était âgé d’une quinzaine d’années, que Josh Sinn a commencé la photo. Et le cours a dû lui plaire parce qu’aujourd’hui, il l’enseigne, à Baltimore, dans l’État du Maryland. Sinn documente son pays en capturant la décadence de certaines zones urbaines, la pauvreté qui y règne, et la puissance des rassemblements de citoyens.
Cheese | Peux-tu nous parler de ton rapport à la photographie ?
Josh Sinn | Au fil des années, j’ai utilisé la photographie comme un moyen de vaincre ma timidité et de découvrir mes intérêts au sein de la société. La photographie est devenue un outil pour interpréter les gens et les endroits que j’ai connus.
Selon moi, l’aspect principal de la photographie, c’est le sentiment. Si je prends une photo qui ne fait rien ressentir à quelqu’un, qui que ce soit, alors je n’ai pas fait mon travail. Si une personne ressent quelque chose en regardant une image, elle s’en souviendra. Il est même possible que cette personne cherchera de nouveau à voir cette photo si ce sentiment revient.
Je pense que la recherche de l’émotion est assez apparente dans mes photos de nuit, particulièrement dans ma série Fogged Up, mais j’essaie aussi d’ajouter ces sentiments dans mon travail documentaire. Quand je prends des photos, je pense souvent à des films qui me rappellent le moment que je suis en train de capturer, parfois j’entends même une chanson dans ma tête en appuyant sur le déclencheur.
Tu sembles justement être particulièrement intéressé par la documentation de l’histoire et des mouvements sociaux, peux-tu nous en dire plus sur ces événements et ta façon de les appréhender ?
La photographie est un médium qui permet de raconter une histoire et de faire vivre une expérience. Avec une photo, on peut tout apporter à quelqu’un et l’aider à expérimenter, apprendre et comprendre les vies et les mondes des autres. C’est pourquoi je me sens si connecté à la photographie documentaire.
Immortaliser le mouvement Black Lives Matter me paraissait évident et naturel dans la direction que prenait mon travail. C’est un mouvement que je soutiens totalement et je voulais documenter sa puissance, notamment dans des villes comme Baltimore où les problèmes de violence et abus de la part de la police ainsi que le racisme systématique sont si importants.
Après les meurtres de Michael Brown et Eric Garner, perpétrés par la police, la réaction nationale a été énorme. Il y a eu de grandes manifestations à Baltimore et j’ai senti que c’était quelque chose que je me devais de photographier, pour que d’autres puissent le voir. Les gens sont les plus importants dans cette histoire, et c’est sur eux que j’essaie de focaliser mon attention. Je photographie de très près parce que si je m’éloigne, il devient plus difficile pour les gens de voir l’humain derrière le mouvement. C’est plus difficile pour les gens de se sentir concernés depuis un point de vue lointain.
Je n’ai jamais d’idée précise avant de partir effectuer un travail documentaire, et c’est pour cela que j’aime tellement ça. Je préfère ne pas avoir le contrôle sur la situation et laisser les gens vivre leur vie avec moi qui évolue autour d’eux. Documenter ces moments a constitué une des meilleures expériences de ma vie. Il est parfois difficile de comprendre certains enjeux sociaux quand on n’est pas directement affecté par ceux-ci, mais pouvoir parler avec les gens, écouter leurs expériences et se tenir à leurs côtés par solidarité change les perspectives.
Envisages-tu de photographier d’autres manifestations et mouvement sociaux ?
Le samedi suivant l’inauguration de Donald Trump, j’étais à Washington pour photographier la Women’s March, qui a vu un nombre record de voix s’élever contre le nouveau président élu. J’ai déjà un projet intitulé Trump’s America, dans lequel j’ai prévu de documenter les mouvements sociaux contre ces positions et ces décrets qui sont déjà en train de causer du remous à travers tout le pays.
Photographier ces mouvements a donné à mon travail une nouvelle finalité, donc j’ai l’intention d’utiliser la photographie comme un outil contestataire à partir de maintenant.
Dans tes photos, il semble que les protagonistes ne te remarquent pas, comment parviens-tu à ce résultat ?
Je n’aime pas influencer les scènes que je photographie, mais parfois, j’aime bien que les gens aient conscience de ma présence pour certaines photos. Souvent, il s’agit surtout d’être rapide et subtil. Je prends une photo avant que quiconque puisse se rendre compte de ma présence ou j’essaie de la minimiser le mieux que je puisse. Cela peut être incroyablement facile avec un réflex et deux objectifs. Il arrive fréquemment que les gens ne remarquent pas ce que je fabrique quand je travaille avec ce genre d’appareils.
Une autre façon de faire, beaucoup plus directe, est d’approcher les gens et de commencer à discuter avec eux. C’est en fait assez facile dans une ville comme Baltimore, dans laquelle les gens que j’ai rencontrés sont chaleureux et aiment parler. Plus on passe du temps à parler avec les gens, plus ils commencent à se sentir à l’aise, à baisser leur garde et c’est alors beaucoup plus facile de prendre des photos naturelles d’eux sans qu’ils le remarquent vraiment. Je préfère vraiment cette façon de faire.
Tu proposes des séries sur des villes telles que Baltimore et Pittsburgh, peux-tu nous expliquer ton intérêt pour ce genre de villes ?
Ces villes représentent un passé de l’Amérique difficile à trouver dans les paysages d’aujourd’hui. Elles représentent des villes qui ont été au top, avec une industrie florissante et beaucoup d’emplois, et qui se débattent maintenant avec le chômage, la pauvreté et de nombreux autres problèmes. En parallèle, on y trouve beaucoup d’immeubles, de voitures, de panneaux à l’ancienne, qui font référence au passé. J’essaie de ne pas avoir une approche trop kitsch puisque je n’aime pas vraiment l’idée de courir après des images “intemporelles”, je préfère photographier les paysages tels qu’ils sont à ce moment donné.
Baltimore a été au centre de ma photographie depuis plusieurs années. J’aime beaucoup cette ville et je veux représenter les expériences que j’ai eues en son sein de la façon la plus authentique possible. La photographie a été un moyen pour moi d’explorer et de ressentir une connexion avec la ville.
J’ai photographié Pittsburgh lors d’un week-end que j’ai passé là-bas avec mon ami photographe Patrick Joust. Je n’y étais jamais allé mais ayant vu ses images de voyages précédents, j’ai voulu aller là-bas.
Peux-tu nous parler de ton magazine en ligne Cadillac Ranch Dressing ?
Cadillac Ranch Dressing était un magazine que je dirigeais il y a quelques années. L’idée était de se concentrer ou de souligner le travail de photographes prometteurs et qui commençaient à être connus. Il y a eu trois éditions papier et un site qui proposaient des entretiens et des articles divers. C’est un projet sur lequel je compte me remettre dès que j’aurai plus de temps.