Qui est Gamlet, le street artiste qui a “l’ordre” de peindre en Ukraine ?

Qui est Gamlet, le street artiste qui a “l’ordre” de peindre en Ukraine ?

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© Kadir Demir/AFPTV/AFP

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

"Je ne veux pas peindre des tableaux magnifiques mais des grandes idées."

Gilet pare-balles noir orné de l’écusson du bataillon Khartia, un tourniquet pour faire des garrots et… deux feutres, un noir et un blanc : c’est “l’équipement de travail” de Gamlet Zinkivsky, street artiste ukrainien de renom qui a décidé de rester à Kharkiv, sa ville natale, pour “peindre les murs” dévastés par la guerre.

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“Hospitalité d’enfer”, a-t-il apposé sur une de ses œuvres, des cocktails Molotov et un jerrican d’essence dessinés sur un mur du centre-ville, durement touché par l’offensive russe et dont de nombreux bâtiments ont été détruits ou endommagés par le pilonnage de l’artillerie.

35 ans, crâne chauve impeccable, yeux clairs, quatre bagues en argent à la main gauche, Gamlet était à Kharkiv au début de l’attaque russe, a passé une nuit à l’abri dans le métro puis une dizaine de jours dans la maison de ses parents, plus sûre, avant de se réfugier avec une partie de sa famille à Ivano-Frankivsk dans l’Ouest ukrainien, peu touché par la guerre.

“La ville est ma galerie”

Le street artiste y est resté deux mois, organisant du financement participatif pour soutenir l’armée et l’aide humanitaire. Il dit avoir notamment vendu une peinture contre deux appareils de vision nocturne. C’est alors qu’il a reçu un coup de fil du commandant du bataillon Khartia, un ami : “Tu es à Ivano-Frankivsk depuis trop longtemps. On a besoin de toi ici. Tu dois peindre.” Il dit avoir accepté “l’ordre avec joie” et “signe désormais toutes ses peintures de son nom et de celui du bataillon”. “J’ai toute liberté de peindre ce que je veux où je veux.”

Reconnu à l’international, Gamlet estime qu’aujourd’hui, “il est plus important de travailler dans la rue que faire des tableaux pour les galeries”. “Je peux vendre des tableaux et avoir de l’argent mais le street art, c’est pour ceux qui ne vont jamais dans les musées ou les galeries”, dit-il. “Ici c’est ma maison. La ville entière est ma maison, la ville est ma galerie ! Je pourrais construire ma carrière à l’étranger mais maintenant, j’ai l’impression de construire mon pays.”

“J’ai compris que j’étais Ukrainien”

Gamlet espère qu’après la guerre, certaines de ses œuvres peintes sur du bois recouvrant les fenêtres ou façades endommagées seront données au Musée de la guerre ou vendues pour la bonne cause. Il rappelle que seule une des huit fresques qu’il avait signées à Marioupol a survécu à la bataille des dernières semaines.

Patriote, Gamlet ne voit toutefois pas son pinceau “comme une arme contre la Russie”. “Ce que je fais aide les vrais combattants à défendre le pays qui a des artistes, des musiciens et une culture qui inspirent les soldats.” C’est la deuxième fois qu’il reste à Kharkiv pour des raisons politiques. En 2013, il était prêt à émigrer à Paris, mais le Maïdan (révolution pro-occidentale de 2014, qui s’est soldée par le départ du président pro-russe Viktor Ianoukovitch) lui a donné un nouvel élan artistique. “J’ai compris que j’étais Ukrainien.”

Il était alors beaucoup moins connu qu’aujourd’hui. Gamlet a commencé à peindre sur les murs de sa ville à l’âge de 17 ans. “Je dépensais alors autant d’argent pour la peinture que pour corrompre la police qui ne cessait de m’arrêter. ‘Encore toi !’ disaient-ils”, avoue Gamlet.

Il raconte avoir plus tard défié les policiers : “La Russie a annexé la Crimée et vous n’avez rien d’autre à faire que d’arrêter un ‘terroriste’ comme moi !” Il jure que, par la suite, il n’a plus été embêté et qu’il a refusé des offres des autorités pour devenir un peintre officiel. “Je veux rester indépendant.”

Particularité de Gamlet, qui a étudié l’art pendant huit ans à l’université et aux Beaux-Arts : il a abandonné la couleur depuis douze ans. “Un jour, j’avais acheté différentes couleurs et je me demandais combien il m’en faudrait. Puis, je me suis dit : ‘Je n’en ai pas besoin.’ J’ai tout rendu contre du noir et du blanc. Je préfère être minimaliste”, assure-t-il. “Dans le monde, tout est brouillé et il est difficile de comprendre si c’est bien ou mal. Dans ma peinture, je peux tout faire en noir et blanc, assène-t-il. Je ne veux pas peindre des tableaux magnifiques mais des grandes idées.”

Konbini arts avec AFP