Une belle leçon pour tou·te·s les artistes en devenir : oui, votre œuvre pourra subir une pluie de critiques et tout de même devenir une icône de l’histoire de l’art des siècles plus tard. Voici comment La Petite Danseuse de quatorze ans, avant de devenir culte, a provoqué un scandale sans pareil.
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Il faut remonter à la cinquième exposition des impressionnistes de Paris en 1880, raconte Télérama. Le catalogue officiel de l’événement annonce Pissarro, Caillebotte, Gauguin et… Degas. Parmi ses œuvres, on trouve une curieuse Petite Danseuse de quatorze ans (statuette en cire). Titre aussi intrigant qu’énigmatique, puisque c’est la seule œuvre sculptée à être présentée dans l’exposition.
“Catalogue de la cinquième exposition impressionniste par Mme M. Bracquemond, M. Bracquemond, M. Caillebotte. Du 1er au 30 avril 1880, 10, rue des Pyramides”, 1880. (© BnF)
Mais le jour J, surprise : point de statuette à l’horizon. La faute à ce cher Edgar, qui ne parvient pas à s’arrêter sur une version finale qui lui convient. Rebelote l’année d’après : la danseuse semble encore avoir fait faux bond au public. Mais une dizaine de jours plus tard, elle apparaît enfin et déconcerte l’assemblée.
Le public s’attendait à découvrir une petite fille ingénue, au corps sans défaut et à l’expression angélique, à un portrait idéalisé d’une jeunesse irréelle. Degas a au contraire privilégié une exécution réaliste, loin des critères de beauté de l’époque. Sa danseuse a des genoux cagneux, une silhouette grêle, et toise le monde qui lui fait face d’un air impertinent.
Edgar Degas, “Petite Danseuse de quatorze ans (statuette en cire)”, vers 1880. (© DEA Picture Library/De Agostini via Getty Images)
L’artiste a poussé le réalisme jusqu’au bout en revêtant sa statue de véritables accoutrements de danseuse. Habillée, la statue serait donc “nue” sous ses vêtements. Degas aurait en effet eu le souci du détail au point de demander à son modèle, l’élève de l’Opéra de Paris Marie Van Goethem, de poser nue.
Plusieurs critiques interprètent l’œuvre sous un autre prisme, celui tristement courant de l’époque : cette petite danseuse à l’aube de la puberté est condamnée à devenir la proie de proxénètes mal intentionnés. Un sombre avenir est suggéré, tel la menace des rideaux qui se refermeront peu à peu sur la jeune fille à la fin de sa prestation éclatante. Degas semble dénoncer les manœuvres qui se déroulent dans les coulisses de l’Opéra.
Mais cette critique n’a pas été au goût de tou·te·s. Après l’exposition impressionniste, la statue de cire a pris la poussière dans l’atelier de Degas. Ce n’est qu’à la mort de ce dernier que son fidèle ami sculpteur, Albert Bartholomé, décide de rénover l’œuvre et d’en réaliser des tirages en bronze. Ces derniers ont bien voyagé, de la galerie Hébrard en 1921 à la National Gallery of Art à Washington en 1999. Un ballet incessant de l’art à travers le monde.
Une réplique en bronze de La Petite danseuse de quartorze ans est exposée au musée d’Orsay, à Paris.