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Pour rendre visible l’endométriose, un livre met des visages sur une souffrance taboue

Pour rendre visible l’endométriose, un livre met des visages sur une souffrance taboue

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© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub

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Par Lise Lanot

Publié le

"Les Invisibles" rassemble les portraits de 64 femmes bien décidées à mettre en lumière l'endométriose.

Anaïs Morisset-Desmond, collagiste, et Martin Straub, photographe, font partie d’un même groupe d’ami·e·s. Alors que Martin revient d’un tour du monde de plus de deux ans, Anaïs lui raconte qu’“après vingt ans d’errance médicale où on [l’a] traitée de folle”, il est avéré qu’elle souffre d’endométriose.

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“On s’est rendu compte qu’on avait beaucoup de copines qui l’avaient et qui n’en parlaient pas forcément”, confie Martin Straub. Il devient alors évident pour le duo de créer un projet autour de ce sujet dont on ne parle encore que trop peu, alors qu’une femme sur dix en souffre et met en moyenne sept ans à se faire diagnostiquer.

“Alix, portrait”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

C’est pour mettre en lumière cette maladie qu’une soixantaine de femmes a répondu à l’appel à participation du duo d’artistes, afin de présenter “Les Invisibles”. D’abord pensé sous forme d’exposition abordant l’endométriose et l’adénomyose, le projet est désormais décliné sous forme de livre. Chacune des modèles, appelées à venir sans maquillage “afin de montrer la beauté humaine”, est venue se faire tirer le portrait et témoigner de son quotidien avec la maladie.

Pour mettre en images leurs histoires plurielles, elles ont posé devant un collage d’IRM et d’échographies de tissu rose, réalisé par Anaïs Morisset Desmond, et avec un châle composé de microscopiques clichés de l’endomètre, rose également, pour rappeler la couleur du révélateur qui permet de voir la muqueuse au microscope.

“Aude Pipari, nature morte”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

Les clichés sont des collaborations entre les artistes et les modèles, qui choisissaient la façon de porter le châle. Margaux, 24 ans, raconte avoir choisi de le nouer autour de son ventre et son dos “en tirant très fort dessus”, pour montrer où se situent ses douleurs.

Un croisement d’images, de collages et de témoignages

Chaque portrait est accompagné d’une nature morte composée d’éléments du quotidien qui soulagent ou qui font partie du quotidien de ces femmes vivant avec une endométriose, leur “kit de survie”. On retrouve ainsi le “totem”, la bouillotte, ainsi que des anti-douleurs, des huiles essentielles, mais aussi du chocolat ou des jeux vidéo.

Traitées “à la manière des peintres hollandais”, les natures mortes rappellent les œuvres du peintre Chaïm Soutine et ses “représentations de choses mortuaires”, indique Anaïs Morisset Desmond. “C’est la représentation de toute leur douleur. La soupière représente l’utérus et le drap, l’endomètre qui explose, qui vient bouffer l’image”.

“Adélaïde, nature morte”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

Ces “kits de survie” montrent “qu’il n’y a pas vraiment de traitement”, résume le photographe. “En gros, les seuls choix, c’est la pilule en continu, la ménopause artificielle ou le retrait de l’utérus”. Les témoignages des modèles, recueillis par la journaliste Marion Lepine, font part de bien navrantes similitudes – l’errance médicale, la honte, les accusations de mensonge – et soulèvent des problématiques relatives à chaque femme, telles que la perte de la libido, la peur de la baisse de la fertilité et le sentiment d’incompréhension :

“Un médecin m’a dit : ‘Vous avez des douleurs et une endométriose parce que vous êtes une femme des îles’.”, se remémore Tanya, 31 ans.

“[C’est comme] une pieuvre qui enserrerait mes boyaux, mes ovaires, tout ce qu’elle pourrait trouver”, explique Cécilia, 27 ans.

“Quand j’ai dit à mon médecin que je n’avais plus aucune libido à cause de la pilule en continu, il m’a répondu : ‘Ben, c’est pas si grave, vous pouvez vivre avec’.”, s’exaspère Aude, 40 ans.

“Aude, portrait”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

Si la parole se libère peu à peu et que les jeunes générations se font diagnostiquer plus rapidement que leurs aînées, Margaux affirme, résignée, que “ce n’est pas encore ça” :

“J’ai vu un message sur un groupe d’entraide pour les femmes atteintes d’endométriose, je me suis dit que ça pouvait être génial de participer à ce projet et je les ai contactées, sans hésiter. Ça fait un an que j’ai été diagnostiquée, c’est tout frais dans ma tête donc je suis révoltée, j’avais envie que les choses bougent.”

L’ouvrage est composé de deux volumes. Le premier contient “l’intégralité de l’expo” en images avec les portraits des participantes et leurs natures mortes. Le second volume condense l’intégralité de leurs témoignages, recueillis entre 2019 et 2022, afin de constituer “le premier ouvrage 100 % consacré aux témoignages de femmes atteintes d’endométriose et d’adénomyose sans filtres et sans tabous”, rapporte Anaïs Morisset Desmond.

“Louise, portrait”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

“Cécilia Tanfin, nature morte”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

“Stéphanie Delpoux, nature morte”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

“Solène, portrait”. (© Anaïs Morisset Desmond/Martin Straub)

Le livre Les Invisibles – Chroniques de l’endométriose sortira le 7 mars 2022 aux éditions Ampelos. Pour soutenir la cagnotte Kiss Kiss Bank Bank, c’est par ici.