Une exposition collective retrace le séjour de la grande écrivaine française aux États-Unis dans les années 1940, conté dans son récit L’Amérique au jour le jour.
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“Coast to Coast”, SONJ, 1947. (© Esther Bubley/courtesy Howard Greenberg Gallery/Sous Les Etoiles Gallery)
Publié en 1948, par Gallimard, L’Amérique au jour le jour est un livre de Simone de Beauvoir dans lequel elle raconte son voyage d’environ quatre mois, courant 1947, aux États-Unis, de son point de vue existentialiste. La Française, âgée alors de 39 ans, évoque et mélange, comme dans un carnet de voyage, des souvenirs épars allant de fin janvier à avril puis de septembre à octobre 1947, mois durant lesquels elle se trouvait sur le territoire américain.
Figure de proue du féminisme, fréquentant les cafés parisiens d’intellectuels, dont l’illustre Café de Flore avec son partenaire Jean-Paul Sartre, Beauvoir a laissé un texte précieux qui révèle les problèmes sociaux d’après-guerre gangrenant à cette époque l’Amérique, à savoir la condition des femmes, des Afro-Américains, l’individualisme et l’accès à l’éducation.
Durant ce périple, elle a sillonné en train, voiture et bus les routes de Santa Fe, de La Nouvelle-Orléans, de Los Angeles, mais sa rencontre avec New York fut, pour elle, mémorable. Et cela, la galerie new-yorkaise Sous les étoiles l’a bien compris. L’exposition collective “1947, Simone de Beauvoir in America”, qui court jusqu’au 9 février, s’inspire directement de ce livre. Les photos exposées l’accompagnent et créent un récit visuel qui le complète.
116 jours, 19 états, 56 villes
“The Way of Life of the Northern Negro”, Chicago (Afternoon Game at Table 2), 1946-1948. (© Wayne Miller/courtesy Stephen Daiter Gallery/Sous Les Etoiles Gallery)
Corinne Tapia, directrice de la galerie et ex-journaliste ayant étudié en France, s’attache à “représenter des histoires visuelles et collaborations uniques […] qui reflètent son expérience et sa culture internationales, multiculturelles et multidisciplinaires”. “C’est la première fois que ce livre devient une exposition”, nous confie-t-elle, marquée par la publication américaine, en 1999, de cette œuvre littéraire.
“Elle est restée 116 jours, a traversé 19 états et 56 villes”, ajoute-t-elle, “L’Amérique au jour le jour est à la fois un livre de voyage, de politique et de sociologie sur cette période. En fait, Beauvoir décortique tout ce qu’elle voit en se plongeant dans le Nouveau Monde. Elle semble complètement ouverte et ravie d’explorer le vertige de New York, de profiter de la beauté du paysage de l’Arizona, d’examiner la ségrégation au sud, d’être séduite par Chicago, et intriguée par les étudiantes américaines.”
“Le Deuxième Sexe, publié en 1949, est devenu une référence dans le mouvement féministe, mais il a certainement éclipsé le talent de chroniqueuse de Simone de Beauvoir. Observatrice attentive, dotée d’un style d’écriture aiguisé et précis, pour Simone de Beauvoir, le voyage était une voie centrale qui menait vers l’expérience existentielle : une femme d’une curiosité infinie, une soif d’expérimenter et de découvrir tout. En 1929, elle a voyagé pour la première fois en Espagne, Italie et Angleterre avec son partenaire de vie, le philosophe français Jean-Paul Sartre”, nous raconte la curatrice.
“Alumna Pub Mural”, 1947. (© Courtesy Archives and Special Collections/courtesy Vassar College/Sous Les Etoiles Gallery)
Mais 18 ans plus tard, en 1947, la romancière décide de partir seule aux États-Unis. La galeriste rapporte ses mots, que l’on peut retrouver dans L’Amérique au jour le jour : “D’ordinaire, voyager c’est tenter d’annexer à mon univers un objet neuf, l’entreprise est déjà passionnante. Mais aujourd’hui, c’est différent : il me semble que je vais sortir de ma vie ; je ne sais si ce sera à travers la colère ou l’espoir, mais quelque chose va se dévoiler, un monde si plein, si riche et si imprévu que je connaîtrai l’extraordinaire aventure de devenir moi-même une autre.”
Et les images de photographes aussi variées que les points de vue adoptés par l’essayiste française viennent renforcer son récit. La plupart étaient des photographes de rue et travaillaient pour de grandes publications telles que le magazine Life. Parmi ces photographes exposés, on retrouve Ted Croner qui se perdait souvent dans la nuit ; Ferenc Berko et ses lignes géométriques ; Wayne Miller et ses images documentant la communauté noire de Chicago ; Esther Bubley et sa série dans les bus ; Louis Faurer et sa double exposition ; mais aussi Ansel Adams, Henri Cartier-Bresson, Morris Engel, William Gottlieb, Sid Grossman, Martha Holmes, Sy Kattelson, Saul Leiter, Rebecca Lepkoff, Fred Lyon, Gjon Mili, Ruth Orkin, Arnold Roth, Art Shay, Fred Stein, Tony Vaccaro, Brett Weston, Ida Wyman, Max Yavno et Tobb Webb.
“C’est aussi un livre très photographique. En le lisant, vous pouvez facilement imaginer les traces de Simone de Beauvoir dans les lieux qu’elle découvre pour la première fois, impressionnée par le mode de vie américain qui commençait à prendre effet, l’atmosphère de la nuit, des cabarets et la musique de cette époque. […] Je voulais que le visiteur se sente proche de sa réalité, de cette époque. La plupart des photographies exposées datent donc de 1947”, explique Corinne Tapia. De quoi se mettre dans la peau de Beauvoir.
“Ferry Building”, San Francisco, 1947. (© Max Yavno/courtesy Scott Nichols Gallery/Sous Les Etoiles Gallery)
Taxi, New York la nuit, 1947-1948. (© Ted Croner/courtesy Peter Fetterman/Sous Les Etoiles Gallery)
“1947, Simone de Beauvoir in America”, exposition collective à voir à la galerie new-yorkaise Sous les étoiles, jusqu’au 9 février 2019.