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On vous a demandé quelle œuvre d’art décrivait le mieux votre vie amoureuse

On vous a demandé quelle œuvre d’art décrivait le mieux votre vie amoureuse

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© Jacques-Louis David/Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Pour certains, c’est un naufrage comme le Radeau de la méduse. Pour d’autres, c’est aussi doux que La Nuit étoilée de Van Gogh.

C’est reparti pour parler un peu de douleur et d’amour sur Konbini arts. Il y a quelques semaines, vous avez répondu à notre sondage sur Facebook : “Quelle est l’œuvre d’art qui décrit le mieux votre vie amoureuse ?” Et nous avons reçu des réponses beaucoup moins chaotiques que pour le sondage sur votre dernière relation. C’est signe que les choses avancent pour vous. J’en suis ravie.

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Je suivrai la même méthodologie brevetée que la dernière fois : classer les œuvres d’art que vous avez choisies en trois parties, à savoir “chaotic good”, “chaotic neutral” et “chaotic evil”. Je regrette franchement qu’il n’y ait pas plus de “chaotic evil” au compteur, même si je suis heureuse pour vous, vraiment. Mais on s’amuse quand même bien plus quand on parle de souffrance. Le bonheur, c’est chiant, il est réservé aux gens normaux. C’est parti.

Edvard Munch, Le Cri, 1893. (© Nasjonalgalleriet, Oslo)

Chaotic good

Commençons avec Les Amoureux aux coquelicots de Marc Chagall. Comme son titre l’indique, il s’agit… d’un couple fleuri, innocent. Il faut dire que Chagall était un peintre hautement amoureux et spirituel – il était Cancer. Et si cette peinture a été réalisée entre 1948 et 1952, période durant laquelle il fréquentait Virginia Haggard, sa nouvelle compagne qui accoucha assez rapidement de leur premier enfant, j’aime à penser que ce tableau est encore hanté par l’ombre de son premier amour Bella Rosenfeld, avec qui il resta 35 ans, de 1909 à 1944, jusqu’à ce que la mort l’emporte prématurément.

Je suis persuadée que l’on n’oublie pas si facilement un amour vieux de 35 ans, et que les années qui suivirent cette disparition furent un moment de deuil et de mélancolie pour le peintre biélorusse. N’oublions pas que le signe du Cancer est tourné vers le passé, rien que le passé, et qu’il est régi par la Lune, astre apparaissant sur le tableau en haut à droite.

Marc Chagall, Les Amoureux aux coquelicots, 1948-52. (© Duhamel Fine Arts, Paris)

En 1946, soit deux ans avant d’entreprendre ce tableau et un an après la mort de Rosenfeld, au moment où sa nouvelle femme donnait naissance à leur enfant, Chagall publiait Lumières allumées : un livre illustré rassemblant les textes de Bella sur leur première rencontre et leurs premières années d’amour.

Concernant le tableau en lui-même et ce qu’il dit de votre vie amoureuse, il me semble joli, doux, coloré, mais aussi sombre. Peut-être faudrait-il amener un peu d’ordre, dire au revoir au passé, pour que le tout gagne en lumière. Ou peut-être qu’il suffit simplement d’acheter un bouquet de fleurs pour décorer votre foyer à deux.

Fernando Botero, Picnic in the Mountains, 1966

Picnic in the Mountains de Fernando Botero a également été proposée. Alors là, on est plutôt sur un amour confortable, bien arrondi mais qui me laisse pensive, si j’en crois l’expression de la jeune femme. Attention, ici, à ne pas finir avec la nausée d’un tel confort et d’une telle opulence.

Un·e internaute a partagé Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich, et c’est très positif. Vous êtes seul·e, vous trônez au-dessus de la montagne, en pleine introspection. Vous contemplez ce paysage inconnu et ces récifs brumeux qu’il vous reste à découvrir. Et c’est excitant.

Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818. (© Kunsthalle de Hambourg).

Dans la même sensibilité introspective, le tableau des Deux Fridas, de Frida Kahlo, a été évoqué et cela m’a ravie. Cette proposition vient certainement d’une personne qui a connu une récente rupture amoureuse, je dirais, à tout casser, il y a sept ou huit mois.

La peintre mexicaine se représente ici en double. D’un côté, elle est vêtue de blanc, son cœur est ouvert et elle tient un ciseau censé empêcher son sang de couler. De l’autre, elle porte une robe bleu et ocre, son cœur est refermé et elle tient un petit portrait de son amant dans la main. Devant une mer de nuages gris, les deux figures assises se tiennent la main et leurs cœurs sont reliés par une fine artère.

Frida Kahlo, Les deux Fridas, 1939. (© Musée d’Art moderne de Mexico)

C’est peu de temps après son divorce avec Diego Rivera que Kahlo a peint cette œuvre, pour symboliser ses deux personnalités. Elle venait d’apprendre qu’il l’avait trompée avec sa sœur, devenue sa “muse”. De cette union clandestine, naîtra un enfant, enfant que la peintre ne parvenait pas à lui donner durant leur mariage. Une impossibilité qui marqua un bon nombre de ses tableaux durant toute sa vie. L’artiste décide alors de se transformer, de couper ses cheveux, de s’habiller de manière plus sobre et triste pour rompre davantage avec son mari et son ancienne vie.

La Frida en robe traditionnelle désigne la Frida que son ex-mari aimait. Celle en blanc, la Frida qu’il n’aimait plus, mais qu’elle incarnait pourtant. Si ce tableau se fait l’écrin de sa souffrance, il parle aussi d’une renaissance, d’une transformation. La concernée ajoute qu’il figure sa manière de se retrouver elle-même, de se prendre par la main et de se promettre que tout ira mieux à partir de maintenant.

Gustav Klimt, Le Baiser, 1908-1909. (© Österreichische Galerie Belvedere)

Chaotic neutral

Attaquons cette partie avec Le Baiser de Gustav Klimt, qui a été l’œuvre la plus citée du sondage. Votre vie amoureuse connaît ici son cycle d’or, sa phase “lune de miel”. Cela doit faire… quoi ? Un an ? Deux ans, maximum ? Permettez-moi d’émettre une critique sur ce tableau où les deux sujets semblent habillés en Desigual : la position de la femme soumise, à genoux, le cou tordu, attrapée par la nuque et s’accrochant à l’homme ne me dit rien qui vaille.

Si c’est à cela que ressemble votre couple, vous devriez peut-être tenter de vous relever un peu et de tenir, ferme, sur vos pieds. L’internaute qui a choisi cette peinture admet :

“Ce qui ressort en premier, c’est l’étreinte passionnée, et surtout toutes les dorures et les couleurs qui magnifient ce couple dont les amants deviennent presque des idoles, les amants parfaits, le couple rêvé, l’idéal à atteindre.

Mais il y a aussi le revers de la médaille de cet idéal à atteindre, c’est que la femme est dépendante de cette étreinte, elle est enveloppée par lui, et que si elle s’en éloigne, elle sort des carcans et de cette beauté. C’est une belle relation, mais une relation de dépendance aussi. Si elle s’échappe de l’étreinte, elle tombe de la falaise, située derrière elle.”

Vincent van Gogh, La Nuit étoilée, 1889. (© Museum of Modern Art)

Enchaînons avec une œuvre d’apparence chatoyante de Vincent van Gogh, La Nuit étoilée. Sauf que vous n’avez pas choisi sa version innocente de 1888, peinte à Arles, mais celle de 1889, peinte à Saint-Rémy-de-Provence durant un séjour du peintre néerlandais dans un asile psychiatrique. Interné pour une “crise de nerfs”, Van Gogh observait de sa fenêtre la nuit, tous les soirs. Ce tableau est une représentation de la vue de sa fenêtre, à 4 heures 40, un 25 mai, hallucinations comprises.

Un ciel nocturne bleu et nébuleux, avec une lune en forme de croissant, reflète le paysage mental de l’artiste. Un cyprès côtoie les cieux ; il a été interprété par des spécialistes comme un symbole funeste puisque c’est le genre d’arbres que l’on retrouve dans les cimetières. En effet, Van Gogh mourra un an après ce tableau.

Donc oui, cette œuvre mérite de figurer parmi les “chaotic neutral” car malgré sa beauté, elle reflète la mort et les remous sombres de son âme. Je n’imagine pas le véritable état de votre vie amoureuse. La prochaine fois, il faudra mieux choisir votre version. Les dates comptent.

Edward Hopper, Automat, 1927. (© Des Moines Art Center)

Automate d’Edward Hopper a aussi été mentionnée. Exposé pour la première fois le jour de la Saint-Valentin, ce tableau dépeint une femme assise, seule, face à son café. Elle n’a pas l’air malheureuse, elle boit paisiblement son café, et elle a l’air apprêtée. Derrière elle, une fenêtre sombre n’offre pas d’évasion possible.

Comme son titre l’indique, cette femme “automate” semble mener une existence bien monotone et fade. Autour de cette œuvre, j’imagine deux histoires possibles : soit la femme est seul·e et paisible, profite de sa propre compagnie en terrasse d’un café ; soit elle attend un rendez-vous amoureux et semble attendre depuis longtemps.

En tout cas, les thèmes chers à Hopper, la ville, la mélancolie et le sentiment d’isolement, sont présents. J’espère que vous allez bien, malgré la pandémie qui aggrave notre solitude. Les Fleurs fantômes de Gabriel Orozco fait aussi partie de vos réponses, avec cette précision apportée : “Autant de poésie et de douceur que de fragments du passé et du présent.” C’est beau, c’est vous qui êtes poétique.

René Magritte, Les Amants, 1928. (© Museum of Modern Art)

Autre proposition d’un·e internaute : Les Amants de René Magritte, ces deux sujets suffoquant et aveuglés qui continuent de s’aimer, de s’embrasser, de se désirer alors qu’ils ne se regardent même plus et ne se (re)connaissent plus. Si vous avez choisi cette œuvre, c’est que vous questionnez grandement votre relation.

Rappelons qu’il y a une interprétation plus sombre au tableau : le voile qui sépare les amant·e·s de ce baiser langoureux renverrait au suicide de la mère de Magritte. Alors qu’il était adolescent, sa mère s’est jetée dans les eaux de la Sambre et a été retrouvée le visage couvert d’un tissu…

Les gouaches des Femmes rouges de Louise Bourgeois sont aussi sorties. Ces dessins reflètent des corps de femmes, des courbes enceintes et un moment particulier de la carrière de l’artiste durant lequel elle s’interrogeait sur la féminité, la sexualité et la grossesse. Sur un dessin, on peut voir un fœtus sortir du sexe d’une des silhouettes. Vous devez être en plein questionnement profond sur le corps, la femme, la création et la maternité. On est deux.

Louise Bourgeois, Les Têtes bleues et les femmes rouges, 2007. (© Xavier Hufkens)

Avec salacité, une deuxième œuvre de René Magritte a été citée : La Trahison des images affichant le fameux “Ceci n’est pas une pipe”. L’artiste souhaitait ici démontrer de manière évidente que même représentée, une image de pipe n’est pas une pipe en tant qu’objet.

Elle n’est qu’une projection réaliste mais non palpable. Il questionne notre rapport à la réalité et aux images. Au premier degré, les fellations vous manquent. Au second degré, vous êtes victime d’une chimère amoureuse et cette personne aurait menti sur ses photos de profil. J’en suis désolée.

René Magritte, La Trahison des images, 1928-29. (© Musée d’art du comté de Los Angeles, Collection privée)

Avec humour, un·e internaute a partagé le “monochrome de Whiteman” du sketch des Inconnus : une toile blanche, absolument blanche. J’imagine que votre vie amoureuse est un peu vide… Un commentaire a mentionné La Petite Fille au ballon de Banksy. Comme cette petite fille, vous tendez votre main vers l’amour mais il ne semble pas vous atteindre. Attention, cependant, au sabotage et à l’autodestruction.

De mon côté, j’ai choisi deux œuvres, une œuvre pour la catégorie “chaotic neutral” et une autre, plus violente, que vous découvrirez plus tard dans la partie “chaotic evil”. La première est donc The Artist is Present, une performance que Marina Abramović a réalisée au MoMA en 2010.

Persuadée qu’un temps long de performance pouvait altérer la perception du temps du public et l’impliquer davantage, l’artiste serbe accueillait des visiteur·se·s à longueur de journée, assis·es sur une chaise, face à elle. Pendant trois mois, huit heures par jour, elle fixait chaque personne qui passait devant elle.

Les réactions étaient multiples : certain·e·s s’ennuyaient, d’autres fondaient en larmes. Un jour, son ex-compagnon et collaborateur artistique Ulay s’est pointé. S’ensuivit la séquence émotion la plus déchirante de l’histoire de l’art. Et si j’ai choisi cette œuvre, c’est plutôt pour ce regard fort introspectif que je porte actuellement sur mes relations passées, à quel point certaines m’ont émue et d’autres m’ont laissée de marbre, mais toutes m’ont forgée. Faire le point, s’asseoir huit heures par jour, observer tout autour et prendre le temps ; c’est ainsi que je pourrais résumer ma vie amoureuse aujourd’hui.

Jacques-Louis David, La Mort de Marat, 1793. (© Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique)

Chaotic evil

Passons à la partie la plus tourmentée, la plus truculente. Beaucoup d’entre vous ont partagé Le Cri d’Edvard Munch. Votre vie amoureuse doit être effrayante et angoissante. Il y a eu aussi La Mort de Marat de Jacques-Louis David ; à mon avis, vous avez été largué·e par texto (les lettres des temps modernes) et depuis, vous souffrez.

Un·e internaute nous a envoyé Le Radeau de la méduse de Théodore Géricault : votre vie amoureuse actuelle doit être un réel naufrage, et il serait peut-être temps de vous débarrasser de quelques corps morts et encombrants de votre passé.

Alberto Giacometti, La Place I, 1948. (© Fondation Giacometti)

Pour décrire sa vie amoureuse, un internaute s’est appuyé sur une sculpture d’Alberto Giacometti, La Place I : quatre figures masculines “longues” et “décharnées” marchant vers une figure féminine, fixe, sur un bloc de pierre. J’y vois une errance dans un espace étroit – le couple ? L’homme dédoublé semble se perdre dans les directions à donner à sa vie. Pourtant, son mouvement se dirige de manière déterminée vers la femme.

Selon le concerné, il y aurait dans ces silhouettes “fragiles, si profondément éphémères, si seules” – dans lesquelles il se reflète – l’idée d’une “dérive”.

“Tous ces hommes en mouvement, c’était moi, un élément quantique, une superposition de divisions, écartelée par le vide qui l’entoure, par ses désirs, par des quêtes ‘intenses mais peut-être tragiques’. […]

Et devant ces hommes, cette femme, toujours, cette idée de femme, fantasme de femme, devant laquelle se joue la perpétuelle valse des hommes […] qui marchent vers rien, qui ne savent pas se croiser, qui s’emmerdent à mourir, qui vont vers la mort, l’art, l’amour, le désir, la liberté, un nombre vibrant et inconnu de nourritures qui ne les nourriront jamais, en même temps, tout le temps. Et la femme regarde, et quand elle regarde, elle donne un semblant de sens […]. C’était elle qui tissait le récit auquel tous ces hommes se référaient, auquel je me référais”, complète-t-il.

Rembrandt, Saint Paul en prison, 1627. (© Staatsgalerie Stuttgart)

Parmi vos propositions, Saint Paul en prison de Rembrandt : un homme seul et déchaussé écrit et médite dans sa cellule. Soit une relation vous tient prisonnier·ère, soit votre situation solitaire vous encombre et vous ne parvenez pas à en sortir malgré vos réflexions. En tout cas, il y a une lueur d’espoir si on interprète bien ce tableau et sa lumière. Continuez d’écrire, continuez de réfléchir.

Pour finir, je vais vous parler un peu des Tirs de Niki de Saint Phalle que j’ai choisie en seconde option “chaotic evil”. Dans cette performance, l’artiste invite le public à tirer des jets de peinture à la carabine sur des sortes de grandes toiles de plâtre.

Le résultat final donnait à voir une silhouette humaine, symbolisant peut-être les démons de chacun·e. Cette série de peintures abstraites trouve un écho particulier auprès des personnes victimes ou survivantes de violences sexuelles. Violée par son père à l’âge de 11 ans, Niki de Saint Phalle n’a cessé de porter ce secret et cette souffrance en elle.

Dans ses Tirs (ou “tears”, “larmes”), elle expose sa colère au monde et invite quiconque en aurait besoin à viser et détruire “Papa, tous les hommes, les petits, les grands, [son] frère, la société, l’église, le couvent, l’école, [sa] famille, [sa] mère” et elle-même. Elle n’a peur de rien, déconstruit beaucoup de choses, se libère, s’affirme et élève son art en catharsis, en tribunal intime, en purgatoire, en thérapie.