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On tente de vous expliquer les œuvres d’art les plus étranges de la foire Paris+

On tente de vous expliquer les œuvres d’art les plus étranges de la foire Paris+

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© Jakob Lena Knebl/Galerie Loevenbruck, Paris ; © Lutz Bacher/Galerie Buchholz

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le , modifié le

Dans cet article, vous apprendrez qu’une veste de cheveux humains peut questionner les stéréotypes dont souffrent les femmes.

Cette année, nous avons pu fouler les couloirs blancs et longs de Paris+, avec grande douleur, lors du vernissage presse. Au fil de notre visite, nous sommes tombées sur des œuvres aussi interlopes qu’intéressantes. Chaque galerie surenchérissait la bizarrerie, œuvre après œuvre, et c’en devenait presque philosophique.

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Mais il faut savoir que ces étrangetés qui peuvent paraître cryptiques au premier abord disent des choses, beaucoup de choses, plus de choses qu’on ne peut l’imaginer. Pour vous, on a tenté de décrypter, par nos propres moyens parce que c’est plus drôle, les œuvres d’art les plus énigmatiques que nous avons vues, en espérant vous faire découvrir des talents qui vous toucheront, par la même occasion.

Berlinde de Bruyckere

On n’a pas eu peu peur quand on est passées à côté de cette œuvre de Berlinde Bruyckere, laissant entrevoir des jambes qui dépassent de lambeaux d’étoffes. Largement inspirée par la peinture de la Renaissance flamande, l’iconographie religieuse et la mythologie antique, l’artiste explore des thèmes comme le martyre, l’humain, l’hybride, le végétal, l’animal, la rédemption, l’érotisme et la métamorphose.

Berlinde de Bruyckere, Arcangelo V, 2021. (© Konbini/Galleria Continua)

Ses œuvres sont bourrées de symbolisme et font parfois écho à la grande Histoire. Travaillant des matières très organiques comme la cire, le bois ou les peaux animales comme le cuir, la plasticienne belge apprécie la figure d’affliction et le blafard. C’est le cœur de sa série Arcangelo, ces personnages déchirés, en souffrance, qui semblent porter le monde sur leur dos.

À chaque fois, c’est au public d’imaginer ce qui a pu souiller ses figures spectrales. Pour celle-ci, on a pensé que cette femme était emmurée pendant des années dans une maison hantée et que l’effondrement de sa demeure ancienne lui a permis de s’en extirper. Depuis, elle est condamnée à errer dans le monde, dans l’apparat de sa séquestration.

Julie Curtiss

Travaillant la sculpture, la peinture et le dessin, Julie Curtiss centre son art autour de la figure féminine, avec une touche de surréalisme et d’humour noir, jouant avec les stéréotypes. Inspirée par le cinéma, son œuvre Belle de jour – en référence au film de Luis Buñuel porté par Catherine Deneuve – présente tous ces atouts : de longs cheveux soyeux coiffent une veste rose à l’intérieur matelassé.

C’est dans l’exagération des traits que Curtiss épingle les stéréotypes liés au genre, en déconstruisant chaque détail, chaque symbole. Ici, l’artiste fait une ode à la beauté et à l’érotisme à travers un objet banal du quotidien. Mais elle rit surtout des carcans qui enferment les femmes dans notre société.

Julie Curtiss, Belle de jour, 2022. (© Konbini/Anton Kern Gallery)

Cally Spooner

La fontaine publique (et en panne) de Cally Spooner nous a laissées circonspectes. L’eau y coule en continu, grâce à une pompe reliée à un bac. Représentation de la vacuité, d’une boucle éternelle ? Ou réadaptation pure et moderne de la Fontaine de Duchamp ?

Nous connaissons le goût de l’artiste pour la philosophie et l’écriture, pour les jeux de mots visuels, mais il nous est très difficile d’interpréter cette œuvre au-delà de ces quelques pistes. Ses œuvres invitent le public à la projection, à l’action. Peut-être auriez-vous envie de vous y désaltérer… ou de la réparer ? À elle seule, Fontaine publique meurtrière performe le non-événement gracquien.

Cally Spooner, Fontaine publique meurtrière, 2022. (© Konbini)

Jakob Lena Knebl

Créature étrange mi-femme, mi-fesses, mi-chaise, Portrait of a Lady reflète parfaitement le travail de Jakob Lena Knebl, mêlant identités hybrides, art et design. Les transformations grotesques, les cultures populaires, la mode et le transhumanisme sont des motifs récurrents de ses œuvres composées de céramique, de textile ou de cheveux artificiels.

Ici, une chaise sert de jambe à une figure féminine portant une perruque rousse. Le dos de la chaise est connecté à son arrière-train, d’où sort une main disproportionnée. Sa deuxième jambe révèle des muscles saillants et un talon. Peut-être l’artiste cherche-t-elle à définir une nouvelle féminité ou à critiquer l’objectification du corps des femmes ?

Jakob Lena Knebl, Portrait of a Lady, white, 2022. (© Konbini/Galerie Loevenbruck, Paris)

Peter Buggenhout

On pourrait considérer Mute Witness comme une vanité, un objet témoin du temps qui passe et qui pourrit. À travers un coussin calciné, Peter Buggenhout parle de décadence, de destruction et d’existence. L’artiste aime explorer l’érosion, à la manière d’un Daniel Arsham, en récupérant de vieux matériaux et en créant des œuvres composites.

Malgré le chaos émanant de ses créations, le plasticien accorde une grande attention aux détails, travaille très méticuleusement, insérant de la cire, du sang et de la poussière par-ci, de la résine et des débris par-là. Ses sculptures grand format ne seraient que le reflet de ses ruines mentales. On peut tout à fait interpréter ce coussin à travers cette métaphore.

Peter Buggenhout, Mute Witness #23, 2022. (© Konbini/Konrad Fischer Galerie)

Cajsa von Zeipel

Dans Double Dose of Zen, Cajsa von Zeipel émet une critique acerbe de l’ère numérique dans laquelle nous baignons tout·e·s et de l’injonction au bien-être qu’impose cette ère. Ses œuvres futuristes présentent des formes humaines, souvent des femmes nues, surmontées d’outils électroniques. Elle use du silicone en écho à notre ère plastique (illustrée par les sex toys) et superficielle (comme les implants).

Ici, les bras sont remplacés par des tentacules de tuyaux et de ce qui ressemble à des sèche-cheveux et à des outils d’orthodontistes. L’identité, le genre, la sexualité sont au cœur de son travail, défiant toutes les normes et critiquant le capitalisme de la beauté. Ça peut paraître grotesque ou extraterrestre, mais c’est bien voulu.

Cajsa von Zeipel, Double Dose of Zen, 2021. (© Konbini/Galerie Andréhn-Schiptjenko)

Anita Molinero

Dans Saskia, Anita Molinero rend hommage à un personnage du roman d’Alain Damasio, Les Furtifs. Dans ce récit d’anticipation, Saskia Larsen est spécialiste de la reconnaissance des sons, “traqueuse phonique”, éthologue et ethnomusicologue. Le livre nous plonge dans un monde dystopique : en 2041, un père recherche sa fille disparue, qu’il croit kidnappée par les Furtifs, de mystérieuses créatures invisibles et rapides.

L’artiste a réalisé ici une sculpture-portrait librement inspirée de cet ouvrage. Cette interprétation prend la forme d’un casque de coiffure, de fers à béton et d’un socle en métal larmé. On ne sait pas ce que l’écrivain en pense mais cela donne une créature bien originale.

Anita Molinero, Saskia, 2021. (© Konbini/Galerie Christophe Gaillard)

Genevieve Gaignard

Figurant dans sa série Strange Fruit, qui explore l’étrange “nostalgie” des États-Unis à leur violence raciale et les lynchages de personnes noires, cette œuvre de Genevieve Gaignard sonde la psyché du pays gangrené par le racisme. The Apple Doesn’t Fall Far From the Tree présente des têtes de femmes grandeur nature, manufacturées par l’entreprise de céramiques Royal Doulton.

Posées sur un coussin rouge, les têtes sont décorées d’un ruban rose noué autour de leur cou. Cette œuvre symbolise la violence qui passe inaperçue dans la société. Blanches et belles, ces femmes idéalisées sont vite assimilées à l’idée de trophées et de têtes… coupées, invoquant la violence insidieuse et le racisme présent aux États-Unis. Le titre de l’œuvre et de la série dans laquelle elle s’inscrit rappellent une pomme tombée d’un arbre, en référence aux lynchages et à la chanson de Billie Holliday.

Genevieve Gaignard, The Apple Doesn’t Fall Far From the Tree (Golden Delicious), 2022. (© Konbini/Vielmetter Gallery, Los Angeles)

Daniel Turner

Une barre en fer, une simple barre de fer. Mais pas n’importe laquelle. Celle-ci provient d’un institut de soins psychiatriques suisse. Ou plutôt : elle a été créée à partir de matériaux venant d’un asile. Daniel Turner a une approche très minimaliste de son art.

“Coulée dans une barre en inox de près de trois mètres de long, la somme des histoires dont l’asile a été témoin est désormais condensée sous la forme d’un monolithe, évoquant un état psychologique figé”, renseigne la Galerie Allen, qui le représente. Un seul objet, compact, simple, unique se fait l’écrin de distillations multiples, de symboliques complexes et d’une fondation industrielle lourde de sens.

Daniel Turner, Untitled, 2022. (© Konbini/Galerie Allen, Paris)

Mungo Thomson

Plus légère, la série Snowman de Mungo Thomson présente des cartons de livraison, prenant parfois la forme de colis Amazon. Cet artiste conceptuel prend des objets du quotidien pour en faire des œuvres d’art. On s’est demandé une seconde si la galerie n’avait pas oublié de déballer une œuvre d’art, mais non, c’était bien ça, l’œuvre d’art. On peut y voir une manifestation phallique de la société de consommation.

Mungo Thomson, Snowman, 2022. (© Konbini/Galerie Frank Elbaz)

Philippe Parreno

Est-ce Noël avant l’heure ? Est-ce que la galerie PilarCorrias a sorti son sapin un peu trop tôt ? Que nenni ! Il s’agit d’une œuvre de Philippe Parreno. L’artiste français est un habitué du protéiforme et de l’éphémère, de l’étrange et du métaphysique, à tel point qu’il questionne même, à travers ses créations, les espaces d’exposition.

L’espace devient l’œuvre et le médium, non un simple environnement d’accueil. Systématiquement, le public doit s’approprier le lieu et son récit. Et on pourrait facilement passer à côté de ce sapin, perdu dans la foire, sans questionner sa valeur artistique, le réduisant à un simple accessoire décoratif de l’espace qui nous entoure.

Philippe Parreno, Silent Transformation (Anathema), 2022. (© Konbini/PilarCorrias)

Lutz Bacher

Des câbles, des écouteurs, des câbles, des appareils photo, des câbles… Inspirée par la culture populaire et de ses propres expériences, Lutz Bacher crée des œuvres brutes et troublantes à partir d’objets trouvés, des œuvres qui ont souvent besoin d’une grille de lecture. Identité, désir, sexualité, corps sont les maîtres-mots de son approche artistique.

Dans Camera Necklace, pas d’histoire de corps, de désir, d’identité et de sexualité. L’artiste a conçu un collier à partir d’appareils photo argentiques, d’écouteurs et de câbles qui scellent le tout. Pourquoi autant d’appareils photo ? Peut-être par nostalgie ou pour interroger notre volonté malsaine de tout photographier et enregistrer. Ou alors est-ce un pied de nez à la Picture Generation, mouvement artistique contemporain à sa carrière mais auquel elle ne s’est jamais assimilée ?

Lutz Bacher, Camera Necklace, 2013. (© Konbini/Galerie Buchholz)

Frédérique Loutz

Le travail de Frédérique Loutz tourne autour du surréalisme, de l’hybridité et du fantasmagorique. Elle use du dessin ou de la sculpture pour partager son univers fait de “monstres gentils” ou de créatures tout droit sorties de son imagination, détaille la Galerie Papillon.

Ici, l’artiste récupère des objets du quotidien pour en faire une Brochette, une sorte de pyramide de tasses et gobelets tachés. À travers cette œuvre, l’artiste française semble emprunter à la grande tradition du ready-made de Marcel Duchamp. Elle manipule et brouille les fonctions des objets banals, s’approprie et mêle leurs formes et couleurs.

Frédérique Loutz, Brochette. (© Konbini/Galerie Papillon)

Peter Fischli

Comme Frédérique Loutz, Peter Fischli aime détourner les objets du quotidien de leur fonction initiale. Connu pour le duo qu’il formait avec David Weiss, l’artiste crée des œuvres décalées, artisanales et loufoques. Parfois, un simple carton monochrome en forme de poubelle, comme ici, interroge le marché de l’art, les médias, les institutions culturelles et ses normes, ou le consumérisme. Provocateur, son travail a toujours tourné autour de la trivialité, transcendant des matériaux peu nobles.

Peter Fischli, untitled, 2021. (© Konbini/Galerie Buchholz)