Négatifs de films et coupures de journaux anciens viennent se fondre au cœur de l’exposition “Allo, Beyrouth ?” avec d’autres images et représentations artistiques plus contemporaines et interactives sur la crise actuelle du Liban, un événement culturel qui entend interpeller sur l’histoire gangrenée du pays.
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L’exposition, ouverte récemment et qui doit durer un an, se déroule à Beit Beirut dans un bâtiment de trois étages connu sous le nom de “Maison jaune” construit dans les années 1920 par le célèbre architecte libanais Youssef Bey Aftimos. Criblé de balles, le bâtiment s’élève sur l’ancienne “Ligne verte” séparant les factions chrétiennes et musulmanes durant la guerre civile libanaise de 1975 à 1990. Rénové, il a été transformé en musée et en espace culturel.
“Allo, Beyrouth ?” met un coup de projecteur sur des archives d’un passé trouble avec des publications datant d’avant la guerre civile consacrées à l’histoire de la corruption institutionnelle, des grèves dans le secteur public mais aussi à des mouvements de protestation estudiantines.
Ces archives sont installées à côté d’images, de séquences vidéo et d’installations artistiques illustrant des scènes semblables de l’histoire contemporaine du Liban, les organisateur·rice·s de l’exposition souhaitant dénoncer une tumeur vieille de plusieurs décennies à l’origine de la décomposition du Liban.
“Beyrouth souffre, on souffre”, explique la directrice de l’événement, Delphine Abirached Darmency, affirmant qu’une grande partie de la misère actuelle dans le pays tire ses racines de problèmes datant d’une époque révolue.
L’âge d’or révolu de Beyrouth
L’idée de l’exposition est venue en partie de la découverte d’archives appartenant à un milliardaire libanais, Jean Prosper Gay-Para, qui possédait la célèbre discothèque Les Caves du Roy à Beyrouth, considéré comme un symbole de l’âge d’or du pays avant la guerre civile.
Des mots de M. Gay-Para on peut lire sur une plaque : “Ces esprits malades, obsédés par l’argent”, en référence à l’élite politique du pays, faisant écho à un sentiment encore largement partagé par une population meurtrie par une crise économique sans précédent, dont la classe politique est tenue responsable. M. Gay-Para évoquait “dans les années 1960 ce que nous vivons aujourd’hui”, a ajouté la directrice de l’exposition.
Plus de trois décennies après la fin d’une guerre civile sanglante, le Liban est aujourd’hui en proie à une grave crise financière, sa monnaie ayant perdu plus de 90 % de sa valeur et plus de 80 % des habitant·e·s vivent désormais sous le seuil de pauvreté de l’ONU.
Sa capitale reste toujours marquée par l’énorme explosion au port en 2020, due au nitrate d’ammonium stocké sans mesures de précaution, tuant plus de 200 personnes et aggravant un exode semblable à celui causé par la guerre civile. En plus des archives, l’exposition “Allo, Beyrouth ?” accueille plusieurs installations d’artistes libanais·es invité·e·s à présenter des œuvres reflétant leur vision de la capitale.
“La mort de son peuple”
Une de ces artistes, Rawane Nassif, y présente un court documentaire explorant l’histoire d’un quartier de Beyrouth où elle a grandi et est revenue cette année pour la première fois en deux décennies pour s’occuper de ses parents malades, décédés depuis. Le film dépeint “la perte”, car “Beyrouth est en deuil, elle pleure la mort de son peuple et la mort de toutes les opportunités qu’elle avait autrefois”.
Raoul Mallat, artiste visuel de 28 ans, a également travaillé sur le thème du deuil dans un court métrage combinant des images d’archives familiales de son enfance avec des clichés récents de Beyrouth. “Ce projet m’a beaucoup aidé à faire le deuil de certains aspects de ma ville que je ne retrouverai plus.”
Dans le musée, des trous dans les murs, utilisés autrefois comme repaires par des snipers pendant la guerre civile, sont désormais équipés d’écrans projetant des images d’un mouvement de protestation sans précédent qui a émergé au Liban en 2019 contre la classe politique accusée de corruption.
À proximité, une salle est décorée avec des meubles usés et des objets détruits récupérés dans la discothèque Les Caves du Roy, aujourd’hui abandonnée, pour tenter de reconstituer le lieu. L’objectif de l’installation par les artistes libanaises Rola Abou Darwich et Rana Abbout est de représenter symboliquement les décombres et l’existence tumultueuse du Liban. “Beyrouth est construite sur des décombres”, selon Rola, 38 ans. “Cela fait partie de là où on vit, de la façon dont on vit et de qui on est”, dit-elle, estimant que la situation ne va pas s’arranger.