Au musée new-yorkais Fotografiska, Andres Serrano a organisé une exposition intitulée “Infamous”, où il présente des œuvres en rapport avec les temps sombres de l’histoire américaine. Collectionneur, le photographe d’origine hondurienne et afro-cubaine a décidé d’exposer des œuvres témoignant de l’Amérique raciste, qu’il a achetées sur eBay (comme des factures d’achat de Noir·e·s réduit·e·s en esclavage datant des années 1820 ou des cartes postales montrant des lynchages), ainsi que quelques-unes de ses photos.
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Parmi ses travaux personnels, on retrouve, par exemple, une photo de Donald Trump et le dernier portrait de Jeffrey Epstein. Ce dernier portrait a su créer la controverse, puisqu’il montre un Jeffrey Epstein lumineux et souriant. En effet, la photo a été prise quelques mois avant son décès en prison, comme le rapporte Artnet, et affiche une image douce qui contraste avec le monstre pédocriminel qu’elle dépeint. Serrano en avait bien conscience. Au premier abord, il ne voulait pas accepter cette commande, alors que le prédateur sexuel était en plein procès.
“Infamous (Jeffrey Epstein)”, 2019. (© Andres Serrano/Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“Après sa mort, j’ai décidé que je devais mettre mon portrait de Jeffrey Epstein dans ‘Infamous’, car il n’y a pas plus infamous [ignoble] que Jeffrey”, a-t-il confié. Selon lui, le sourire d’Epstein illustre parfaitement l’idée de son exposition : que l’Amérique est pourrie en son cœur et que le mal banalisé fait partie de son histoire. “J’aime l’Amérique, mais soyons francs : les États-Unis sont nés du sang. Ce pays s’est construit sur le sang des peuples amérindiens, qui ont été massacrés sur leur propre territoire.”
Pourquoi a-t-il accepté de photographier Jeffrey Epstein ?
Les raisons qui ont mené l’artiste controversé à la réalisation de ce portrait impliquent, comme on peut s’en douter, l’appât du gain, mais attention, pas un simple et généreux chèque. Non, il est question d’une précieuse statue de la Vierge Marie… Si le photographe collectionneur a accepté de photographier l’homme d’affaires accusé de pédocriminalité, de trafic sexuel, de multiples viols et d’agressions sexuelles, c’est parce qu’il y avait une statue datant du XVIe siècle à la clé.
La statue de la Vierge Marie qu’Andres Serrano voulait acquérir en 1995. (© Andres Serrano)
Revenons un peu dans le temps. En 1996, Serrano – qui était habitué à collectionner des objets de la Renaissance et du Moyen Âge – repère la statue de la Vierge chez un antiquaire. Il lui propose de l’acheter et d’enchérir si besoin. Quelque temps plus tard, il repasse et l’antiquaire lui avoue avoir vendu la statue à un certain Epstein, dont la proposition de prix était nettement plus intéressante. Le comble pour un homme sans morale, d’acheter une œuvre représentant la Vierge… Toutefois, c’est à ce moment-là que le pédocriminel croise pour la première fois la route du photographe.
Retour en 2018. Serrano n’acceptait pas d’argent de la part d’Epstein. Ce dernier s’est souvenu de cette vieille histoire et lui a proposé la statue en échange d’un portrait, en remplacement du chèque que Serrano refusait. C’est ainsi qu’il a fini par accepter “ce pacte avec le diable”, désirant absolument ajouter cette Vierge à sa collection. “Je n’ai aucun doute sur le fait que Jeffrey Epstein était un monstre et un pédophile, mais j’étais prêt à faire affaire avec le diable en personne pour cette Madone. Et c’est ce que j’ai fait.”
Serrano assume avoir cédé et mis de côté sa morale, et il accepte les critiques questionnant sa décision. En revanche, on peut dire aujourd’hui qu’il fait un très bon usage de son œuvre, en la plaçant dans une exposition dédiée à la notion de “Mal américain” et à ce qui ronge le pays.
Le portrait de Donald Trump, pris en 2004, présenté dans l’exposition “Infamous”. (© Andres Serrano/Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
Une poupée noire collectionnée par Andres Serrano et présentée dans l’exposition “Infamous”. (© Andres Serrano/Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“Old Glory I–II, American 48 Star Flag”, années 1920, collectionné par Andres Serrano et présenté dans l’exposition “Infamous”. (© Andres Serrano/Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“The Perfect Song”, d’Amos’n’Andy, années 1930, collectionné par Andres Serrano et présenté dans l’exposition “Infamous”. (© Andres Serrano/Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
Le jeu de cartes “Carnival Games-Chuck”, années 1920, collectionné par Andres Serrano et présenté dans l’exposition “Infamous”. (© Andres Serrano/Galerie Nathalie Obadia, Paris et Bruxelles)
“Andres Serrano: Infamous”, une exposition à voir jusqu’au 14 mars 2021 au musée Fotografiska (New York).