Les visages mystiques et mystérieux du peintre Alexej von Jawlensky au cœur d’une expo

Les visages mystiques et mystérieux du peintre Alexej von Jawlensky au cœur d’une expo

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© Alexej von Jawlensky/Centre Paul-Klee – Berne, Suisse

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Jawlensky peignait des visages en série, comme une obsession. Le peintre a droit à une rare rétrospective en France.

Il cherchait “une expression universelle” au visage, cette “entrée de l’âme” : encore méconnu en France, Alexej von Jawlensky, peintre russe à la frontière entre expressionnisme et fauvisme, fait l’objet d’une rétrospective exceptionnelle au musée La Piscine de Roubaix.

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Cette exposition “d’envergure internationale”, coproduite avec la Fundación Mapfre de Madrid et les musées de Marseille, entend rendre hommage à une “figure majeure de l’art du XXe siècle, très célèbre en Allemagne, en Suisse ou aux États-Unis, mais malheureusement méconnue en France”, souligne le conservateur du musée, Bruno Gaudichon.

Alexej von Jawlensky, Tête de femme “Méduse”, (Ombre et Lumière), 1923, Musée des Beaux-Arts Lyon (France). (© RMN-Grand Palais/René-Gabriel Ojéda)

Présentée jusqu’au 6 février 2022, à l’occasion des vingt ans du musée, cette expo titrée “La Promesse du visage” entend mettre en lumière “l’apport original d’Alexej von Jawlensky (1864-1941) à l’art du XXe siècle : sa pratique de la série”, une démarche consistant à multiplier les déclinaisons d’un sujet pour en créer d’infinies variations, explique le conservateur.

Le parcours illustre aussi “la position particulière” de ce peintre russe ayant essentiellement travaillé en Allemagne, inspiré par Vincent van Gogh, qui fut compagnon de route de Kandinsky, et situé “dans l’entre-deux, entre figuratif et abstrait, expressionnisme et fauvisme”, poursuit le commissaire scientifique Itzhak Goldberg.

Alexej von Jawlensky, Tête mystique, tête de jeune fille, 1918, Ascona, Museo Comunale d’Arte Moderna, collection de la Commune d’Ascona.

Talent du coloriste

“Mais l’essentiel, c’est sa préoccupation, voire son obsession pour les visages”, poursuit ce spécialiste. La scénographie suit donc son “voyage artistique”, partant de portraits “relativement classiques”, pour aller vers “des faces extrêmement stylisées” captant toute la surface du tableau, jusqu’à “ce qu’il appelle de façon paradoxale ‘un visage abstrait'”, détaille le commissaire.

Au fil des années, l’artiste “vide peu à peu le visage de toute singularité, de toute expressivité particulière, pour lui donner une expression universelle”, sacrée, explique M. Goldberg. “J’avais compris que la grande peinture n’était possible qu’en ayant un sentiment religieux. Et ceci, je ne pouvais le rendre que par le visage humain”, écrivait Jawlensky dans une correspondance privée en 1938.

Alexej von Jawlensky, Portrait de Marianne von Werefkin, 1905, Ascona, Museo Comunale d’Arte Moderna, collection de la Commune d’Ascona.

En entrant, le public est frappé par le talent du coloriste, ses teintes vives contrastées, intenses. L’artiste peint des personnages reconnaissables puis des “types”, faisant graduellement disparaître le caractère individuel. Orthodoxe russe, il tire déjà certaines couleurs et compositions des “icônes” religieuses ancrées dans ses souvenirs.

Dans les salles suivantes, ses paysages stylisés, sectionnés et ses natures mortes aux couleurs intenses font face aux tableaux d’autres peintres comme Matisse, Kandinsky ou Vlaminck. Elles montrent comment l’artiste “commence son travail de décomposition” et de glissement vers l’abstrait, observe Itzhak Goldberg.

Alexej von Jawlensky, Tête abstraite : lumière rouge, 1926, San Francisco Museum of Modern Art, donation de Charlotte Mack. (© Don Ross)

“Idoles”

Le public découvre “sa première série”, de multiples “variations” d’une vue de sa fenêtre jouant “sur la limite entre figuration et abstraction”, une expérimentation qu’il poursuivra ensuite sur des figures humaines. Ses premières “têtes mystiques” et “faces de sauveurs” androgynes, aux formes épurées et tonalités douces, renvoient déjà à la spiritualité mais gardent “une structure organique”.

Dans d’autres sections de l’exposition, ses visages deviennent géométriques, construits à partir de lignes, d’angles et de demi-cercles. L’un d’eux, baptisé Urform, ou “forme originelle”, montre sa volonté d’aboutir à un archétype. “Ce sont des idoles” aux yeux et bouches fermés, “enlevant toute possibilité de dialogue”, souligne M. Goldberg.

Dans les dernières années de sa vie, il peint les “méditations”, petits formats alternant couleurs chaudes et froides aux teintes crépusculaires, et superposant un visage abstrait, “souvent vu comme une entrée de l’âme”, et “la croix, symbole en Occident de la religiosité”, note encore M. Goldberg. Atteint d’une arthrite déformante et contraint d’attacher son pinceau à ses mains, il en peindra plus d’un millier en quatre ans.

Alexej von Jawlensky, Princesse Turandot, 1912, Centre Paul-Klee – Berne, Suisse. (© Centre Paul-Klee – Berne, Suisse)

Alexej von Jawlensky, Deux nuages blancs, 1909, Centre Paul-Klee – Berne, Suisse, dépôt de collection particulière. (© Centre Paul-Klee – Berne, Suisse)

Alexej von Jawlensky, Andrej assis, 1907, collection particulière.

Alexej von Jawlensky, Danseuse espagnole, 1909, collection particulière.

“Alexej von Jawlensky : La Promesse du visage”, une exposition à voir au musée La Piscine de Roubaix, jusqu’au 6 février 2022.

Avec AFP.