Les traumatismes liés au viol explorés dans un projet photo poignant

Les traumatismes liés au viol explorés dans un projet photo poignant

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© Juliette Dupuis Carle

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Par Lise Lanot

Publié le , modifié le

Partant de la statistique qu’une femme sur trois est victime de violence dans sa vie, Juliette Dupuis Carle livre un travail difficile et nécessaire.

Dans le monde, une femme sur trois subira au cours de sa vie des violences physiques ou sexuelles. En France, une femme sur trois déclare qu’un partenaire lui a déjà fait subir un rapport sexuel non protégé malgré son désaccord.

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C’est d’après ces statistiques que la photographe Juliette Dupuis Carle développe un projet artistique mettant en lumière les conséquences post-traumatiques de ces violences. Devant ses œuvres, actuellement exposées à à la Cité Audacieuse, lieu de la Fondation des Femmes, à Paris, Juliette Dupuis Carle explique :

“On parle de plus en plus des événements en eux-mêmes – et il est crucial de faire entendre à quel point [un viol ou une agression] peut vite arriver – mais il ne faut pas oublier que les conséquences durent toute une vie ensuite.

Les agressions sexuelles sont les seuls crimes dans le monde ayant les mêmes statistiques dans tous les milieux sociaux. Pourtant, les travaux sur leurs conséquences sont rares, cela ne fait que dix ans qu’on parle d’amnésie traumatique. On dit que ce sont des conséquences du même niveau qu’un soldat revenu de guerre.”

Malika. (© Juliette Dupuis Carle)

En 2019, Juliette Dupuis Carle commence à assister à des groupes de parole avant de lancer un appel à projet au sein du groupe Les Résilientes qui rassemble des personnes ayant subi des violences sexuelles. Elle y rencontre une trentaine de personnes, leur demandant de “se concentrer sur un syndrome ou une émotion” afin d’écrire un texte, puis, “ensemble, d’en faire une image”. Bien que Juliette Dupuis Carle souligne ne pas être art-thérapeute, elle appuie l’idée d’un “soin par l’image”.

Modèles et photographe se rencontrent en tête-à-tête au moins quatre à cinq fois, afin de nouer “un vrai lien de confiance et de consentement”. En mots et en images, chaque survivante tente de rapporter l’indicible, le handicap invisible qui la ronge en silence. Elles confient la culpabilité, la colère, la peur, les addictions – boulimie, anorexie, scarification ou encore rites de propreté, soit autant de moyens visant à sortir d’un corps meurtri, violé.

Adélaïde. (© Juliette Dupuis Carle)

En plus de portraits et de textes, les modèles créent avec la photographe des images qui matérialisent les corps et leurs maux. Sur les cartels accompagnant ces triptyques, le nom des modèles, leur âge et l’âge qu’elles avaient lors des agressions.

Fruits d’un véritable travail de collaboration, les œuvres ont permis aux modèles un travail – souvent difficile – sur leur histoire : “Ce projet n’est qu’une goutte d’eau dans le chemin de résilience de ces femmes mais le fait de matérialiser leurs émotions et d’avoir le choix était important”, note Juliette Dupuis Carle.

Archi. (© Juliette Dupuis Carle)

“L’une des modèles n’a jamais eu accès à la justice. Elle a été victime d’inceste, son agresseur est décédé et elle n’a jamais pu poursuivre quoi que ce soit. Elle m’a dit que ce projet lui avait permis de matérialiser [ça] d’une certaine façon. Elle m’a dit que j’étais une des rares personnes à l’avoir crue. […]

Une autre m’a dit qu’il y avait eu un avant et un après le projet. C’était quelqu’un qui hésitait beaucoup. Il est fréquent que les victimes d’inceste et de violence dans l’enfance (notamment par une personne avec autorité) ont souvent du mal à faire des choix parce qu’elles ont perdu la notion de bien et de mal. En l’occurrence, cette personne avait du mal à choisir ses images préférées ou à me répondre quand je lui demandais son avis. Elle perdait un peu ses moyens parce qu’elle ne parvenait pas à faire de choix.

J’essayais de la rassurer en lui disant que j’avais tout mon temps, que je pensais qu’au fond d’elle, elle savait, mais qu’elle était habituée à se trouver face à des gens qui exigeaient d’elles des réponses directes. On a pris notre temps et elle a su choisir. Elle m’a dit que ces séances l’avaient aidée en ce sens.”

Maëvane. (© Juliette Dupuis Carle)

En plus d’aider les modèles elles-mêmes, la série vise l’intérêt public général. Cela, dans un premier temps, afin de “montrer aux victimes qu’elles ne sont pas seules” : “Ce que toutes ces femmes ont rapporté, c’est la solitude ressentie dans ces pensées destructives. Certaines se font du mal, peuvent faire du mal à d’autres personnes. Je voudrais montrer au public, aux personnes qui viennent ici et se reconnaissent, que ce qu’elles ressentent est normal, qu’elles ne sont pas folles, qu’après des événements si traumatisants, on peut avoir des pensées dépressives ou suicidaires, culpabiliser, souffrir d’addictions.”

Juliette Dupuis Carle insiste aussi sur la nécessité de s’adresser “à des personnes qui ne sont pas touchées par ce sujet, par la réalité des conséquences d’événements si traumatisants”. L’artiste aimerait voir sa série voyager dans d’autres villes de France avant de la poursuivre, notamment avec des personnes plus âgées, chez qui la parole se libère difficilement, puis, pourquoi pas, à l’international.

Malika. (© Juliette Dupuis Carle)

Archi. (© Juliette Dupuis Carle)

Adélaïde. (© Juliette Dupuis Carle)

Nathalie. (© Juliette Dupuis Carle)

Adélaïde. (© Juliette Dupuis Carle)

Nathalie. (© Juliette Dupuis Carle)

Nathalie. (© Juliette Dupuis Carle)

Le projet de Juliette Dupuis Carle Une sur Trois est exposé à la Cité Audacieuse, lieu de la Fondation des Femmes, jusqu’au 29 novembre 2022. Vous pouvez la retrouver sur Instagram et sur son site.