Le peintre Bao Vuong “fait parler la mer” en noir

Le peintre Bao Vuong “fait parler la mer” en noir

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© Stéphane De Sakutin/AFP

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Par Konbini arts

Publié le

Les peintures de l’artiste vietnamien renvoient aux boat people fuyant les guerres, et à son propre exil, forcé de quitter le Vietnam avec sa famille.

Dans ses vagues sombres palpite la mémoire des personnes meurtries par la guerre et fuyant leur pays. Bao Vuong, artiste franco-vietnamien, “fait parler la mer”. Une vingtaine de ses toiles sont exposées à la galerie parisienne A2Z jusqu’au 29 janvier 2022. Ses œuvres semblent sculptées au couteau, façon bas-relief, en symbiose avec un ciel lisse où surgissent parfois des nuages.

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Sa série, intitulée The Crossing (“la traversée”), appelle le public à un ténébreux voyage sur la mer : celui qu’il a vécu en 1979, à l’âge d’un an à peine, avec sa sœur et ses parents, fuyant le Vietnam et les conséquences de la guerre. Par un extraordinaire jeu d’ombre et de lumière, amplifié par des spots lumineux situés au-dessus des tableaux, les vagues et leurs remous donnent à voir un océan infini, étincelant, dans lequel le public peut projeter le sort des exilé·e·s, à bord d’une embarcation.

Survivant·e·s

Du noir profond jaillissent l’écume et des éclats lumineux, scintillant comme des diamants, mêlés aux reflets de la Lune : “Cette lumière est comme un phare intérieur que chacun porte en lui et qui nous guide dans les moments les plus difficiles”, dit l’artiste à l’AFP. “Nous sommes tous des survivants… Même si je ne l’ai pas vécu comme ma mère qui nous a maintenus hors de l’eau, ma sœur et moi, je porte en moi cette histoire.”

“Les vagues sont de plus en plus grosses, ça me permet d’avoir ce côté méditatif. Je suis en connexion avec les personnes qui ont vécu ce drame comme si elles guidaient ma main”, poursuit-il, qualifiant son travail de “cathartique”. “Contrairement à beaucoup d’artistes qui représentent la mer, Bao lui donne la parole. Il réconcilie l’art et le public néophyte”, dit Anthony Phuong, qui tient la galerie où sont exposées les œuvres du peintre. On pense au peintre Soulages qui fait jaillir la lumière de son “outre-noir”.

“Voyage initiatique”

C’est à 27 ans qu’il découvre son histoire et celle de sa famille, lors d’un voyage au Vietnam. “Mes tantes se jetaient sur moi en pleurant parce qu’elles ne m’avaient vu que bébé. Ma mère a alors raconté son histoire pour la première fois”, confie-t-il, ému. “J’ai appris vraiment d’où je venais. Ce voyage initiatique a été un déclic.”

L’une de ses toiles représente le visage de sa mère dans le ciel, montagne évanescente et “allégorie de la résilience, du courage, de la ténacité”. Comme pour des milliers de réfugié·e·s, la famille a fui de nuit. Elle a quitté le delta du Mékong avec beaucoup d’autres à bord d’une embarcation précaire.

Parquée dans un camp en Malaisie pendant une dizaine de mois après avoir subi trois attaques de pirates, sa famille a de nouveau été “jetée” en mer, à bord d’un bateau, “sans moteur, sans eau ni nourriture”, et n’a dû son salut qu’à “un nuage au milieu du ciel bleu qui s’est mis à pleuvoir, un miracle”, raconte Bao Vuong. Récupérés par un navire humanitaire, l’artiste et sa famille ont pu rejoindre la France.

Le jeune homme a suivi une formation artistique à Toulon et travaillé dans plusieurs ONG, avant de retourner au Vietnam pour entamer une carrière d’artiste, puis revenir en France. Il a réalisé plusieurs performances et installations toujours en lien avec l’exil, rendant hommage aux nombreux·ses migrant·e·s mort·e·s en fuyant leur pays. “J’apprends à rester dans le courant de la vie. Pour accepter la fin, la mort qui nous attend tous, il est bon de se dire : ‘J’ai été cette vague et je rejoindrai l’océan'”, dit-il.

Konbini arts avec AFP