Témoignage : le paradoxe d’Instagram ou l’injustice des “likes”

Témoignage : le paradoxe d’Instagram ou l’injustice des “likes”

Sur son site, le photographe Michael Clark a émis une critique intéressante d’Instagram, entre amour et haine.

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Instagram est sans aucun doute l’un des réseaux sociaux les plus passionnants et il est désormais la deuxième plateforme la plus active (après Facebook) avec plus de 600 millions d’utilisateurs. En tant que photographe qui a lentement construit son public d’abonnés ces trois dernières années, j’ai eu un rapport amour/haine envers Instagram. “Haine”, le mot est peut-être un peu fort, mais vous voyez le topo.

Croyez-moi, j’ai passé énormément de temps sur Instagram. J’étais scotché. Avoir accès à un nombre incroyable d’images extraordinaires est une vraie source d’inspiration. J’ai tendance à suivre beaucoup d’autres photographes professionnels qui partagent leur excellent travail. De plus, il y a aussi beaucoup d’amateurs qui font de superbes clichés, et dans certains cas, meilleurs que ceux des pros.

Instagram est un sujet sensible pour les photographes professionnels. Pour certains pros, surtout ceux avec le plus grand nombre d’abonnés, Instagram a été une véritable aubaine pour leur carrière. Pour d’autres, c’est un fardeau, une source de frustration, ou simplement une autre forme de marketing. Avant Instagram, on avait l’impression que la hiérarchie de la photographie était fondée sur la méritocratie. J’entends par là que ceux qui avaient les moyens, et qui en savaient beaucoup sur la photographie et ce qui constitue une belle image, choisissaient le meilleur photographe pour un job spécifique.

Instagram a en quelque sorte renversé tout cela, car il récompense souvent les bonnes photos, mais pas celles qui s’élèvent à un tout autre niveau d’excellence, et c’est pour cela que les photographes professionnels discutent et débattent souvent d’Instagram entre eux.

L’injustice du nombre de “likes”

Je dois peser mes mots avec précaution car beaucoup pourraient s’indigner et je ne veux pas avoir l’air de me plaindre et de me lamenter à propos de mon manque d’abonnés. Je sais que beaucoup de photographes professionnels et très perspicaces ont déjà remarqué cela : le fait que nos meilleures images récoltent rarement autant de mentions “j’aime” que d’autres clichés moins bons que nous avons pensés spécialement pour Instagram.

Même mes meilleures photos, issues de mes vingt longues années de carrière, reçoivent toujours moins de “j’aime” qu’une image médiocre avec une belle lumière ou un lac et un paysage qui se reflète dedans. Par exemple, les deux images ci-dessous sont deux de mes photos postées sur mon compte @michaelclarkphoto. La photo de gauche est l’image d’un véliplanchiste, prise depuis un hélicoptère. L’image est bonne, et la perspective est intéressante, mais en aucun cas exceptionnelle.

L’image de droite est l’une des meilleures images que j’ai jamais produites. C’est une image qui vous absorbe et vous force à vraiment regarder, et j’ai mis un temps fou à maîtriser la lumière. Cependant, l’escalade sur glace a eu moins de succès que le véliplanchiste. Ce n’est qu’un exemple, mais qui est récurrent, et pas seulement sur mon compte, mais sur d’autres comptes Instagram majeurs sur lesquels on poste mon travail.

Image de gauche : “Il y a quelques années, j’ai travaillé avec @levi_silver sur un shooting de véliplanchiste pour @redbull sur la Pistol River dans l’Oregon du Sud. Il n’y a rien de tel que d’être dans un hélicoptère et de prendre en photo un athlète qui accomplit des exploits extrêmes juste en dessous. Je me réjouis de retravailler avec Levi ici !”

Image de droite : “@dawnglanc qui grimpe sur une route W15 dans le @ourayicepark, plus tôt cette année. Cette image est sans aucun doute l’une des meilleures que j’ai créées cette année. Allez voir mes posts les plus récents pour les temps forts de cette année et les meilleures images de 2015.”

Sur les autres comptes qui reprenaient mon travail, j’ai souvent vu mes meilleurs clichés remporter la moitié du nombre de “likes” que mes clichés les plus banals. J’ai également vu des photographes mondialement célèbres poster des images absolument uniques qui ont à peine suscité l’intérêt des abonnés, à côté d’une photo d’étang avec deux fois plus de mentions “j’aime”.

La raison est que nos abonnés n’ont pas toujours une grande connaissance de la photographie. Ou en tout cas, ils ne le sont pas de la même manière que les initiés de l’industrie. Je suis presque sûr que cette affirmation n’est choquante pour personne. J’ose espérer que les éditeurs photo, les agences de pub, les acheteurs d’arts et les photographes professionnels qui ont passé des années dans l’industrie à analyser, éditer et rechercher l’image parfaite ont plus d’expérience que le consommateur moyen.

À bien des égards, la volonté de divertir ses abonnés en postant une image par jour promeut en quelque sorte la médiocrité de l’industrie de la photographie. Je sais que cette affirmation peut choquer, mais laissez-moi vous expliquer. Instagram est dirigé par d’innombrables publicités de nos jours – bien plus que le consommateur moyen n’imagine. J’ai perdu beaucoup d’opportunités et de sponsors car les statistiques de mes réseaux sociaux n’étaient pas suffisantes – en gros, je n’avais pas assez d’abonnés. Ce qui n’est pas grave. Je comprends.

Si une entreprise veut se faire remarquer et atteindre un maximum de gens, elle doit s’associer avec quelqu’un qui a un mégaphone et qui fera ce qu’elle lui dit – ou qui aidera à répandre les publicités de l’entreprise au-delà des abonnés du compte de l’entreprise. De nos jours, il y a sur Instagram quelques photographes (et des non photographes) qui ont nettement plus d’abonnés que les entreprises qu’ils promeuvent. Bravo à ces photographes ! Étonnamment, certains photographes parmi les meilleurs de la planète ont un nombre ridiculement bas d’abonnés.

La recette d’Instagram

Il y a une recette très claire pour déterminer les images qui auront le plus de mentions “j’aime” sur Instagram. Créez des images qui sont joliment composées et exposées, qui permettent de s’évader, et le tour est joué. Quelques exemples de ce type d’images :

  • Placez une petite silhouette dans un paysage immense et captivant.
  • Utilisez un éclairage dramatique pour faire ressortir l’image parmi les autres.
  • Mettez un hamac dans un endroit incongru avec un arrière-plan sensationnel.
  • Faites briller une lampe vers un ciel nocturne avec un peu d’aurore boréale en arrière-plan.
  • Et surtout, postez ce genre d’images régulièrement.

Bien sûr, certains de ces styles d’images datent tandis que d’autres sont assez nouveaux sur le réseau. Il est vrai que la première fois que vous avez vu un type éclairé à la torche, qui se tient devant un ciel nocturne avec une aurore boréale, c’était une image super cool. Mais un peu comme une chanson qu’on entend à la radio trop souvent, elle devient fade, tout le monde copie l’originale et nous faisons officiellement un trop-plein. Pourtant, ces images récoltent une tonne de “j’aime”.

Quelle conséquence ?

Alors, quelle est la conséquence de tout cela ? J’aime toujours jeter un œil sur Instagram pour voir ce que mes amis et mes pairs y postent. L’application est facile et fun à utiliser, ce qui est très attrayant. Est-ce que j’aimerais que plus de monde me suive ? Oui, bien sûr. Et j’y travaille. Mais je sais aussi que le nombre de mes abonnés augmente rapidement parce que je peux être posté sur des comptes Instagram beaucoup plus gros que le mien, et que mon nom est mentionné par-ci et par-là.

Mais peu importe le nombre d’abonnés que j’ai, c’est surtout mon expérience en tant que photographe qui m’importe, et qui importe les acheteurs d’art et les éditeurs photo qui voient des milliers d’images par an, et qui m’aident à déchiffrer quelles sont mes meilleures images. Les photographes ne devraient pas juger leurs images sur leur nombre de “j’aime” sur Instagram.

Je me rends compte que cela résonne comme une diatribe envers Instagram. Et peut-être que si j’avais des millions d’abonnés, je penserais différemment, mais je connais quelques photographes qui ont un million d’abonnés, voire plus, qui sont tout autant réalistes sur le sujet et qui ont déjà posté une critique similaire à la mienne. Comprenez-moi bien, Instagram est un excellent outil marketing ainsi qu’un moyen génial pour partager des images et communiquer. Mais, j’espère sincèrement que ceux qui recherchent des photographes pour promouvoir leur marque regarderont un jour au-delà du simple nombre d’abonnés.

Ce texte a été traduit par nos soins et peut se retrouver dans sa version anglaise sur le site de Michael Clark. Vous pouvez également le suivre sur Instagram, Facebook et Twitter.