En annonçant l’ouverture en 2024 d’un lieu d’exposition à Jersey City, le Centre Pompidou cherche à valoriser sa marque et développer ses ressources propres, une démarche encouragée par l’État depuis une quinzaine d’années, dans un contexte de ralentissement de la manne publique.
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Il s’agira du cinquième partenariat majeur, le premier sur le continent américain, pour le Centre Pompidou, qui a déjà prêté son nom à un établissement culturel à Metz, et à des centres artistiques à Malaga, Shanghai et Bruxelles.
Située sur la rive ouest du fleuve Hudson, face à Manhattan, Jersey City est une ancienne ville industrielle en pleine transformation – et gentrification – depuis les années 1980. Le partenariat est né d’une rencontre avec les élu·e·s de la ville, par l’intermédiaire du cabinet d’architectes OMA, a expliqué à l’AFP Serge Lasvignes, président du Centre Pompidou.
“Nous n’avons pas fait d’appel d’offres pour une installation aux États-Unis”, a expliqué M. Lasvignes. “Honnêtement, pour nous, il est beaucoup plus intéressant de travailler avec Jersey City qui est un lieu un peu vierge de ce point de vue, que d’aller dans un endroit où l’offre est considérable”, comme New York.
Un lieu bien choisi
La métropole américaine compte déjà deux musées majeurs d’art contemporain, le MoMA et le Whitney, complétés par l’offre d’art contemporain du Metropolitan Museum et du Guggenheim. Ces dernières années, Jersey City attire un nombre croissant d’artistes, avec l’augmentation vertigineuse des loyers à New York.
“Le continent américain était pour nous un objectif d’un intérêt évident”, a précisé M. Lasvignes. “Dans le domaine de l’art contemporain, l’Amérique, c’est crucial”, sans compter que “nous sommes complètement imprégnés de culture américaine”. Comme pour les précédents partenariats, Jersey City prendra en charge la création du lieu, son exploitation et les coûts associés.
Jersey City prévoit d’héberger le nouvel espace – qui accueillera arts visuels, architecture, design et spectacle vivant – dans le Pathside Building, bâtiment d’environ 5 400 mètres carrés construit en 1912, autrefois gare de tramway. Le Centre Pompidou, qui fournit son ingénierie, sa marque et ses collections, recevra une compensation financière, dit M. Lasvignes.
Le lieu “est destiné à devenir l’une des plus importantes attractions culturelles d’Amérique du Nord”, a affirmé le gouverneur du New Jersey, Phil Murphy, dans un communiqué. La culture doit agir comme “un levier” pour “enrichir l’image” de la ville, “développer une collectivité et faire en sorte que les gens vivent mieux ensemble”, selon M. Lasvignes. Le projet aura ainsi également une dimension sociale.
Avec ces partenariats, explique le président du Centre, “la stratégie consiste à ne pas être spectateur passif, mais à s’inscrire dans ce mouvement de globalisation de l’art contemporain, en nous rendant nous-mêmes sur un certain nombre de scènes”.
L’exemple du Louvre Abou Dhabi
“Cela fait quinze ans que la réflexion est menée sur la valorisation du patrimoine immatériel”, relève Cécile Anger, chercheuse en droit à la Sorbonne et responsable de la marque et du mécénat au Domaine national de Chambord.
L’exemple le plus connu est le Louvre Abou Dhabi, inauguré en novembre 2017. L’accord, entre Le Louvre et l’émirat pour une durée de trente ans, comprend un accompagnement par les équipes pour la conception du musée et les prêts de la “marque” du Louvre et d’œuvres de treize musées nationaux français parties prenantes.
Dans ces partenariats – Le Louvre ou le Centre Pompidou –, “la marque est utilisée pour nommer le nouveau musée”, note la chercheuse. L’établissement d’origine fournit “une prestation intellectuelle, à savoir les connaissances et compétences de ses conservateurs, restaurateurs, professionnels de la médiation”, ajoute Cécile Anger.
À quoi sert l’argent récolté ? “Un musée n’est pas rentable et n’a pas vocation à l’être, souligne l’experte. Ses activités commerciales doivent servir ses missions premières, à savoir l’accueil du public et la conservation des œuvres.”
L’argent gagné via le partenariat avec Abou Dhabi (un milliard d’euros, dont 400 millions d’euros pour la seule concession du nom du Louvre) “a permis de financer la construction du centre de réserves [Louvre Paris] à Liévin”, dans le nord de la France, indique Cécile Anger.
Un marché mondial
La France n’a pas le monopole de ces partenariats. Ainsi, le grand musée londonien Victoria and Albert Museum a une galerie à son nom dans un musée près de Shenzhen, ville voisine de Hong Kong. Le V&A a aidé à la conception de l’établissement chinois.
Les pays les plus intéressés par ce type de partenariat sont les pays émergents, avançait la Cour des comptes dans un rapport en 2019. Elle citait le Brésil, la Chine, la région du Golfe et évoquait un “marché muséal mondial”.
En 2018, Emmanuel Macron et le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, ont signé un accord pour un complexe culturel et touristique sur le site archéologique d’Al-Ula, une autre forme de valorisation de savoir-faire culturel français.
Le Louvre a créé en 2015 un département dit “Louvre conseil” conçu pour mener des activités de conseil auprès d’autres musées en France et à l’étranger. Universcience (Palais de la découverte, la Cité des sciences) exporte son programme “La Cité des enfants” – destiné aux jeunes publics – auprès d’établissements étrangers.
Sans nouer de partenariats comme le Centre Pompidou, le musée d’Orsay commercialise des expositions. Ainsi, “Monet, le paysage en question” sera présentée à l’Artizon Museum de Tokyo en 2022. Le musée Picasso a fait de même et pu ainsi financer ses travaux de restauration. Mais seuls les établissements dotés de collections importantes peuvent entreprendre ce genre de projets.
Ces prêts font certes l’objet de critiques, mais “il ne s’agit pas de cession”, rappelle Cécile Anger. La France bénéficie “d’un régime juridique protecteur” : “la loi française interdit la cession des œuvres” pour être par exemple vendues, une pratique que l’on retrouve chez plusieurs grands musées américains.
Avec AFP.